Mort de Jérémie Cohen: le mobile antisémite pas retenu à ce stade de l’enquête

"Affaire étouffée", "meurtre antisémite". L'extrême-droite, par la voix des candidats à la Présidentielle Eric Zemmour et Marine Le Pen, s'était emparée de la mort de Jérémie Cohen, un homme de 31 ans percuté, après une agression, par un tramway à Bobigny, le 17 février 2022. Après un an d'enquête, l'instruction est toujours en cours et les raisons de cet enchaînement fatal semblent bien éloignées de ce qui a été dénoncé pendant la campagne.

Le 17 février 2022, Jérémie Cohen traverse précipitamment les voies de la ligne de tramway à Bobigny, en dehors des zones de traversée. Une enquête est ouverte par le parquet pour "homicide involontaire par conducteur", laissant penser que le trentenaire a été victime d'un accident de la circulation. L'enquête avait alors été classée sans suite.

Information judiciaire ouverte

La famille de la victime, elle dès le départ, ne croit pas à cette version. Les deux frères de Jérémie Cohen, notamment, mènent leur propre enquête et récupèrent la vidéo d'un témoin, dessinant un tout autre scénario. La police a elle aussi connaissance de ces images sur lesquelles on voit quelques instants avant l'accident Jémérie Cohen se faire prendre à partie par un groupe d'individus, un "lynchage" comme l'avait qualifié à l'époque l'avocat de la famille de la victime, Me Serfati.

Une seconde enquête avait alors été ouverte par le parquet de Bobigny puis, le 29 mars 2022, une information judiciaire pour "violences volontaires en réunion ayant entraîné la mort sans intention de la donner". Deux juges d'instruction étaient saisis. Mi-avril, deux hommes s'étaient présentés d'eux-mêmes au commissariat reconnaissant avoir frappé la victime avant qu'elle ne soit percutée par le tramway.

"Ils s'auto-condamnent, ils considèrent que personne ne mérite d'être violenté, ils reconnaissent les faits de violences en réunion, mais ils n'avaient aucune intention de tuer", affirme Me Lucas Minkowski.

Entendus en garde à vue, puis à trois reprises par les juges, les deux hommes âgés de 28 et 24 ans, ont été mis en examen il y a un an l'un pour "violences volontaires en réunion", et l'autre pour "violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner". Tous deux avaient été placés en détention provisoire. Depuis, l'un d'eux a été remis en liberté. L'autre est toujours incarcéré. Son avocat doit prochainement déposer une nouvelle demande de mise en liberté, assurant qu'il y a "aucune raison de le maintenir en détention provisoire".

"Ils ont répondu à chaud à une situation de violence"

Reste la question des motifs de cette agression. Après avoir récupéré les images montrant l'agression de Jérémie Cohen, sa famille avait fait appel à Eric Zemmour pour "que l'enquête ne soit pas fermée ou étouffée", avait expliqué Gérald Cohen, le père de la victime. Relayant largement la vidéo, l'ex-candidat à la Présidentielle s'était alors questionné sur les réseaux sociaux se demandant si Jérémie Cohen n'était pas mort "parce que juif". Lançant ainsi la polémique, alors que, selon l'avocat de la famille Cohen, une kippa avait été retrouvée près du corps de la victime.

"A ce stade, il n'existe toujours aucun élément objectif permettant de caractériser un motif discriminatoire, en particulier antisémite, à l'origine des violences", expliquait le parquet de Bobigny en avril dernier. "Le mobile antisémite n'a jamais été évoqué par les juges d'instruction", assure l'avocat des deux hommes mis en examen, qui évoque "simple dossier de violences".

Selon les deux mis en cause, parfaitement insérés socialement et professionnellement, tous deux livreurs et suivant une formation pour devenir chauffeur de bus et ambulancier, Jérémie Cohen s'était exhibé sexuellement devant deux femmes, dont la petite-amie de l'un des deux hommes.

"Ils ont répondu à chaud à une situation de violence dont il n'était pas victime, ils ont voulu faire le travail de la police et mettre hors d'état de nuire une personne", plaide Me Minkowski.

"Choix politique"

"Il n'y a aucun lien entre les violences commises par mes clients et la mort de Jérémie Cohen", poursuit le conseil qui rappelle que Jérémie Cohen souffrait de troubles psychiatriques et présentait une personnalité inquiétante. "Il y a un temps long" entre les deux séquences, insiste-t-il.

La famille de Jérémie Cohen ne nie pas que le trentenaire était suivi pour des troubles psychologiques, mais réclame que les deux hommes soient poursuivis pour "homicide involontaire", estimant qu'il y a un lien de causalité entre l'agression et la mort du jeune homme. "C’est une agression totalement gratuite et sauvage. Jérémie était quelqu’un de très doux et introverti", estime Me Franck Serfati auprès du Parisien.

Les poursuites pour "violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner" sont passibles de la cour d'assises, tandis que "les violences en réunion" sont jugées par un tribunal correctionnel. Si les deux hommes venaient à être jugés, le choix de la juridiction reviendrait quasiment à "un choix politique" pour leur avocat, qui dénonce dans cette affaire "le temps de retard de la justice".

Article original publié sur BFMTV.com