La mort de Jordan Neely dans le métro de New York soulève tous ces débats

Des manifestants réunis le 5 mai pour demander « justice pour Jordan Neely » à New York.
Des manifestants réunis le 5 mai pour demander « justice pour Jordan Neely » à New York.

ÉTATS-UNIS - Il est mort sous l’objectif d’un téléphone portable. Jordan Neely, un Afro-Américain sans-abri, est décédé le 1er mai dans le métro de New York, étranglé par un jeune Marine qui se trouvait dans la même rame que lui.

Daniel Penny, un militaire blanc âgé de 24 ans, s’est livré à la police ce vendredi 12 mai et devrait être inculpé par la justice pour homicide involontaire. La police dépêchée dans le métro l’avait brièvement interrogé après le drame mais avait fini par le relâcher. Le parquet de Manhattan aura finalement mis dix jours à le poursuivre au pénal.

Depuis ce drame, qui a choqué les États-Unis, le slogan « Black lives matter » (« les vies des Noirs comptent ») est réapparu dans les manifestations organisées pour demander « justice pour Jordan Neely ». Pour certains, l’événement résonne tragiquement avec le troisième anniversaire du meurtre – également filmé – de George Floyd par un policier blanc, le 25 mai.

« Je suis en colère »

« L’ancien Marine a plaqué Neely au sol et lui a fait une prise d’étranglement qui a duré environ 6 minutes de plus que celle imposée par Derek Chauvin sur le cou de George Floyd avant de le tuer, à Minneapolis en 2020, écrit l’auteur américain Moustafa Bayoumi dans une tribune au Guardian. Deux autres hommes l’ont aidé, tandis que les gens tournaient tranquillement autour et filmaient la fin de la vie de Neely. »

La vidéo du drame, diffusée par toute la presse, montre la victime au sol dans une rame de métro, Daniel Penny couché derrière la victime pour l’entraver et lui serrer le haut du corps. Des passagers, debout au-dessus des deux hommes, semblent décontenancés, d’autres tentent vaguement de bloquer les bras de Jordan Neely qui se débat.

Un témoin a raconté à l’AFP que ce dernier avait fait irruption dans le wagon en criant sur des passagers et en leur réclamant de quoi manger ou boire. « Je me fiche d’aller en prison et d’y finir ma vie. Je suis prêt à mourir », aurait-il dit, selon Juan Alberto Vazquez, le journaliste indépendant qui a filmé la scène, ciét par le New York Times. D’après les autorités, Jordan Neely et Daniel Penny se seraient disputés avant que le deuxième, qui n’est plus militaire d’active, plaque le premier au sol.

« Je suis en colère, très en colère. Une personne blanche n’aurait pas été traitée de cette manière, s’émeut Delia Mattis, militante britannique du mouvement Black Lives Matter interrogée par le Mirror. Voici un Marine, Daniel Penny, qui est entraîné pour tuer des gens. Comme pour George Floyd. » Et d’ajouter : « On a beaucoup plus conscience de l’injustice raciale (aujourd’hui) mais il y en a toujours. On va toujours devoir se battre contre ça. »

Même sentiment chez Rashad Robinson, président de l’organisation américaine de défense des droits civiques Color Of Change. « Les personnes noires ne doivent plus seulement craindre d’être étranglées par la police, mais aussi par un citoyen lambda qui se sent puissant et soutenu par les élus », regrette-t-il.

La gauche monte au créneau

Mais ce drame n’a pas seulement ramené les États-Unis au débat sur la question raciale. La victime, un sans-abri réputé pour sa ressemblance et ses performances imitant celles de Michael Jackson, avait été interpellée des dizaines de fois, notamment pour tapage sur la voie publique. Il souffrait, comme nombre de SDF, de troubles psychiatriques, dans une mégapole de 8,5 millions d’habitants aux inégalités socio-économiques abyssales.

L’événement interroge sur la manière dont les gens réagissent face « aux pauvres, aux sans-abri et surtout ceux perçus comme souffrant de troubles mentaux », estime auprès du New York Times Christopher Fee, un professeur d’anglais qui donne des cours sur la question du mal-logement. « Nous avons un problème profond dans notre pays qui est que nous pensons que la violence peut être utilisée face à la maladie mentale », estime Rashad Robinson, de Color Of Change.

La gauche est montée au créneau sur cette affaire, la parlementaire démocrate Alexandria Ocasio-Cortez dénonçant un « meurtre ». « Jordan Neely a été tué par les politiques publiques. Il a été tué par la diabolisation des pauvres par beaucoup de nos leaders, a-t-elle estimé dans une interview à The Cut. Chacun de nous est au bord du gouffre en ce moment : les loyers ont bondi pour atteindre des prix absolument exorbitants. Quand les prix des loyers augmentent, le nombre de sans-abri augmente. Ce n’est pas un mystère. »

Une succession de drames autour de l’autodéfense

Le drame s’inscrit aussi dans une récente succession tragique d’interactions banales ayant dégénéré aux États-Unis. En avril, une femme de 20 ans a été tuée par balle dans l’État de New York après s’être engagée en voiture par erreur dans l’allée d’un domicile privé.

Le même mois, au Texas, un homme a ouvert le feu sur des pom-pom girls après que l’une d’entre elles a tenté d’ouvrir la portière d’une voiture qu’elle avait confondue avec son propre véhicule. Et un adolescent noir, Ralph Yarl, a été grièvement blessé par balle après s’être trompé de maison dans le Missouri.

Pour beaucoup de New Yorkais, cet événement rappelle aussi le drame de 1984, lorsqu’un homme blanc, Bernhard Goetz, avait ouvert le feu sur quatre adolescents noirs dans le métro de la ville, les accusant d’avoir tenté de le voler. Les quatre jeunes avaient tous survécu. Le tireur, surnommé « le justicier du métro », avait été acquitté de douze des treize chefs d’accusation retenus contre lui et n’avait finalement été condamné que pour port d’arme prohibé. L’affaire avait cristallisé « la frustration et la colère de nombre de New Yorkais sur la question de la criminalité », rappelle USA Today.

« Il y a trente ans, je me suis battu dans l’affaire Bernhard Goetz. Nous ne pouvons pas revenir à une situation où l’autodéfense serait tolérable. C’était inacceptable à l’époque, et ça ne peut pas être acceptable aujourd’hui », a réagi le révérend Al Sharpton, figure de la lutte pour les droits civiques. La famille de Jordan Neely lui a demandé de prononcer l’éloge funèbre aux funérailles du jeune homme, le 19 mai.

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