"Je n'ai pas peur de la macronie": Rachel Kéké, l'insoumise qui veut faire "rentrer la vraie vie" à l'Assemblée

Dans l'hémicycle, Rachel Kéké l'a lancé "haut et fort" à la macronie, en plein débat sur la réforme des retraites. "Pour vous qui êtes pour la retraite à 64 ans, vous ne comprenez pas la dure vie des gens et vous n'avez pas le droit de mettre à genoux les gens qui tiennent la France debout", a-t-elle plaidé.

Avec un certain succès: depuis que cette ex-femme de ménage a fait entrer les métiers pénibles à l'Assemblée nationale, ses interventions crèvent l'écran et accumulent les centaines de milliers de vues sur les réseaux sociaux, tout en agaçant dans les rangs de la majorité présidentielle.

"C'est ma force de connaître la vraie vie", estime Rachel Kéké, interrogée par BFMTV.com. "Je suis élue pour faire entendre ceux dont on ne parle jamais et qui font tourner la France tous les jours."

"Pas douté un instant de mes capacités"

Son parcours d'ancienne gouvernante de l'Ibis-Batignolles à Paris qui a fait plier le géant hôtelier Accor après une grève de 22 mois fait l'unanimité parmi ses collègues insoumis. Celle qui a battu l'ex-ministre des Sports Roxana Maracineanu lors des dernières législatives s'appuie sur son expérience pour ferrailler contre la réforme.

"Elle est incroyable", se félicite Éric Coquerel, le président LFI de la commission des Finances de l'Assemblée nationale. "On est tous très fiers." La députée Aurélie Trouvé salue "une très grande leader syndicale", quand sa collègue Caroline Fiat fait l'éloge de ses "mots si justes, si vrais, magnifiques à entendre dans la maison du peuple".

Preuve de la confiance de son mouvement: cette mère de 5 enfants a été désignée comme l'une des chefs de file du groupe insoumis pour mener la bataille contre la réforme des retraites.

"Je n'ai pas douté un instant de mes capacités", assure Rachel Kéké. "J'ai lutté contre Accor donc je n'ai peur de la macronie."

"Je savais bien que que le texte était technique mais je n'ai pas besoin de technicité pour expliquer la vie des gens et montrer les conséquences de la retraite à 64 ans", avance la députée du Val-de-Marne.

"Qui d'entre vous a déjà fait un métier pénible ?"

Résultat: des prises de parole très calibrées, toujours postées par ses collaborateurs parlementaires, dont plusieurs sont d'anciens journalistes, et qui sont très partagés sur les réseaux.

"Moi, je la suis sur TikTok", remarque Toukara Kaoundé, l'une des anciennes compagnes de lutte syndicale de Rachel Kéké, qui l'a récemment croisée lors du procès d'un syndicaliste.

"C'est très puissant pour nous de voir nos combats autant relayés", estime-t-elle. "Des gens qui ne connaissent rien à nos métiers peuvent maintenant comprendre."

Parmi les prises de parole de son ancienne collègue, l'une a particulièrement marqué les députés macronistes. "À tous les ministres et les députés qui sont favorables pour faire travailler les gens jusqu'à 64 ans, (...) qui d'entre vous a déjà fait un métier pénible ?", a demandé à la cantonade l'ex-gouvernante lors de l'ouverture des débats sur la réforme dans l'hémicycle. Des propos salués par une standing ovation de la part de son camp.

Des macronistes qui ne veulent pas "suréagir"

Sur les bancs de la majorité, le malaise était palpable pendant cette interpellation.

"On savait qu'elle allait parler. On s'était tous un peu dit qu'on n'allait pas surréagir", confie un député Renaissance.

Il faut dire qu'une scène assez proche avait eu lieu quelques jours plus tôt en commission des Affaires sociales. "Vous méprisez le peuple avec des mesures vides", accuse alors la quadragénaire en ciblant l'exécutif et la majorité. "Vous méprisez les femmes, les seniors, les handicapés."

"Personne ici n'a jamais fait 40 lits dans un hôtel", avance encore l'ancienne femme de chambre. "Mais si, mais si", lui répondent des élus macronistes. "On lavait des voitures", lance même l'un d'eux. "Envoyez-moi vos CV, je vais voir", rebondit, cinglante, Rachel Kéké.

Réponse de Fadila Khattabi, la présidente Renaissance de la commission: "Personne ne méprise personne ici. Nous sommes tous des élus du peuple."

