Le nouveau livre d’Édouard Louis, « Monique s’évade », raconte bien plus que la dernière rupture de sa mère
LITTÉRATURE - Édouard Louis nous donne des nouvelles de sa mère. Et elle va très bien. C’est en tout cas le contexte dans lequel nous la retrouvons à la fin - ce n’est pas un spoil - de Monique s’évade, nouveau livre de l’auteur d’En finir avec Eddy Bellegueule et Histoire de la violence, qui paraît ce vendredi 26 avril aux éditions du Seuil.
Ce n’était pas gagné. Quand le roman s’ouvre, Monique est au plus mal. Elle qui pensait être libre après avoir quitté son ex-mari (récit relaté dans le précédent ouvrage d’Édouard Louis Combats et métamorphoses d’une femme) s’est trompée. La voilà de nouveau piégée entre les mains de ce qu’elle avait fui : un homme alcoolique, méprisant et violent.
C’en est trop. Une nuit, elle appelle son fils en pleurs. « J’avais vingt-huit ans à l’instant de cet appel et c’était la troisième, peut-être la quatrième fois seulement depuis ma naissance que je l’entendais pleurer », note l’écrivain dans les premières pages. Pourquoi ne tombe-t-elle que sur des hommes qui l’empêchent d’être heureuse ? Sa mère s’interroge.
Lui veut la sauver. En Grèce pour une résidence d’écriture, Édouard Louis va élaborer à distance le plan d’évasion de Monique. Elle doit rassembler ses affaires au plus vite. Tant pis pour les papiers d’identité, elle en refera. Mais pour aller où ? Il lui propose de se réfugier dans son appartement. Un ami à lui possède un double des clés. Il pourra lui ouvrir. Comment s’y rendre ? Son fils lui réserve un taxi. Et sur place, comment va-t-elle bien pouvoir remplir le frigo vide et s’acheter les produits de base ? Elle n’a pas un seul euro en poche.
En s’installant avec l’homme avec qui elle était en couple, elle avait perdu les aides sociales qu’elle percevait de sa rupture avec le père d’Édouard Louis. Puis, en déménageant à Paris, elle avait lâché son emploi à mi-temps. Monique était devenue dépendante de cet autre homme, qui lorsqu’elle se disputait avec lui la menaçait de ne plus rien lui donner.
Monique s’émancipe
« Il était méchant sur l’argent aussi », se souvient-elle auprès de son fils. Elle avait hésité à quitter son HLM dans le Nord pour le rejoindre. « Mais non tu verras, on sera bien tous les deux, je prendrai soin de toi », lui avait-il répondu. Elle se souvient : « Quand il était bourré il me reprochait : ’Tu vis à mes frais ici je te rappelle.’ Si je prenais un morceau de beurre dans le frigo il me disait : ’Prend moins de beurre que ça se voit que c’est pas toi qui payes.’ »
Les quelques jours passés dans l’appartement de son fils la remettent sur pied et lui ouvrent les yeux. Plus question de se coltiner un homme. Elle a bien l’intention d’emménager seule. Une grande première pour elle, à 55 ans. Reste maintenant à savoir où elle va pouvoir vivre. Et avec quels moyens ?
Derrière ce nouveau récit d’émancipation, Édouard Louis ne pointe pas seulement du doigt la perte d’autonomie financière de sa mère à cause du patriarcat, il dénonce plus généralement l’impossibilité pour les femmes pauvres d’échapper à la violence de l’homme qui les tient prisonnières, sorte d’esclavage domestique.
« Il existe évidemment d’autres facteurs qui rendent la fuite impossible ou impensable, l’habitude, la peur d’une réaction violente, mais justement, est-ce que l’argent pourrait suffire à donner suffisamment d’assurance pour permettre de surmonter ces facteurs de paralysie et de renoncement ? » s’interroge l’auteur.
Le prix de la liberté
À la manière d’un apothicaire, il va calculer le prix de cette liberté. Combien d’euros faut-il pour un plein de courses par semaine ? Combien pour un appartement décent par mois ? Et pour l’aménager ? Comme Virginia Woolf cent ans plus tôt dans son essai emblématique Une chambre à soi, Édouard Louis estime que la liberté « n’est pas d’abord un enjeu esthétique et symbolique », mais « matériel et pratique ».
« Une chambre, un espace, des murs, une clé, de l’argent : c’est aussi ce qu’il fallait à ma mère, non pas pour devenir une écrivaine, mais pour devenir une femme plus libre et plus heureuse », écrit le fils de Monique. Son livre, tendre et émouvant, laisse transparaître toute l’admiration qu’il a pour sa mère courageuse.
Mais ce n’est toutefois pas une « glamourisation », ni un éloge de la fuite au sens romanesque. « Pourquoi certains doivent toujours courir, quand d’autres peuvent dormir ? Pourquoi certains doivent toujours lutter, quand d’autres doivent profiter ? […] Combien de désillusions pour chaque évasion ? » exhorte l’écrivain. Avant de générer le « Beau » , dit-il, la fuite est un fardeau. Et face à elle, nous ne sommes pas toutes et tous égaux
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