En Nouvelle-Calédonie, pourquoi l’ombre de la Chine, de l’Azerbaïdjan et de la Russie plane sur les émeutes

Le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin a accusé l’Azerbaïdjan d’ingérence étrangère en Nouvelle-Calédonie. (Photo de manifestants pro-indépendance en Nouvelle Calédonie avec un drapeau azéri au premier plan)
compte X « Baku Initiative Group » Le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin a accusé l’Azerbaïdjan d’ingérence étrangère en Nouvelle-Calédonie. (Photo de manifestants pro-indépendance en Nouvelle Calédonie avec un drapeau azéri au premier plan)

NOUVELLE-CALÉDONIE - « Je regrette qu’une partie des leaders indépendantistes aient fait un deal avec l’Azerbaïdjan. » Gérald Darmanin a accusé, ce jeudi 16 mai sur France 2, l’Azerbaïdjan d’attiser la colère des kanaks partisans de l’indépendance et hostiles au dégel du corps électoral, alors que la Nouvelle-Calédonie est en proie à des émeutes inédites depuis 1988. Bakou a rapidement réagi dénonçant des accusations d’ingérence « infondées » de Paris, y voyant des propos « insultants ».

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Déjà devant la Commission des lois fin avril, le ministre de l’Intérieur en charge des outre-mer s’était dit « choqué » que la république du Caucase utilise le dossier calédonien par « opportunisme », comme vous pouvez l’entendre dans la séquence ci-dessous. Selon lui, Bakou cherche ainsi à « répondre à la défense [de la France] des Arméniens ».

Il s’agit effectivement d’une « stratégie de représailles » de l’Azerbaïdjan pour dénoncer les condamnations de Paris aux offensives des forces azerbaïdjanaises au Haut-Karabakh, territoire peuplé d’Arméniens qui n’existe plus depuis janvier 2024, analyse Bastien Vandendyck, spécialiste du Pacifique Sud, à franceinfo. « L’Azerbaïdjan ne s’intéresse pas vraiment à la cause indépendantiste. Il soutient le FLNKS [Front de libération nationale kanak et socialiste] » pour « gêner la France dans sa souveraineté », poursuit-il.

La polémique sur l’influence de l’Azerbaïdjan est montée depuis la signature en avril d’un mémorandum de coopération entre le Congrès de Nouvelle-Calédonie et l’Assemblée nationale de l’Azerbaïdjan. Le texte visait à « sensibiliser la communauté internationale sur le droit du peuple de la Nouvelle-Calédonie à l’autodétermination ».

Et peu avant, l’Azerbaïdjan avait déjà convié à Bakou en juillet 2023 les indépendantistes de Martinique, Guyane, de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. De cette conférence était né le « Groupe d’initiative de Bakou » (GIB) qui vise à soutenir « les mouvements de libération et anticolonialistes français ».

Propagande sur les réseaux sociaux

Depuis quelque mois déjà, le GIB se rend dans les manifestations en lien avec la réforme constitutionnelle sur le corps électoral contestée par les kanaks indépendantistes. Des manifestants prônent fièrement des drapeaux azéris quand d’autres portent des t-shirts avec le logo du GIB. Mais avec l’embrasement des violences en en Nouvelle-Calédonie, l’opération de propagande contre le « colonialisme et le néocolonialisme » français a pris une nouvelle ampleur.

C’est désormais sur les réseaux sociaux que les groupes azéris de soutien aux indépendantistes mènent leur combat anti-français. Le compte X du GIB a notamment publié un communiqué pour exprimer « sa pleine solidarité au peuple kanak ». Surtout, il fait porter la responsabilité des violences dans l’archipel à l’État français, le « soi-disant pays des droits de l’homme » qui « refuse le doit à l’autodétermination des peuples maintenus sous sa tutelle ».

D’autres comptes X azéris partagent également en masse une affiche qualifiant la police française d’« assassin », alors que l’armée a été déployée dans l’archipel dans le cadre de l’État d’urgence.

La Chine et la Russie lorgnent aussi sur le caillou

Si l’influence de l’Azerbaïdjan est omniprésente, le pays n’est pas le seul scruter la Nouvelle-Calédonie et à profiter des tensions actuelles pour gagner en influence dans l’archipel. « Des régimes autoritaires comme la Russie, l’Azerbaïdjan, mais la Chine aussi saisissent la moindre faille dans nos sociétés pour polariser le débat public et pour créer le chaos », a dénoncé à cet égard l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, qui a présidé une commission du Parlement européen sur les ingérences étrangères, sur Public Sénat.

Si la Chine a des vues sur le caillou, c’est surtout pour ses gigantesques mines de nickel qu’elle rêve de pouvoir exploiter. Comme le rappelle l’Opinion, « le sol calédonien renferme la deuxième réserve mondiale de ce minerai » indispensable pour fabriquer des batteries de voitures électriques. Alors que la puissance du milieu devance largement l’Europe dans ses investissements dans les nouvelles technologies, les gisements de nickel sont de l’or pur pour maintenir son hégémonie dans le secteur.

Quant à la Russie, elle cherche, comme elle le fait déjà en Afrique, à répandre un mouvement anti-français et plus généralement anti-occidental, met en exergue l’enquête de franceinfo. L’objectif : « déstabiliser la présence française », souligne le chercheur Bastien Vandendyck à nos confrères. Par ailleurs, l’Azerbaïdjan étant une république pro-russe, sa stratégie de désinformation sert les mêmes intérêts que celle de Moscou et de ses soutiens.

L’ingérence étrangère n’explique pas une crise profonde

Si l’ingérence étrangère dans le conflit néo-calédonien existe, elle ne peut en revanche expliquer à elle seule la crise actuelle déclenchée par des revendications indépendantistes profondes.

« Agiter l’influence étrangère c’est donner une explication simpliste à des crises qui ne le sont pas. », insiste sur ce point le journaliste indépendant Nicolas Quénel sur son compte X. Dans le thread ci-dessous, il dénonce cette tendance politique à agiter « l’ingérence étrangère » pour « mettre sous le tapis nos propres tares, échecs et bêtise crasse. »

L’anthropologue et chargé de recherche au CNRS Benoît Trépied, interrogé à ce sujet ce jeudi sur franceinfo, met également en garde sur ces hommes politiques qui cherchent à se défausser de toute responsabilité : « Si l’État français s’est tiré une balle dans le pied en Nouvelle-Calédonie, je ne suis pas étonné que ses adversaires politiques en profitent, mais ce ne sont pas ses adversaires qui ont tiré ».

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