Mort de Nahel : qu’est-ce que l’état d’urgence, cette mesure envisagée par Élisabeth Borne ?

Pour rétablir « l’ordre républicain » en France, « toutes les hypothèses », dont l’instauration de l’état d’urgence, sont envisagées par l’exécutif, a déclaré Élisabeth Borne ce vendredi 30 juin lors d’un déplacement dans l’Essonne.
Pour rétablir « l’ordre républicain » en France, « toutes les hypothèses », dont l’instauration de l’état d’urgence, sont envisagées par l’exécutif, a déclaré Élisabeth Borne ce vendredi 30 juin lors d’un déplacement dans l’Essonne.

FRANCE - Émeutes, pillages, affrontements avec les forces de l’ordre… Depuis la mort de Nahel, un adolescent de 17 ans tué par balle mardi 27 juin à Nanterre par un policier après un refus d’obtempérer, les nuits ont été émaillées de violences dans de nombreuses villes de l’Hexagone. De quoi pousser la droite et l’extrême droite, d’Éric Ciotti à Éric Zemmour, à réclamer la mise en place d’un régime d’exception : l’état d’urgence.

Une possibilité envisagée par la Première ministre Élisabeth Borne, selon qui « toutes les hypothèses » sont envisagées pour rétablir « l’ordre républicain », mais qui ne semble pas privilégiée par Emmanuel Macron. À l’issue d’un deuxième Conseil de crise interministériel ce vendredi 30 juin, le président a en effet déclaré que des « moyens supplémentaires » allaient être déployés par l’Intérieur, mais n’a pas annoncé d’état d’urgence.

Du moins pour le moment. Car si les violences continuaient à prendre de l’ampleur, l’option pourrait bien revenir sur la table. À quoi sert cette mesure controversée déclenchée seulement six fois depuis 1955 et la Guerre d’Algérie, et quels pouvoirs supplémentaires donne-t-elle à l’exécutif ? Le HuffPost fait le point.

• Un régime qui renforce le pouvoir des autorités civiles…

C’est son objectif premier. Lorsqu’un péril est jugé suffisamment grave pour la Nation, que ce soit en cas de « calamité publique », comme une catastrophe naturelle, ou de graves troubles à l’ordre public, l’exécutif peut instaurer l’état d’urgence sur tout ou partie du territoire à l’aide d’un décret voté en Conseil des ministres. Il renforce ainsi considérablement le pouvoir des autorités civiles (et non militaires).

Cette mesure permet notamment aux préfets et au ministre de l’Intérieur d’interdire plus facilement des manifestations, cortèges, défilés et rassemblements de personnes, de mettre en place des périmètres de protection pour assurer la sécurité d’un lieu, ou encore d’ordonner la fermeture de lieux publics, de lieux de culte, ainsi que la dissolution de certains groupes. Le régime est limité à 12 jours seulement, mais il peut être prolongé par un vote du Parlement.

L’état d’urgence permet en outre « d’ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile (...) lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics », indique le site officiel vie-publique.fr. Une mesure qui ne concerne pas les avocats, les magistrats, les parlementaires et les journalistes.

Contrairement à ce que certains pourraient penser, l’état d’urgence ne permet pas de déployer l’armée dans la rue. Ne vous attendez donc pas à voir des militaires intervenir pour maintenir l’ordre dans vos quartiers. De plus, si la loi de 1955 permettait autrefois au gouvernement de prendre le contrôle de la presse, de la radio et des représentations culturelles, cette disposition a été supprimée en 2015, à l’occasion d’une modification du cadre juridique de l’état d’urgence.

•... Et qui restreint les libertés individuelles

C’est ce qui rend cette mesure si controversée. Grâce à l’état d’urgence, le gouvernement a la possibilité de restreindre certaines libertés publiques ou individuelles. L’État peut notamment décréter des interdictions de déplacement, la mise en place de couvre-feu (que ce soit à l’échelle d’une commune, d’un territoire, ou du pays), des réquisitions de personnels et de moyens privés, ainsi que des assignations à résidence. Enfin, il peut ordonner la remise des armes et des munitions détenues ou acquises légalement par leur propriétaire.

Le 8 novembre 2005, 12 jours après les premières émeutes de banlieues déclenchées par la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré − deux adolescents électrocutés alors qu’ils tentaient de se soustraire d’un contrôle de police à Clichy-sous-Bois − le Premier ministre Dominique de Villepin avait décrété l’état d’urgence dans 25 départements. Prolongé pendant trois mois, il permettra l’essoufflement progressif du mouvement de contestation, notamment grâce à l’instauration de nombreux couvre-feu sur le territoire.

Il faudra alors attendre dix ans, et les attentats du 13 novembre 2015, pour voir ce régime exceptionnel faire son retour dans l’Hexagone. Cette fois-ci, l’état d’urgence est décrété à l’échelle nationale, une première depuis sa création en 1955 (à l’époque, en réponse à la vague d’attentats perpétrée en France par le Front de libération nationale de l’Algérie). Prolongé pendant deux ans, jusqu’en novembre 2017, l’état d’urgence aura permis, selon le ministère de l’Intérieur, de déjouer 32 attentats, de mener près de 4 500 perquisitions administratives, de décréter 752 assignations à résidence et de saisir 625 armes, dont 78 armes de guerre.

Alors président, François Hollande ne l’avait pas décrété par gaieté de cœur. Invité de France Bleu Cotentin ce vendredi 30 juin, l’ancien chef d’État socialiste a rappelé que le contexte qui était le sien, « celui du terrorisme », était alors « très différent » d’aujourd’hui. S’il reconnaît que la situation actuelle est « très grave », il considère que décréter l’état d’urgence face aux violences urbaines déclenchées par la mort de Nahel « n’est pas la meilleure façon d’agir » et prône le recours à des méthodes « qui sont celles de la République. »

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