Une nouvelle "Matilda" sur Netflix: Roald Dahl, l'auteur pour enfants qui ne vieillit pas

Une nouvelle "Matilda" sur Netflix: Roald Dahl, l'auteur pour enfants qui ne vieillit pas

Une nouvelle génération d'enfants s'apprête à faire la connaissance d'une petite fille aux pouvoirs télékinésiques. Comme un cadeau de Noël, Netflix dévoile ce dimanche 25 décembre son adaptation de Matilda, héroïne née en 1988 sous la plume de Roald Dahl. Preuve que l'œuvre du romancier britannique continue d'inspirer, 60 ans après ses premiers écrits adressés à la jeunesse - et 32 ans après sa mort.

De nombreux téléspectateurs connaissent déjà ce jeune personnage, qui use de sa magie pour punir ses parents méprisants et la redoutable directrice de son école: Matilda a fait l'objet d'une première adaptation cinématographique au succès mondial en 1996, avant d'être transposée sur scène dans une comédie musicale couverte de récompenses en 2011. C'est de ce spectacle que le film de Netflix - signé Matthew Warchus - est adapté, reprenant les chansons du compositeur Tim Minchin.

Matilda est l'un des romans les plus emblématiques de la bibliographie de Roald Dahl. La carrière littéraire de cet auteur né en 1916 au pays de Galles démarre dans les années 1940 avec des nouvelles pour adultes et décolle vingt ans plus tard grâce à ses premiers ouvrages pour enfants.

Avec la complicité de l'illustrateur Quentin Blake - dont les dessins accompagnent ses livres jusqu'à aujourd'hui -, il a signé une quinzaine de romans jeunesse peuplés de héros malicieux et de créatures fantastiques, qui ravissent les petits lecteurs et les cinéastes sans jamais lasser.

Un imaginaire devenu collectif

James et la grosse pêche, Charlie et la chocolaterie, Le bon gros géant, La potion magique de Georges Bouillon, Sacrées sorcières... La quasi-totalité de ces livres a fait l'objet d'au moins une adaptation cinématographique. Des longs-métrages réalisés pour certains par des monstres sacrés tels que Tim Burton ou Steven Spielberg.

Beaucoup de ces films sont sortis récemment, et de nombreux autres sont actuellement en préparation. Sans compter les différents formats qu'inspire toujours l'auteur, des planches de Broadway à celles de la BD. Dans le monde toujours plus vaste de la littérature jeunesse, Roald Dahl reste indémodable.

"Je pense qu'il est rentré dans les classiques", résume pour BFMTV.com Florence Casulli, enseignante en littérature anglophone à l'université Paris-Nanterre.

"Certains éléments de son œuvre font aujourd'hui partie de l'imaginaire collectif, comme le ticket d'or", ajoute cette spécialiste de Roald Dahl.

Ce précieux sésame, qui permet au héros de Charlie et la chocolaterie de découvrir l'usine magique de Willy Wonka, a effectivement dépassé les pages du roman. Le rappeur français Orelsan peut en témoigner: pourtant bien éloigné du monde féérique de l'écrivain, l'artiste caennais a glissé des "tickets d'or" dans cinq exemplaires de son album Civilisation, sorti en 2021. Pas de confiseries, mais des concerts à l'œil: sur Instagram, il avait annoncé que les heureux propriétaires de ces tickets bénéficieraient d'un accès gratuit à tous ses shows, à vie.

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L'auteur qui ne mentait pas aux enfants

Avant d'être une source d'inspiration pour les artistes de tous bords, l'œuvre de Roald Dahl est un succès de librairie qui ne se dément pas depuis six décennies. L'éditeur français Gallimard fait état de 250 millions d'exemplaires vendus dans le monde et 15 millions rien que dans l'Hexagone, dont 321.000 cette année.

"Pour des titres aussi anciens, c'est rarissime", assure à BFMTV.com Thierry Laroche, directeur éditorial littérature jeunesse de la maison.

Roald Dahl squatte obstinément le top 5 des auteurs jeunesse les plus vendus en France, dans lequel il côtoie des œuvres bien plus récentes que la sienne: la première place est occupée par J. K. Rowling, autrice de l'indétrônable Harry Potter, suivie d'Erin Hunter, à qui l'on doit la trilogie Hunger Games publiée il y a tout juste dix ans.

"Je crois que les enfants se retrouvent dans les livres de Roald Dahl parce qu'il leur parle sans condescendance", analyse Thierry Laroche. "Il est de plain-pied dans l'enfance, aux côtés des enfants, qui d'une certaine façon sont toujours victimes de la société des adultes."

C'est là l'une des singularités de l'auteur, à laquelle il doit sans doute sa résonnance auprès de tant de générations: il n'a jamais caché la rudesse du monde à ses jeunes lecteurs. James part à la recherche d'une vie meilleure, loin de ses horribles tantes qui le réduisent en esclavage. Charlie souhaite à tout prix trouver le ticket d'or qui permettra peut-être à sa famille d'échapper à la misère.

"Roald Dahl a souvent dit qu'il aimait cette ligne fine entre le rire et les larmes", poursuit Thierry Laroche. "Il choisit le rire, mais il présente en toile de fond des situations très difficiles."

