"Ma moyenne a chuté": comment les alertes à la bombe ont chamboulé la scolarité de ces élèves

C'est devenu une insupportable routine. Lundi 5 février, les collégiens de Miramas ont dû quitter leurs classes pour se rassembler dans le gymnase de leur collège, après une nouvelle alerte à la bombe. Cet appel malveillant est le dernier d'une longue série qui a commencé le 12 octobre.

Dans cet établissement des Bouches-du-Rhône, ces appels répétés mettent "en situation de stress les élèves et toute la communauté éducative", explique à BFMTV.com Nicolas Bernard-Ayrault, enseignant et syndicaliste Snes-FSU.

"Les professeurs ne se sentent plus en sécurité", assure-t-il, au point que ces derniers ont exercé leur droit retrait en janvier après une menace particulièrement grave.

"Une kalash et des explosifs"

Au téléphone, quelqu'un qui se présentait comme un ancien élève du collège, où il disait avoir subi du harcèlement, annonçait vouloir se venger avec "une kalash et des explosifs".

"En tant que parents d'élèves, nous avons peur. On ne sait pas vraiment si les menaces sont fondées jusqu'au bout. On arrive à un stade où on a peur de déposer les enfants au collège", a témoigné Mélissa pour BFM Marseille Provence.

L'attaque du Hamas en Israël et le conflit qui en découle, puis l'assassinat du professeur Dominique Bernard à Arras semblent avoir été les déclencheurs de cette vague d'alertes à la bombe dans l'Hexagone.

Les établissements scolaires sont les cibles privilégiées de ces menaces proférées par mail ou au téléphone. L'Éducation nationale en a dénombré 800 rien qu'entre septembre et novembre 2023. Contacté, le ministère n'avait pas de nouveaux chiffres à nous communiquer.

Cinq mois après, le phénomène s'est un peu tari mais est encore loin d'avoir disparu. Un coup d'œil à la presse régionale suffit pour s'en convaincre: pas une semaine ne se passe en France sans qu'un collège ou un lycée ne doive faire sortir ses élèves par mesure de sécurité.

80 heures de cours perdues

Pour une raison que les enquêteurs cherchent encore à déterminer, le sort s'acharne sur certains établissements, jusqu'à complétement destructurer la scolarité des élèves.

Le lycée Champlain, à Chennevières-sur-Marne, détient la triste palme du plus grand nombre d'alertes. L'établissement du Val-de-Marne en a reçu une vingtaine entre la fin septembre et la mi-novembre.

"C'était devenu une habitude. À chaque d'alerte, on entendait l’alarme et tout le monde devait évacuer pour laisser rentrer les policiers avec leurs chiens. On reprenait 2 à 3 heures après ou on rentrait chez nous", se souvient Émilie*, élève de seconde au lycée Champlain.

"Au début, ça me faisait un peu plaisir de rater les cours", confesse auprès de BFMTV.com sa camarade Estelle, "mais au bout de la troisième fois c'est devenu lourd".

Avant les vacances de la Toussaint, il est décidé de faire classe en distanciel. Mais même à distance, les cours sont perturbés. Faute de sécurité informatique suffisante, l'espace numérique de travail subit les intrusions de personnes mal intentionnées.

À la rentrée de novembre, les alertes reprennent. Des mesures drastiques sont alors mises en place. "Pour éviter d'évacuer tout le monde à chaque fois, la direction de l'établissement et la police ont instauré une inspection préventive des classes, chaque matin à 6h30", indique Laurent Bayssiere, enseignant et syndicaliste Se-Unsa dans le Val-de-Marne. Le contrôle des sacs est également renforcé pendant plusieurs semaines.

Malgré ces efforts, plus de 80 heures de cours ont été perdues. La situation du lycée Champlain est évoquée jusque dans l'hémicycle, où la députée du Val-de-Marne Maud Petit interpelle le gouvernement sur la nécessité de maintenir une "continuité pédagogique" pour ces élèves.

