Nitrites : pourquoi les lobbys des charcutiers sont soupçonnés de cartel ?
L’Autorité de la concurrence soupçonne la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs et certaines grandes marques d’une pratique illégale.
Bientôt un jambon sans nitrites pour les plus riches et un jambon avec pour les pauvres ? C’est ce que redoute Foodwatch après les révélations du Canard enchaîné ce mercredi. Le journal explique que l’Autorité de la concurrence a perquisitionné le siège de la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs (FICT). Elle soupçonne cette dernière et certains de ses membres, dont des grandes marques, d’une entente sur le prix du jambon sans nitrites.
Qu’est-ce qu’une entente sur le prix ? C’est “un accord ou une action concertée qui a pour objet ou peut avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché de produits ou de services déterminés”, détaille la DGCCRF. Cette pratique est prohibée par le Code du commerce car la concurrence est la règle dans nos économies de marché. Elle pousse les acteurs à innover et à faire baisser les prix et est donc favorable aux consommateurs.
En France, le gendarme qui traque et sanctionne les ententes est l’Autorité de la concurrence. Elle est notamment chargée d’éviter les cas les plus graves d’entente, les cartels, qui peuvent conduire à une augmentation artificielle des prix de 20 à 30%.
Si "cette entente sur le prix des jambons sans nitrites est confirmée par l’Autorité de la concurrence, elle est tout simplement scandaleuse", estime Camille Dorioz, responsable de campagnes de Foodwatch. Le risque est en effet de creuser des inégalités entre ceux qui auraient les moyens de s’acheter de la charcuterie sans nitrites et les autres.
Les nitrites en question
La FICT, qui représente notamment les intérêts d’industriels de la charcuterie tels que Herta, Fleury Michon, Aoste ou Madrange, et de nombreuses grandes marques s’opposent à l’interdiction des nitrites dans les jambons depuis longtemps, rappelle foodwatch.
Ces substances sont présentes sous forme d’additifs, notamment dans les charcuteries, pour donner une couleur plus attrayante aux produits, raccourcir les délais de production, allonger leur durée de conservation ou encore pour lutter contre les risques de maladies liées à des bactéries (salmonellose, listériose, botulisme).
Aussi, "ils permettent de concocter des produits avec de la viande de moins bonne qualité", soulignait auprès de l'UFC-Que Choisir en 2021 Denis Corpet, directeur de recherche honoraire à l'institut national de la recherche agronomique (Inrae).
Mais ingérer des nitrites est aussi associé à un risque de cancer. Il existe “une association entre le risque de cancer colorectal et l’exposition aux nitrites et/ou aux nitrates (...). Plus l’exposition à ces composés est élevée, plus le risque de cancer colorectal l’est également dans la population”, conclut un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) du 12 juillet 2022.
VIDÉO - Guillaume Coudray : "Il faut dire clairement aux consommateurs qu'il y a des produits qui sont promoteurs du cancer colorectal. C'est le cas des charcuteries nitrées"
Malgré cela et à rebours de l’interdiction totale demandée par la Ligue contre le cancer, Foodwatch et Yuka, le plan d’action présenté aux industriels en mars dernier demandait aux industriels une baisse de 20% de l’utilisation de ces additifs.
"On a le jambon sans nitrites pour les plus riches et les produits avec des additifs nitrés moins chers : donc les risques de cancers accrus pour les pauvres", résume Foodwatch. Les industriels de la charcuterie tentent-ils de développer un marché à deux vitesses ? C’est désormais à l’Autorité de la concurrence de trancher.