"Les orphelins sont très nombreux dans son œuvre", abonde Florence Casulli. "Il a grandi dans des écoles privées où il se faisait battre. Il savait comme les enfants peuvent se sentir seuls et incompris, et il l'a posé sur papier. Ses romans présentent des figures d'autorité auxquelles il ne faut pas faire confiance et des enfants qui ont plus de ressources qu'on ne le croit."

La relève des contes de fées

Car la cruauté des adultes invite souvent les personnages de Roald Dahl à transgresser les règles. Ce qui, forcément, ravit les jeunes lecteurs. "Ce n'est jamais gratuit", précise Thierry Laroche. "Il s'agit toujours de réparer une injustice, de venger le plus faible. Comme quand Matilda se venge de la bêtise de ses parents."

Ce dialogue entre dureté et tendresse, entre injustice et rêve, inscrit l'œuvre de Roald Dahl dans la tradition des contes de fées - des récits qui survivent à merveille à l'épreuve du temps. Ses livres observent la même structure narrative et mettent en scène les mêmes personnages stéréotypiques, tout en "apportant un twist moderne", selon Florence Casulli:

"Un héros part en quête parce qu'il est en manque de quelque chose - l'affection pour Matilda, la nourriture pour Charlie."

"Sur sa route, il va rencontrer des amis et des héros à combattre", poursuit-elle. "À la fin, il est souvent récompensé. Pas par un mariage, comme dans les contes, mais par une autre forme de bonheur. La fortune, parfois: Roald Dahl était issu de la classe ouvrière, il connaissait la valeur de l'argent."

Comme les contes de fées, les livres de Roald Dahl donnent vie aux craintes des enfants à travers des figures telles que des sorcières, des ogres ou des géants, qui leur servent de catharsis. "Ces jeunes lecteurs vont être confrontés à ces peurs et apprendre à les surmonter."

Intervient alors "l'humour de toilettes" dont l'auteur use parfois pour faire rire, sans jamais renier la "musicalité" dont il fait preuve en maniant la langue anglaise ("très bien traduite en français", souligne l'enseignante): "Son vocabulaire, ses jeux de mots riches faits d’écriture audacieuse et très inventive aident les enfants à apprendre le langage." Ajoutez à cela une bonne dose d'impertinence et de mauvais esprit et, comme Georges Bouillon, Roald Dahl réussit sa potion.

Modernisation et sortie polémique

Les adaptations les plus récentes permettent par ailleurs de moderniser ses histoires. La Matilda de Netflix intervient alors que les questions d'égalité femmes-hommes sont plus actuelles que jamais: "C'est une figure féminine valorisante qui exalte les vertus d’intelligence, de courage, d'amour", expose Florence Casulli. "Elle parle aux jeunes filles d'hier et d'aujourd’hui, et je pense qu'elle continuera encore longtemps."

Dans le Sacrées sorcières de Robert Zemeckis (2021), le héros était campé pour la première fois par un acteur afro-américain. "Roald Dahl décrit fidèlement les tourments internes des enfants", estimait Anne Hathaway, l'interprète de la reine des sorcières, auprès de Allociné pendant la promotion du film.

"Il capte d'une très belle manière ce sentiment qu'on a, enfant, quand on ne sait pas vraiment décrire ce que l'on ressent."

Autant d'éléments progressistes qui permettront, peut-être, de contrebalancer une ombre tenace qui noircit le tendre tableau de l'œuvre de Dahl: les propos ouvertement antisémites qu'il a tenus à la fin de sa vie. Dans une interview au New Statesman, en 1983, il légitimait "l'animosité" contre les juifs, et estimait que "même une ordure comme Hitler n'avait pas pu s'en prendre à eux sans raison". Des propos pour lesquels sa descendance a présenté des excuses il y a deux ans.

À mille lieues de ce discours de haine, ses héros et les valeurs qu'ils représentent ont encore un bel avenir sur nos écrans. Netflix a annoncé l'an passé l'acquisition de la Roald Dahl Story Company, la société qui gère les droits de l'auteur, avec l'objectif d'adapter ses œuvres: deux séries animées inspirées de Charlie par Taika Waititi, ainsi qu'un film tiré de La Merveilleuse histoire de Henry Sugar par le cinéaste Wes Anderson ont déjà été annoncés.

De son côté, la Warner prépare un long-métrage qui imagine la jeunesse de Willy Wonka, avec Timothée Chalamet dans le rôle de l'excentrique chocolatier.

Sans compter l'influence de l'auteur sur ses successeurs. Thierry Laroche voit une empreinte "dahlesque" chez David Walliams, Jean-Claude Mourlevat, Timothée de Fombelle... et même Rowling: "Lorsqu'elle décrit les Dursley, l'oncle et la tante de Harry Potter, on croirait voir les Deux gredins."

"Roald Dahl ne nie pas les problèmes, mais trouve dans l'enfance l'énergie d'une solution possible, d'un espoir et d'un imaginaire", conclut Thierry Laroche. "Il laisse entrevoir la nécessité de l’humour, de la distance avec ce qui nous arrive et la capacité qu'a chacun de trouver son chemin au-delà des embûches." Voilà une morale qui ne se démode pas.

Article original publié sur BFMTV.com