En Nouvelle-Calédonie, cette révision constitutionnelle qui embrase l’archipel

OUTRE-MER - Des maisons brûlées, des magasins pillés et des tirs sur les gendarmes… La Nouvelle-Calédonie se réveille ce mercredi 15 mai, après une nouvelle nuit de violences, ayant mené cette fois à la mort de deux personnes. Au cœur de cette révolte : le passage à l’Assemblée d’une révision constitutionnelle visant à élargir le corps électoral propre au scrutin provincial de Nouvelle-Calédonie. Ce qui a ravivé les tensions entre loyalistes et indépendantistes dans l’archipel, comme vous pouvez le voir dans la vidéo en tête de l’article.

Nouvelle-Calédonie : violentes manifestations à Nouméa, un couvre-feu instauré mardi

Pour se rendre compte de l’impact que pourrait avoir cette révision constitutionnelle, il faut d’abord comprendre comment fonctionne le système électoral en Nouvelle-Calédonie.

L’archipel est composé de trois provinces : la province Nord, la province des Îles Loyauté et la province Sud. Ces dernières détiennent une grande partie des compétences, comme le développement rural et maritime (agriculture, pêche, sylviculture, aquaculture), des actions sanitaires et sociales, la protection de l’environnement, les transports etc.

Pour le moment, les électeurs pouvant désigner les membres du Congrès et des Assemblées de province doivent répondre aux conditions prévues par l’accord de Nouméa de 1998 et la révision constitutionnelle de 2007. Conformément à l’article 77 de la Constitution, ce corps électoral se limite essentiellement aux électeurs inscrits sur les listes pour la consultation de 1998 et à leurs descendants, excluant de facto les résidents arrivés après 1998 et de nombreux natifs.

Une situation « contraire aux valeurs de la République »

Or, au fil des années, ces conditions restrictives ont augmenté la proportion d’électeurs privés de droit de vote au scrutin provincial alors qu’ils sont autorisés à voter aux élections nationales (présidentielle, municipales…).

En 2023, cela concernait ainsi près d’un électeur sur cinq, contre seulement 7,5 % en 1999, une situation « contraire aux principes démocratiques et aux valeurs de la République », selon le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin.

Pour y remédier, le gouvernement souhaite élargir le corps électoral avec un système toujours restreint mais « glissant », en l’ouvrant à tous les natifs et aux personnes domiciliées sur le territoire calédonien depuis au moins dix ans. Environ 25.000 électeurs pourraient alors intégrer la liste électorale. Le prochain scrutin provincial est censé se tenir avant le 15 décembre.

L’exécutif entend d’abord laisser une chance aux négociations locales entre loyalistes et indépendantistes. Gérald Darmanin a assuré que les parties prenantes seraient invitées « rapidement » à Paris pour « discuter autour du Premier Ministre, autour du gouvernement ». Mais cette « main tendue » est pour le moment « refusée » par le camp indépendantiste, selon lui.

Pourquoi la révision est-elle décriée ?

Les indépendantistes, opposés à la réforme, accusent l’État de vouloir passer en force pour « minoriser encore plus le peuple autochtone kanak », qui représentait 41,2 % de la population de l’archipel au recensement de 2019, selon l’Insee.

Cette minorité s’explique historiquement par le processus de colonisation qui s’est effectué sur ce territoire. La Nouvelle-Calédonie était une colonie de peuplement, c’est-à-dire que des milliers de personnes y ont été déportées ou s’y sont installées, au détriment du peuple autochtone : les Kanaks.

« La France n’est pas allée là-bas seulement pour exploiter les ressources avec quelques militaires et fonctionnaires. Elle a décidé de prendre les terres des autochtones pour créer une nouvelle société française, sur le modèle de l’Australie ou de la Nouvelle-Zélande. Ce qui a amené à la minorisation démographique des Kanaks », explique au HuffPost, Benoît Trépied, anthropologue au CNRS, spécialisé sur la Nouvelle-Calédonie.

Vers un vote en Congrès ?

Au Parlement, le principe de l’élargissement du corps électoral semble faire consensus, mais la méthode exaspère les oppositions. « En choisissant de passer en force, le gouvernement refuse de retrouver l’esprit d’impartialité qui devrait guider ses choix », a regretté la sénatrice socialiste Corinne Narassiguin, plaidant pour qu’une révision constitutionnelle n’intervienne qu’après la signature d’un accord local global sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Gérald Darmanin défend lui une logique inverse : « C’est bien le projet de loi constitutionnelle et son avancée qui permettent l’accord », avait-il affirmé.

Malgré la vague de violences dans l’archipel, l’Assemblée nationale a maintenu son vote, mardi 14 mai, sur la révision constitutionnelle. Elle a été adoptée par 351 voix contre 153, la gauche s’opposant à son adoption. Elle doit encore être soumise à tous les parlementaires réunis en Congrès à Versailles « avant la fin juin ».

Mais Emmanuel Macron a invité, ce mercredi, indépendantistes et loyalistes à se mettre d’accord sur une réforme institutionnelle en Nouvelle-Calédonie. Il a promis qu’il ne le convoquerait pas le Congrès « dans la foulée » de ce vote, pour laisser une dernière chance aux discussions entre les parties locales.

À voir également sur Le HuffPost :

En Nouvelle-Calédonie, en marge de la visite de Darmanin, une manifestation dégénère

En Polynésie française, ce chercheur va vivre huit mois comme Robinson Crusoé pour étudier un oiseau menacé