"Les profs accélèrent le rythme"

Encore aujourd'hui, les conséquences de ces interruptions de cours se font ressentir chez de nombreux élèves. "J'ai des difficultés en mathématiques et c'est compliqué de suivre parce que les profs accélèrent le rythme pour rattraper le programme", souffle Émilie.

"Ma moyenne a chuté, je suis passé de 15 à 11 en un mois", ajoute sa camarade Estelle, qui se dit pourtant bonne élève. Dans sa classe, "on a tous vu nos notes baisser d'au moins deux points". Une situation qui tracasse ces élèves de seconde: "c'est une classe décisive pour la suite, on a la pression pour nos évaluations".

Possibilité pour le enseignants de rattraper des heures le mercredi après-midi et le samedi matin, dispositif "école ouverte" pendant les vacances... Le lycée Champlain multiplie les initiatives pour rattraper le retard et combler les écarts entre les classes, touchées de façon inégale par les alertes. Le rectorat, de son côté, a alloué une dotation d'heures supplémentaires au lycée pour financer ce soutien scolaire.

Mais les parents restent inquiets pour l'avenir de leurs enfants, particulièrement ceux qui passent le bac. Alors que Parcoursup est déjà vu comme générateur de stress pour les élèves et leur famille, la question des notes rajoute à l'incertitude.

"On n'est pas sûr que ce qui va sortir sur la plateforme reflète vraiment le niveau des élèves de terminale", s'interroge Marie Auffray, présidente de l'ACIPE, une association de parents d'élèves du lycée Champlain.

Pour minimiser l'impact sur les résultats, l'établissement a choisi de basculer en semestre. "Ça signifie que sur Parcoursup, il n'y aura pas deux notes pour deux trimestres mais une seule. On ne sait pas encore quel impact cela aura", ajoute Marie-Noëlle Léger, membre de l'association et élue au conseil d'administration du lycée.

Pour prévenir les recruteurs, "on a demandé à ce qu'il y ait une mention précisant que ces élèves ont eu une scolarité perturbée", indique la parent d'élève.

Une période angoissante

Au-delà des difficultés scolaires, de nombreux élèves ont vu leur santé mentale affectée par cette période d'incertitude où chaque heure de cours pouvait être interrompue.

Si elle estime avoir su prendre du recul sur la situation, Estelle explique avoir vu au moins deux camarades "faire des crises de panique en plein milieu du cours et partir à l'infirmerie".

"La plupart des jeunes n'en ont pas souffert mais certains ont développé des angoisses ou de la phobie scolaire", confirme Laurent Bayssière, du syndicat SE-Unsa.

"Il ne nous parlait plus"

Le climat anxiogène, marqué par le risque d'attentat terroriste et les tensions liées au conflit en Israël, a déstabilisé les enfants les plus fragiles. Éric et Sophie, parents de Lucas, en première au lycée Champlain, en ont fait l'expérience.

Au fur et à mesure que les alertes à la bombe se multipliaient, ils ont vu leur enfant "se refermer sur lui-même".

"Il était déjà inquiet à la rentrée car il n'avait pas eu la spécialité qu'il voulait. Mais avec les alertes, son état a empiré. Il ne nous parlait plus, s'enfermait dans sa chambre", raconte sa maman Sophie, qui décrit un enfant "auparavant très joyeux".

Angoissé par l'actualité, "Lucas passait son temps à regarder les infos à la télé. Il n'arrivait plus à travailler." "C'est un enfant qui a besoin du contact avec le professeur pour apprendre. Avec toutes les alertes, c'est devenu impossible", ajoute son père.

Après des consultations chez le médecin, le psychologue puis le psychiatre, l'adolescent est hospitalisé fin décembre. Les médecins lui diagnostiquent une "dépression aiguë", jugée "pas habituelle pour son âge".

Début février, le lycéen a pu rentrer chez lui. Maintenant que les alertes ont cessé au lycée Champlain, ses parents espèrent enfin tourner la page de cette période difficile: "On va rencontrer l'équipe pédagogique à la rentrée pour lui permettre de reprendre les cours, petit à petit".

*Les prénoms ont été modifiés.

Article original publié sur BFMTV.com