Comment "La mort de Spirou" entend moderniser un vieux classique de la BD
Spirou a-t-il une place dans le monde d'aujourd'hui? C'est la question posée par La Mort de Spirou, nouvel album signé Olivier Schwartz (dessin), Sophie Guerrive et Benjamin Abitan (scénario) où le célèbre groom meurt avant d'être remplacé par un personnage féminin.
Une opération marketing savamment organisée pour relancer une licence vieille de 80 ans, qui peine aujourd'hui à retrouver son succès d'antan. "Puisqu'il a du mal à se reconnecter avec le lecteur, précisément parce qu’il n’est pas à sa place dans notre monde en perpétuelle évolution, il fallait que l'on pose la question dans cet album", explique Stéphane Beaujean, éditeur de l'album aux éditions Dupuis.
Déjà auteur de trois albums de Spirou (Le Groom vert-de-gris, La Femme léopard et Le Maître des Hosties Noires), Olivier Schwartz n'a pas été choqué d'apprendre la décision de l'éditeur de tuer Spirou. "Je trouvais que c'était pas mal", confie-t-il. "Ça ne m'a pas choqué plus que ça. Au contraire, j’adore. C’est amusant. Et puis il y a tout eu avec Spirou. On peut tout faire avec lui."
Référence à "La Mort de Superman"
Raconter la mort de Spirou reste malgré tout un véritable défi. En France, les figures de la BD franco-belge ne meurent jamais, à l'exception de Buddy Longway, héros d'un western culte de Derib (Yakari). Les Américains sont en revanche les spécialistes du genre: de Phoenix des X-Men dans The Dark Phoenix Saga à Superman dans La Mort de Superman, ils ont multiplié les mises en scène sacrificielles de leurs héros, pour renforcer leur aura.
La couverture de La Mort de Spirou fait écho à ces œuvres, précise Stéphane Beaujean: "Le costume vide qui flotte dans un environnement, c’est vraiment une référence à la cape de Superman, mais on l'a réinterprété, parce qu’on ne voulait pas être littéral et didactique." "J’aime bien l’idée qu’il n'y ait pas Spirou en couverture", ajoute Olivier Schwartz.
Comment mettre en scène un moment aussi important que la mort de Spirou? Avec une forme de cruauté teintée de tristesse. Olivier Schwartz, Sophie Guerrive et Benjamin Abitan ont opté pour une séquence sous-marine où Spirou se noie par la faute de Fantasio, qui n'a pas partagé avec lui une potion capable de les faire respirer sous l'eau. Une séquence qui fait écho à une autre, culte, de l'album La Vallée des bannis (1989) de Tome et Janry, où Fantasio sauve in extremis Spirou de la noyade.
Dessiner la mort de Spirou
Tuer d'une manière aussi peu glorieuse un personnage aussi important dans l'histoire de la bande dessinée est une provocation, accentuée par le choix de ne pas "jouer les codes de la grande tragédie", se félicite Stéphane Beaujean. "Il meurt parce qu’il est victime des erreurs de son coéquipier tout le temps." Même James Bond a eu une meilleure mort dans Mourir peut attendre (2021).
"Franquin n’aurait jamais fait quelque chose de trop larmoyant", explique Stéphane Beaujean. "Et les auteurs n'étaient pas trop pour, car dans la BD jeunesse, quand il y a un mort, il y a de la tristesse, mais on ne le dramatise pas comme une série Netflix ou dans un comics. On savait qu'il ne fallait pas marteler la tristesse et éviter l'emphase dramatique." Le regard de Spirou, au moment précis de sa mort, reste déchirant. "C’était dur à faire", concède Olivier Schwartz. "J'en ai chié."
Étonnamment, la mort de Spirou provoque peu de remous dans les dernières pages de l'album. Mis à part Fantasio, qui fond en larmes, les autres personnages accueillent la nouvelle avec résignation. "Sa perte ne change pas grand-chose. C’est bizarre", acquiesce Olivier Schwartz. Même Spip semble imperméable à sa mort. Dans une scène particulièrement cruelle, Spip marche aux côtés de Fantasio, grimé en groom, et se demande: "Ce type en rouge me dit quelque chose... Comment s'appelle-t-il déjà?"
Spirou est bel et bien mort
Sur le groupe Facebook des Amis de Spirou, les débats font rage. De nombreux lecteurs dénoncent un coup marketing. "Si Dupuis tente (avec quelques difficultés) de ressusciter Gaston, ce n'est pas pour tuer définitivement Spirou dans la foulée. Ne soyons pas naïfs", écrit ainsi un fan. "Le tome 2 vaudra donc son pesant de cacahuètes (et de noisettes pour Spip) pour savoir comment les scénaristes s'en sont sortis pour nous ramener notre héros favori."
Mais pour les éditions Dupuis, Spirou est bel et bien mort. "Il est vraiment mort", insiste Olivier Schwartz. "Et ce n'est même pas un multivers. Il est mort. Je ne sais pas comment expliquer ça sans en dévoiler plus. Il est vraiment mort." Spirou continuera en revanche de vivre des aventures de papiers dans des collections parallèles comme "Spirou vu par..." Le 25 novembre, on le retrouvera ainsi dans Spirou chez les fous, un pastiche signé Jul (scénario) et Lobin (dessin).
L'ensemble de ces titres est réuni sous le titre de "Spirou-verse", inspiré par le film Spider-Man: Into the Spider-Verse, confie Stéphane Beaujean: "C’est quelque chose qui va se construire à partir de maintenant. Le monde de Spirou devenait un peu cacophonique pour les libraires entre la série-mère, les 'Spirou vu par...', etc. Ça explique en partie la difficulté qu’on a aujourd’hui à retrouver le succès d’antan avec Spirou. Il est un peu illisible. Il a fallu trouver un moyen d’organiser cet univers."
La suite de La Mort de Spirou est déjà sur les rails. Sortie prévue en 2023 pour le tome 57. La suite de l'aventure se déploiera sur deux autres tomes, qui seront des histoires complètes, reliées par ce fil conducteur de la disparition du groom. Impossible pour le moment de savoir ce que ces albums réserveront. "Je ne peux pas tellement en parler", assure Stéphane Beaujean. "Il va y avoir beaucoup de rebondissements. Le prochain tome va proposer autant de surprises que dans La Mort de Spirou."