En Nouvelle-Calédonie, le secteur du nickel pèse lourd dans la crise et les émeutes

L’usine KNS, près de Koné, est en sommeil depuis la suspension des activités du géant suisse des matières premières Glencore. Le dernier exemple de la crise que traverse la filière nickel de l’archipel.
DELPHINE MAYEUR / AFP L’usine KNS, près de Koné, est en sommeil depuis la suspension des activités du géant suisse des matières premières Glencore. Le dernier exemple de la crise que traverse la filière nickel de l’archipel.

NOUVELLE-CALÉDONIE - Si les tensions liées à la question communautaire de la Nouvelle-Calédonie expliquent en grande partie les violences insurrectionnelles qui frappent le territoire depuis le début de la semaine, un autre facteur −moins connu et plus économique – cristallise les critiques et la colère des habitants et des élus calédoniens depuis plusieurs mois.

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Alors qu’Emmanuel Macron se fait inflexible sur l’organisation d’un Congrès afin d’entériner la réforme électorale à l’origine de cette violente crise, plusieurs élus de premier plan et de tous bords politiques militent désormais pour « une mission de dialogue ». Laquelle devrait permettre de trouver un accord global sur la réforme très largement contestée par les indépendantistes.

Parmi eux, le président du Sénat, Gérard Larcher, qui souligne à ce titre l’importance de la question du nickel, poumon économique de l’archipel à ne pas sous-estimer dans la crise actuelle. L’importance de ce minerai est également mise en exergue par le sénateur Claude Malhuret, membre du parti Horizons, qui estime que la Chine a un « intérêt réel à chasser la France du Pacifique ».

« La Chine veut être dans son pré carré en Mer de Chine mais également prépondérante dans le Pacifique : elle a besoin de nickel pour produire ses batteries, or très peu de régions en produisent dans le monde », estime l’élu dans un entretien avec l’AFP, où il ajoute que la Chine cherche donc à « profiter de la position stratégique de l’archipel ».

Un « Pacte » pas si Nickel

La question du nickel est un épais dossier pour le gouvernement depuis de nombreux mois. En cause, un secteur dévasté depuis une dizaine d’années par la flambée du coût de l’énergie et la plongée des prix du nickel sur les marchés mondiaux.

Le secteur était au cœur du « Pacte Nickel » dévoilé à la fin du mois de mars par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, un plan de sauvetage de 200 millions d’euros. Pour sauver la filière et ses 5 000 emplois directs, le ministre avait alors pour ambition de subventionner l’énergie (surtout le fioul et le charbon qui servent à faire fonctionner les usines). Un plan imaginé sur cinq à dix ans, mais dont les contreparties n’ont clairement pas convaincu sur place.

Car si l’État s’engageait à moderniser les usines en enclenchant notamment le virage de la « transition énergétique », Bruno Le Maire annonçait que l’État ne financerait pas les « activités industrielles qui ne seraient pas rentables ».D’où son désir d’exporter le nickel brut à l’avenir, plutôt que de le traiter sur place. Pour autant, la démarche est vécue comme un non-sens par les indépendantistes calédoniens, attachés à l’idée d’un processus industriel calédonien complet, sans oublier les pertes en ressources non renouvelables pour l’archipel.

Cette volonté du locataire de Bercy avait d’ailleurs été qualifiée de « pacte colonial de reprise en main de la maîtrise des matières premières de la Nouvelle-Calédonie » par Ronald Frère, fondateur du parti indépendantiste Souveraineté calédonienne, dans un texte cité par Le Monde. Ces annonces du ministre avaient d’ailleurs déclenché le blocage de plusieurs sites miniers, annonciateurs d’un dialogue plus que fragile avec l’exécutif.

Dix ans de crise

Fragile et inflammable socialement. Le secteur emploie près de 25 % des travailleurs calédoniens et représente la quasi-totalité des exportations néo-calédoniennes. Comme le souligne Le Monde, entre 20 % et 30 % des réserves mondiales de nickel se trouvent en Nouvelle-Calédonie, ce qui lui permet de produire 8 % du nickel transformé. Une ressource d’autant plus importante qu’elle est utilisée dans la fabrication de l’acier inoxydable ou plus récemment pour les batteries automobiles. Un élément particulièrement clé pour la France et le futur de son industrie automobile.

Depuis dix ans, le secteur se heurte donc à une vaste crise, en partie due, comme l’explique Libération, à l’émergence d’un marché indonésien ultra-productif et compétitif, faisant de ce pays le premier producteur mondial. L’émergence de ce nouveau marché dominant doit aussi beaucoup à la Chine, qui a massivement investi dans le nickel indonésien ces dernières années. Raison pour laquelle Claude Malhuret parle ce samedi d’une « proie tentante pour la Chine » lorsqu’il évoque la situation de la Nouvelle-Calédonie et les ingérences chinoises à l’œuvre.

Moins compétitive, la Nouvelle-Calédonie a ainsi vu ses usines locales enregistrer des ventes bien plus basses ces dernières années, à l’instar de la Société Le Nickel filiale du groupe français Eramet, détenu à 27 % par l’État français. Le premier employeur de l’archipel a ainsi connu une chute de 50 % de ses ventes en 2023. Mais les usines de ses concurrents ne sont pas en reste : située dans le Nord, l’usine KNS est en sommeil depuis le départ du géant suisse Glencore, incapable de réaliser des bénéfices malgré des investissements chiffrés à plusieurs milliards de dollars depuis dix ans.

Face à cette crise aux lourdes répercussions sociales pour les salariés du secteur, la colère des Néo-Calédoniens laissés sur le carreau s’ajoute à celle déjà bien visible depuis plusieurs jours. D’ailleurs, quelques semaines avant le début des émeutes, une manifestation opposant indépendantistes et non-indépendantistes à Nouméa permettait déjà d’entendre les arguments des indépendantistes pour appeler à ne pas signer le « pacte nickel » du gouvernement.

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