Niveau en mathématiques: CM1, CM2 et 6e en quatre ans pour les élèves en difficulté?
Les années de CM1, CM2 et 6e en quatre ans au lieu de trois? C'est l'une des propositions de l'Académie des technologies. Dans son avis rendu jeudi, cette société savante s'inquiète de la situation "alarmante" des mathématiques en France et formule ainsi neuf recommandations pour lutter contre l'échec et le décrochage scolaires.
Parmi celles-ci: proposer aux élèves en difficulté que la durée d'un cycle (soit trois ans) puisse être portée à quatre. Ce qui pourrait s'appliquer aux élèves en début ou en fin de cycle 2 - qui regroupe les classes de CP, CE1 et CE2 - mais aussi du cycle 3 - CM1, CM2 et 6e - ou encore du cycle 4 - 5e, 4e et 3e..
En clair, un enfant de CP ou de CE2, de CM1 ou de 6e pourrait donc être concerné. "Tout démarre dès les petites classes", explique pour BFMTV.com Alain Cadix, délégué aux compétences et à la formation de l'Académie des technologies. Mais il assure qu'il ne s'agit pas d'un redoublement. "C'est faire en quatre ans ce qui est proposé en trois."
"Ce serait une chance qui serait donnée à ces élèves, une chance supplémentaire de réussir."
Il y a quelques jours, le conseil scientifique de l'Éducation nationale publiait une note d'alerte dans laquelle il soulignait "l'inquiétante mécomprehénsion des nombres et surtout des fractions" chez les élèves entrant en 6e. L'année dernière, le président du CNRS jugeait aussi "très préoccupante" la situation des mathématiques en France. D'après l'enquête Timss, en mathématiques en CM1, la France est en queue de peloton de l'Union européenne, à la 40e place pour les pays de l'OCDE.
Un "contrat" avec les parents
Concrètement, il s'agirait d'un "contrat" passé avec les parents volontaires. Si les modalités pratiques d'une telle proposition ne sont pas tranchées, Alain Cadix envisage plusieurs possibilités. Cette année supplémentaire pourrait ainsi permettre "d'étaler" le programme scolaire de ces trois années sur quatre ans. Sur les temps libérés, "on pourrait accompagner individuellement les élèves pour les aider à progresser".
L'autre option, c'est de réserver cette quatrième année aux fondamentaux. "Mais il ne s'agirait pas de refaire la même chose avec les méthodes pédagogiques traditionnelles." En clair: du français, des mathématiques mais aussi de l'éducation physique "et des sciences", insiste Alain Cadix, également membre du conseil supérieur des programmes, avec des méthodes innovantes.
"Les mathématiques sont beaucoup plus compréhensibles lorsqu'elles sont mises en application avec des phénomènes physiques."
Alain Cadix regrette que les méthodes curatives ne consistent actuellement qu'à faire du "rattrapage". Comme l'heure hebdomadaire supplémentaire en français et en mathématiques pour les élèves de 6e, mise en place à cette rentrée. Et s'interroge sur les bénéfices d'un tel dispositif.
"On rajoute des heures à un emploi du temps qui est déjà très chargé."
"Une vue de l'esprit"
"C'est plus ou moins du reboublement", estime pour BFMTV.com Mélanie Guenais, vice-présidente de la Société mathématique de France. "Et on sait que le redoublement n'est pas efficace", ajoute-t-elle. Même si au cas par cas, "un redoublement peut marcher", nuance-t-elle, "au niveau statistique, ça n'a pas fait ses preuves."
"Prenons à 6 ans deux élèves faibles. L'un redouble le CP quand l'autre passe en CE1. Lorsqu'ils sont tous les deux en CM2, celui qui n'a pas redoublé a un meilleur niveau que celui qui a redoublé."
Alors qu'Alain Cadix plaide en faveur d'une "expérimentation" de sa proposition, la mathématicienne Mélanie Guenais, enseignante-chercheuse à l'Université Paris-Saclay, considère qu'imaginer qu'un tel dispositif soit applicable "est une vue de l'esprit".
"Dans un monde idéal, on pourrait imaginer que chacun apprenne à son rythme. Mais d'un point de vue pratique, je ne vois pas comment on pourrait mettre en œuvre quelque chose qui différencie les élèves et allonger les cycles d'un an."
Sans compter que cette progression au rythme de l'élève serait déjà en vigueur avec la répartition des programmes par cycles et non par niveau - un découpage des apprentissages en quatre cycles qui date de 2014. Si elle reconnaît que "sur le principe, c'est intéressant", l'allongement des cycles relèverait "d'une vision utopique des conditions réelles d'enseignement."
La formation des enseignants en question
Le problème est ailleurs, pointe Mélanie Guenais. Notamment la formation des enseignants. "Les professeurs plus fragiles sur les disciplines scientifiques ne sont pas accompagnés, pas formés alors que leur charge de travail s'est alourdie", déplore-t-elle.
Cette universitaire imagine ainsi, comme cela peut se faire dans d'autres pays, des enseignants spécialisés dans un champ disciplinaire particulier. "Un professeur avec une spécificité musique, un autre avec une spécialité sciences passerait dans toutes les classes de l'école."
Améliorer la formation des enseignants, un point d'accord avec l'Académie des technologies. Dans son avis, elle recommande également de faire de la formation initiale et continue des enseignants en mathématiques ainsi qu'en sciences et technologie "une priorité absolue de l'Éducation nationale".
"Il faut absolument que les professeurs des écoles aient un parcours de formation scientifique balisé pour être aussi à l'aise en mathématiques ou en sciences qu'en français ou en histoire", implore le représentant de l'Académie des technologies. S'il salue notamment les efforts du plan mathématiques, il regrette que les enseignants qui y participent soient volontaires - comme l'indique le suivi du plan mathématiques. Ce qui interroge Alain Cadix.
"Est-ce qu'un système en difficulté peut vraiment être redressé sur la base du volontariat?"