Vers une nouvelle pénurie d'enseignants à la rentrée?

Vers une nouvelle pénurie d'enseignants à la rentrée?

Faut-il craindre une nouvelle pénurie de profs? Les concours, qui ne sont pas encore achevés, n'ont de nouveau pas fait le plein cette année. Si le ministère de l'Éducation nationale saluait en décembre dernier une hausse de 9% des inscriptions aux concours enseignants dans le premier degré et de 4% dans le second degré, tous les postes ouverts ne seront pourtant pas pourvus à l'issue de la procédure.

C'est ce que montrent les résultats d'admissibilité. Notamment pour le Capes - le concours enseignant du second degré - d'allemand: 205 postes étaient ouverts, mais seuls 101 candidats ont réussi les épreuves écrites et ont été admissibles aux épreuves orales. C'est encore pire en lettres classiques: 47 admissibles pour 134 postes.

"On rejoue le très mauvais scénario de l'année dernière", s'inquiète pour BFMTV.com Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, le premier syndicat enseignant du secondaire.

Un millier de postes vacants?

Pas mieux dans le premier degré. Exemple avec l'académie de Versailles, la plus importante en terme d'effectifs d'élèves: seuls 833 candidats ont été admissibles au CRPE (le concours de recrutement de professeur des écoles) pour 1285 postes proposés. Dans celle de Créteil: 737 candidats admissibles pour 1166 postes. En Guyane: seulement 80 admissibles pour 165 postes.

"On va perdre des postes de titulaires", redoute pour BFMTV.com Guislaine David, co-secrétaire générale du Snuipp-FSU.

Cette porte-parole du principal syndicat des enseignants du premier degré s'attend ainsi déjà à un millier de postes vacants pour la rentrée scolaire 2023 rien que dans les écoles maternelles et élémentaires.

Pour enrayer la crise des vocations, plusieurs mesures ont pourtant été annoncées. Parmi celles-ci, un minimum de 2000 euros nets mensuels pour les enseignants débutants, une hausse de 8 à 11% de salaire pour ceux qui sont dans leurs quinze premières années de carrière, une revalorisation plus modérée pour les enseignants avec davantage d'ancienneté mais aussi la possibilité de voir leur salaire augmenter via des missions supplémentaires basées sur le volontariat - le pacte enseignant.

De potentiels effets "dans deux ans"

Des annonces qui ne seraient "pas à la hauteur", déplore encore Sophie Vénétitay, du Snes-FSU. "On connaît l'ampleur de la crise, la réponse n'a pas été suffisante pour faire face à la pénurie."

"Le choc d'attractivité promis par le ministère, on ne l'a pas eu", abonde Guislaine David, du Snuipp-FSU, qui estime que le problème est plus vaste et ne se réduit pas qu'à la question des salaires. Elle regrette notamment que les conditions de travail des enseignants n'aient pas été davantage prises en compte.

D'autant que ces annonces n'auraient des effets sur la crise des vocations qu'à moyen terme, pointe pour BFMTV.com Patrick Fournier, maître de conférences en histoire moderne et co-responsable du parcours histoire-géographie du master Meef (métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation) de l'université Clermont Auvergne. Dans son master, sur les 28 places prévues lors de la dernière rentrée universitaire, seules 17 ont été prises.

"Un éventuel effet sur l'attractivité ne se verra que dans deux ans, quand les étudiants actuellement en licence 3 choisiront à la rentrée prochaine l'enseignement et passeront le concours", explique-t-il.

Le retour des job-datings?

L'année dernière, la situation avait été particulièrement compliquée au point que 4000 postes n'avaient pas été pourvus aux concours. Le ministère avait expliqué cette pénurie de candidats par la mise en place de la réforme de la formation des enseignants qui fixe les concours en fin de deuxième année de master et non plus en fin de M1.

"On nous avait dit que la situation était transitoire, que c'était dû à l'entrée en vigueur de la réforme", poursuit Patrick Fournier. "On nous annonçait un rebond pour cette année. Mais on voit bien que ce n'est pas le cas."