"Marre de ses leçons de morale"

Dans les rangs de la macronie, on n'apprécie guère ces séquences. Les prises de parole de Rachel Kéké font d'autant plus désordre qu'Emmanuel Macron est régulièrement taxé de mépris et de déconnexion par ses adversaires politiques.

"On est là pour faire la loi, pas pour faire 'vis ma vie'. On en a marre à la fin de ses leçons de morale", s'agace ainsi un poids lourd de la majorité présidentielle.

Les critiques se font cependant mezza voce à Renaissance. Aucun député n'ose vraiment critiquer frontalement ses interventions. Il faut dire que le président a passé la consigne à ses lieutenants de faire preuve d'"humilité" et de pédagogie" sur la réforme des retraites.

Pas question donc d'attaquer bille en tête le symbole que peut représenter Rachel Kéké. Seule la députée des Yvelines Nadia Hai lui a fait remarquer dans l'hémicycle que c'était elle "qui manquait de respect aux parcours" des élus Renaissance.

"Je sais bien que je dérange et c'est normal", répond Rachel Kéké. "Les macronistes sont gênés quand on leur montre les conséquences des 64 ans."

La parlementaire assure cependant que "des avocats" et des "médecins" de la majorité présidentielle viennent la voir pour connaître les réalités de son ancien métier - sans citer de noms.

Les encouragements d'une députée RN

Autre preuve pour elle que son parcours rappelle "la dure réalité de la vie" à l'Assemblée: elle raconte une scène à la cantine du Palais-Bourbon, quelques semaines après son arrivée dans l'hémicycle. Une dame s'assied à côté d'elle pendant son déjeuner. "Votre élection me rend heureuse. Vous méritez d'être là", lui glisse-t-elle à l'oreille.

Rachel Kéké dit avoir réalisé quelques jours plus tard qu'il s'agissait en réalité d'une élue RN - là encore, sans vouloir préciser son identité. Du côté du groupe de Marine Le Pen, on assure pourtant ne pas voir de qui il pourrait s'agir.

"On est des députés avec nos histoires personnelles, mais j'aimerais qu'on ne serve pas pour dire qu'on a réussi à faire élire des gens du peuple", regrette même Lisette Pollet, devenue députée RN en juin dernier, après des années à faire le ménage dans une école primaire de la Drôme. "On a tous été élus par le peuple. C'est trop réducteur de la renvoyer à chaque fois à ce qu'elle faisait avant."

"On défend les gens, peut-être, mais, on ralentit surtout le travail parlementaire", s'agace encore l'élue RN.

"Tout ne peut pas se résumer à notre vécu"

Dans les rangs socialistes, où certains regardent avec circonspection les prises de parole de la députée insoumise, certains ne sont pas tendres et l'invitent à ne pas passer "cinq ans en boucle sur le même sujet".

"On est député avant d'être prof, ouvrier ou agriculteur. Tout ne peut pas se résumer à notre vécu", tance ainsi un élu PS, peu fan des insoumis.

L'argument passe mal pour l'insoumise Caroline Fiat, aide-soignante, qui se fait régulièrement le relais de ses anciennes collègues dans l'hémicycle. "On m'a déjà demandé d'arrêter de faire du Victor Hugo", avance la députée. "Mais c'est ma vie et c'est ça qui fait ce que je suis aujourd'hui. Les gens ont l'impression que je parle comme eux et c'est ce qui fait aussi que Rachel est autant aimée"

Rachel Kéké se défend, elle, de se limiter à son seul parcours. Depuis son arrivée à l'Assemblée nationale, elle s'est ainsi exprimée sur le Smic, le logement indigne et se prépare à lutter contre le futur projet de loi sur l'immigration qui arrivera prochainement dans l'hémicycle.

"Je m'exprime sur tous les sujets avec toujours la volonté de parler des plus fragiles, des invisibles", assène la députée.

Avec un avantage pour le mouvement: sortir de l'image souvent associée à ses collègues députés, dont une partie sont des professionnels de la politique - le groupe insoumis comporte d'ailleurs aussi une large partie de cadres et de professions intellectuelles dans ses rangs.

"On a un groupe pluriel", résume le député LFI Hadrien Clouet, sociologue. "Des gens très techniques et spécialistes et d'autres qui font des interventions prolétariennes comme celle de Rachel." De quoi permettre au mouvement d'alterner entre "colère" dans l'hémicycle et "travail de fond", en pleine réflexion du parti de Jean-Luc Mélenchon sur la stratégie à adopter face à la réforme des retraites, dont l'examen s'achève ce vendredi à l'Assemblée.

Article original publié sur BFMTV.com