Narcos Mexico : Miguel Angel Felix Gallardo, un baron de la drogue encore bien mystérieux

AlloCiné : Avant d'être le narcotrafiquant que l'on connaît, Miguel Angel Felix Gallardo a débuté en tant que policier. Savons-nous à quel moment il est passé de l'autre côté et la raison ?

Thierry Noël : Né en 1946 dans le Sinaloa, cœur historique du narcotrafic mexicain, Miguel Angel Felix Gallardo a en effet débuté sa carrière dans la police avant de devenir au cours des années 1960 garde du corps et homme de confiance du gouverneur local de l’époque. On pense que c’est à cette époque justement qu’il a commencé à jouer pour ce dernier le rôle d’intermédiaire et de collecteur de pots de vin auprès de la pègre locale, en particulier celle liée au trafic, avant de devenir trafiquant lui-même ! Ce qui malheureusement –et encore aujourd’hui- n’a rien d’extraordinaire pour des policiers qui en travaillant au contact des narcos finissent souvent par franchir le pas…

Est-ce qu'il n'est pas au final le résultat d'une politique agressive (l'opération Condor) à travers laquelle les soldats se donnaient tous les droits pour mettre le feu aux plantations des paysans et à user de violence - ou pire, un monstre créé par le système ?

Au milieu des années 1970, la funeste opération Condor lancée par le Mexique et les Américains contre le trafic a en effet joué un rôle important pour lui : en dehors de résultats nuls en termes de lutte contre le narcotrafic et d’abus en tout genre contre la population locale, elle a éliminé nombre de petits trafiquants indépendants ainsi que certains anciens patrons du milieu. C’est tout naturellement que Félix s’est retrouvé propulsé à la tête du trafic local restructuré, sûrement grâce à ses nombreux contacts dans la région, mais aussi à de nouveaux contacts qu’il a su nouer au niveau fédéral, en particulier avec la police politique, la tristement fameuse Division Fédérale de Sécurité (DFS). Celle-ci s’est en effet mise à chapeauter le trafic de drogues, avec pour premier intermédiaire Miguel Angel Félix Gallardo, ce qui a donné naissance au Cartel de Guadalajara, le premier grand Cartel du pays.

Pourquoi l’appelait-on le Parrain ?

A l’instar de leurs confrères colombiens, les narcotrafiquants mexicains ont vite adopté le vocabulaire mafieux popularisé par le succès planétaire des films de Coppola dans les années 1970. Les chefs sont devenus les capos et le leader du Cartel de Guadalajara, El Padrino, le Parrain en espagnol. A noter qu’on le surnommait aussi El Jefe des Jefes, version hispanique de capo di tutti capi, titre supposé des chefs de la Mafia sicilienne.


Dans Narcos : Mexico, Diego Luna prête ses traits au baron de la drogue Miguel Angel Felix Gallardo.

Si on devait le comparer à Pablo Escobar ou aux frères Rodriguez : en quoi était-il différent ? Quels sont ses traits de personnalité ? Qu'est-ce qui le rendait redoutable ?

On sait très peu de choses de Félix qui a toujours été avare en interviews et croupit en prison depuis 1989. Il a en tout cas laissé l’image d’un homme très réservé, très strict et toujours tiré à quatre épingles dans un milieu où la gouaille et les excès en tout genre sont normalement la règle. Conservateur et bon Catholique, il a mené le Cartel d’une main de fer, parfois même sanguinaire, mais toujours dans la discrétion. En cela, il est bien sûr très différent d’un Pablo Escobar qui aimait qu’on parle de lui, avait des ambitions politiques et sociales et se donnait l’image d’un bandit populaire. En fait, Félix ressemble beaucoup plus aux sinistres frères Rodríguez du Cartel de Cali qui ont toujours posé comme d’honorables hommes d’affaire, tout en faisant preuve d’une cruauté sans limites.

Pourquoi c'est un narcotrafiquant dont on entend peu parler et qui a été peu incarné au cinéma ou à la télévision ?

Il y a en général peu d’œuvres de fiction concernant le narco mexicain, du moins jusqu’au récent regain d’intérêt dont ce sujet fait l’objet. De plus, dans la galerie des personnages de ce milieu sordide, et en dehors du peu d’informations dont on dispose à son propos, Félix n’est certainement pas celui qui dégage le plus de glamour ou de charisme, indépendamment de tout point de vue moral. C’est un monstre froid, calculateur et cynique, là où certains de ses associés comme Rafael Caro ou Ernesto Fonseca, Don Neto, correspondent beaucoup plus à l’idée que l’on se fait de narcos fantasques et délirants.

Il a en tout cas bien su jouer de la corruption du milieu politique local, sans jamais commettre l’erreur, comme Escobar, de prétendre devenir un politique lui-même.

Dans quoi a-t-il été le précurseur ?

Félix est le père du narcotrafic moderne au Mexique, par le fait qu’il a dirigé et organisé le premier Cartel en tant que tel. Et il a lancé ce dernier, notamment par l’intermédiaire de Pablo Escobar, dans l’ère beaucoup plus bénéfique financièrement parlant du trafic de cocaïne venue du Sud. Il a été donc été le précurseur des Grands Cartels mexicains qui ont suivi, ainsi que le premier patron de gens comme Joaquin El Chapo Guzmán. Félix a donc une part de responsabilité certaine dans le désastre du narcotrafic au Mexique à l’heure actuelle.


Miguel Angel Felix Gallardo croupit toujours en prison. Il est âgé de 72 ans.

Alors qu'Escobar a raté ses débuts en politique (il a même été conspué), Gallardo semble avoir développé de véritables connexions avec des hommes politiques. Que savons-nous exactement de ses liens avec les personnalités les plus hauts placés du pays ?

Malgré nombre de scandales et d’enquêtes, les relations exactes de Félix et de son cartel avec le milieu politique, en dehors du niveau local, sont encore en grande partie secrètes. Et Félix lui-même a su garder le silence à ce propos alors qu’on fait toujours bien attention à le maintenir dans un grand isolement. Toutefois, il est bien sûr évident, notamment du fait de sa relation avec la DFS ou de policiers de premier plan que ses contacts remontaient très haut dans l’Etat mexicain. Après le scandale causé par SPOILER l’assassinat de l’agent de la DEA Enrique Camarena en 1985, dans lequel il a trempé, il a encore bénéficié de protections durant quatre ans, avant finalement que l’on se décide à l’arrêter, tout en prenant garde de ne pas l’extrader vers les Etats-Unis où il aurait peut-être été tenté de parler… FIN SPOILER Il a en tout cas bien su jouer de la corruption du milieu politique local, sans jamais commettre l’erreur, comme Escobar, de prétendre devenir un politique lui-même.

Narcos : Mexico est disponible sur Netflix depuis le 16 novembre :