"On ne peut pas rester au Mali à n'importe quel prix": la France s'interroge sur sa présence militaire

Soldats français de la force Takuba le 15 décembre 2021 à Ménaka, au Mali - THOMAS COEX / AFP
Soldats français de la force Takuba le 15 décembre 2021 à Ménaka, au Mali - THOMAS COEX / AFP

Entravés dans leur action militaire antijihadiste au Mali par une junte de plus en plus hostile, la France remet en cause sa présence dans ce pays, confirmant le climat d'incertitude dans la région. "Vu la rupture du cadre politique et du cadre militaire, nous ne pouvons pas rester en l'état", a averti vendredi le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian sur la radio RTL, en déplorant des "entraves" croissantes à la mission des "forces européennes, françaises, internationales".

"Nous devons constater que les conditions de notre intervention, qu'elle soit militaire, économique, politique, sont rendues de plus en plus difficiles", déclare ce samedi sur France Inter la ministre des Armées Florence Parly. Elle insiste: "On ne peut pas rester au Mali à n'importe quel prix."

De fortes tensions avec le Mali

Les relations sont devenues exécrables entre Bamako et les Européens, alignés sur la Cédéao (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) qui a adopté des sanctions contre la junte malienne. Celle-ci est accusée d'avoir fait appel aux services du sulfureux groupe de mercenaires russes Wagner - ce qu'elle dément.

La junte a remis en cause les accords de défense liant Bamako à Paris et vient d'exiger des forces danoises, venues grossir les rangs du groupement européen de forces spéciales Takuba, de quitter le pays. Une "humiliation", jugent plusieurs sources françaises proches du dossier.

"Désormais nous lançons une concertation avec nos partenaires pour évaluer la situation et adapter notre dispositif à la nouvelle donne", a déclaré Jean-Yves Le Drian vendredi après-midi avec son homologue néerlandais Wopke Hoekstra. "Nous voulons tous poursuivre ce combat, nous sommes unis par rapport à cet objectif, il nous faut désormais en déterminer les nouvelles conditions", a également déclare Florence Parly.

Toutefois, une éventuelle reconfiguration du dispositif antijihadiste militaire français et européen sera "une décision collective" après "des discussions et avec nos partenaires africains et avec nos partenaires européens", a prudemment souligné le chef de la diplomatie française, sans prononcer le mot de retrait.

Le départ des troupes françaises "n'est pas pour le moment sur la table"

Réponse cinglante du ministre malien des Affaires étrangères Abdoulaye Diop : "Le Mali non plus n'exclut rien par rapport à ces questions si ça ne prend pas en compte nos intérêts", a-t-il dit à Radio France Internationale et France 24.

Trine Bramsen, la ministre danoise de la Défense a expliqué que les pays participant à Takuba prendraient une décision d'ici deux semaines. "Les pays prendront dans les 14 prochains jours une décision sur ce à quoi devrait ressembler le futur de la lutte contre le terrorisme au Sahel", a-t-elle dit, citée par l'agence danoise Ritzau, après une réunion virtuelle des ministres de Takuba, qui déploie 800 militaires au Mali. "Nous cherchons une approche conjointe", a déclaré à Paris Wopke Hoekstra.

Côté Malien, demander le départ des troupes françaises "n'est pas pour le moment sur la table", a dit Abdoulaye Diop. Cependant, "si une présence à un moment donné est jugée contraire aux intérêts du Mali, nous n'hésiterons pas à nous assumer, mais nous n'en sommes pas là".

Depuis six mois, la France a entamé une réarticulation de son dispositif militaire au Mali, en quittant ses trois bases les plus au nord. Ses effectifs, de plus de 5000 militaires au Sahel l'été dernier, ont décru avec l'objectif affiché de n'en garder que 2500 à 3000 d'ici 2023.

Une réduction de voilure compensée par l'arrivée de renforts européens au sein du groupement de forces spéciales Takuba, créé à l'initiative de Paris pour partager le fardeau antijihadiste au Mali et recentrer les efforts sur l'accompagnement au combat des soldats maliens. Symbole d'une Europe de la défense chère à Emmanuel Macron, ce groupement est aujourd'hui dépendant du bon vouloir de la junte malienne pour exister.

Empêcher "des sanctuaires djihadistes et terroristes" de se constituer

Mais le désengagement des militaires français au Mali "prendra des mois, si tant est que ce soit décidé", et ce n'est "pas à l'ordre du jour à ce stade", a commenté l'état-major.

Sur le terrain, les groupes djihadistes affiliés, selon les zones, à Al-Qaïda ou au groupe État islamique, ont conservé un fort pouvoir de nuisance malgré l'élimination de nombreux chefs. Et les violences se sont propagées au Burkina Faso et au Niger voisins, avant de descendre vers le sud, dans le nord de la Côte d'Ivoire, du Bénin et du Ghana.

876450610001_6293821313001 "Nous avons éprouvé sur notre territoire national le prix des attentats, des Français l'ont payé de leur vie, donc nous ne pouvons pas nous permettre de voir se constituer ou se reconstituer des sanctuaires djihadistes et terroristes dans cette zone du monde", a déclaré Florence Parly. "C'est pour cela que, à la demande du Mali, la France a répondu à cet appel en 2013".

Paris est engagé militairement depuis 2013 au Mali, au prix de 48 morts (53 au Sahel) et de milliards d'euros. De sources concordantes, des réflexions sont en cours sur la création d'un poste de commandement français pour superviser les activités de coopération militaire en Afrique de l'Ouest.

Article original publié sur BFMTV.com