Face à cette pénurie, quelque 3000 enseignants contractuels avaient ainsi été engagés lors de cessions de recrutement express qui avaient suscité la controverse. Notamment parce que ces nouveaux recrutés n'avaient bénéficié que de quelques jours de formation avant la rentrée. Certains nous avaient même confié ne pas en avoir bénéficié du tout.

"On se dirige tout droit vers le retour des job-datings", angoisse Sophie Vénétitay, la représentante des enseignants du second degré. S'il ne s'agit pas selon elle de "blâmer" les contractuels, elle dénonce les conditions dans lesquelles l'Éducation nationale les recrute "et les jette dans le grand bain, équipés d'une bouée percée".

"Ils ne sont pas parachutés dans les classes"

Ce que dément le ministère. "Beaucoup de progrès ont été faits sur l'accompagnement et la formation", assure-t-on à BFMTV.com, citant notamment la mise en place des écoles académiques de la formation continue. "Les enseignants ne sont pas parachutés dans les classes, il y a tout un accompagnement pédagogique et humain, en présentiel et en distanciel, au début et tout au long de l'année."

Les académies "ont pris la mesure de la difficultés", ajoute la rue de Grenelle, et sont "mobilisées bien plus en amont". Celles de Versailles et de Créteil ont d'ores et déjà annoncé une nouvelle vague de recrutement d'enseignants contractuels dans les prochaines semaines.

Ce qu'a confirmé Pap Ndiaye, le ministre de l'Éducation nationale. Dans une interview publiée ce mercredi dans les Échos, il reconnaît que "nous aurons encore besoin de professeurs des écoles contractuels en septembre". Mais il espère "moins qu'à la rentrée précédente". Un millier de ces contractuels ont par ailleurs été titularisés lors de concours exceptionnels dans trois académies.

Mais confrontés aux difficultés du métier, certains ont préféré renoncer en cours d'année. Guislaine David, la représentante des enseignants du premier degré, recense ainsi près d'une cinquantaine de démissions rien que dans le département du Val-d'Oise depuis le début la rentrée de septembre.

D'autres disciplines concernées?

Alors que le ministère saluait il y a quelques mois une hausse de 34% des inscriptions au Capes de mathématiques - discipline fortement touchée par la pénurie d'enseignants - cette matière pourrait pourtant elle aussi ne pas voir tous ses besoins couverts du fait du faible écart entre candidats et admissibles.

C'est ce qu'appréhende Patrick Fournier, de l'Université Clermont Auvergne, qui suit de près l'évolution du recrutement des enseignants. L'universitaire a ainsi fait le décompte discipline par discipline - le ministère n'ayant pas communiqué de données globales mais la liste des admissibles par concours.

En mathématiques: 1170 admissibles pour 1040 postes. En physique-chimie: 440 admissibles pour 429 postes. Et en lettres modernes: 761 admissibles pour 755 postes. Il faudrait donc qu'entre 89% et 99% des candidats soient admis pour que tous les postes soient pourvus. Or, la moyenne est plutôt de l'ordre de 40%.

"En français, on se doute bien qu'il y aura plus de six candidats recalés à l'oral. C'est pareil dans les autres disciplines."

"Il ne faut pas s'alarmer"

Selon lui, le ratio pour un recrutement serein serait de deux admissibles par poste. Ce qui n'est pas le cas dans les disciplines précédemment citées mais aussi dans certaines langues vivantes, comme en anglais ou encore en espagnol. Un ratio qui ne cesse de baisser d'année en année, selon un décompte du Snuipp-FSU, passant d'une moyenne de 2,22 admissibles par poste en 2008 à 1,42 cette année.

"Cela signifie clairement qu'il n'y aura pas de listes complémentaires avec des candidats pourtant formés et qui ont fait des stages", analyse Guislaine David, du Snuipp-FSU. En septembre dernier, sur les 1215 lauréats inscrits sur les listes complémentaires des concours de recrutement des professeurs des écoles, quelque 870 avaient été appelés, répondait le ministère à une question d'un sénateur.

Mais la rue de Grenelle se veut rassurante. "Il ne faut pas s'alarmer outre mesure. Des solutions, il y en a", nous affirme-t-on. "On va faire en sorte que la rentrée se passe dans les meilleures conditions."

Article original publié sur BFMTV.com