Migrants vénézuéliens en Colombie : une crise passée sous silence

Le Venezuela vit sa cinquième année de récession depuis l'accession au pouvoir de Nicolás Maduro en 2013. Environ 120 personnes ont été tuées lors des manifestations contre le gouvernement en 2017 suite au virage autoritaire des institutions. Le Fonds monétaire international prévoit dans ce pays, une inflation de 13.000% sur l'année 2018 . Ce contexte politique et économique pousse de nombreux Vénézuéliens à fuire en Colombie. Ils sont jusqu'à 40.000 à franchir chaque jour le pont Simón Bolívar pour rejoindre la ville de Cúcuta, l'un des principaux points d'entrée du territoire colombien . La plupart de ces migrants sont en quête de nourriture et de soins. La Croix-Rouge , financée par le service de l'Union européenne à l'aide humanitaire, est présente près du pont depuis le milieu de l'année dernière. Sur place, nous découvrons une femme souffrant d'une appendicite aigue. Elle est prise en charge juste à temps. Mais beaucoup n'ont pas cette chance. Au Venezuela, les hôpitaux manquent de tout. Des maladies chroniques, des cas de cancer et de malnutrition À Cúcuta, les équipes de la Croix-Rouge tentent d'atténuer les effets de cette crise que personne ne veut voir. "Notre positionnement, précise Javier Francisco González, responsable pour la Colombie de la Croix-Rouge allemande , a consisté à ouvrir ce poste de consultation tous les matins et à le fermer tous les soirs. Il faut y voir une manière pour nous, d'agiter la main et de dire : 'Il y a quelque chose qui se passe ici et il faut y prêter attention'. Les deux pays concernés détournent le regard de cette crise," estime-t-il. Il y a trois infirmiers et un médecin en permanence dans la tente dédiée aux premiers secours. Les migrants qui y sont admis ont besoin de médicaments de base - souvent pour des maladies chroniques - qu'on ne trouve plus au Venezuela. Mais on trouve aussi des personnes atteintes de cancer ou de malnutrition. "Nous fournissons de l'assistance à un jeune homme qui s'est évanoui, indique Juan Carlos González, coordinateur du poste d'urgence et représentant de la Croix-Rouge colombienne, en désignant un patient allongé sur un lit. On l'a amené ici et il a l'air de souffrir de malnutrition : on traite cinq à six cas comme cela par jour," précise-t-il. "Il faut des jours pour passer la frontière" Le poste de la Croix-Rouge est situé près du bureau de l'immigration devant lequel chaque jour, plus de 3000 Vénézuéliens font la queue pour faire tamponner leur passeport. Beaucoup ont mis des jours pour traverser la frontière. Entrer en contact avec leur famille est désormais, leur priorité. "La Croix-Rouge colombienne propose un service pour contacter votre famille : vous pouvez venir ici et vous connecter à internet," dit Juan Carlos González à la foule rassemblée devant le poste. "On a commencé par charger notre téléphone pour appeler nos proches, on n'a pas eu de nouvelles d'eux depuis quatre jours, explique l'un des migrants. Les garde-frontières vénézuéliens demandent 10 dollars par personne pour tamponner un passeport, raconte-t-il avant de préciser : Quand on n'a pas l'argent, on doit attendre des jours dans la file. Or ils n'ont pas le droit de demander de l'argent." L'homme était torero professionnel au Venezuela. Il compte se rendre au Pérou avec sa femme pour trouver du travail et pouvoir envoyer de l'argent à leurs trois enfants restés au pays. Aide européenne Face à cet afflux massif de migrants , la Colombie a demandé l'aide de la communauté internationale. En visite à Cúcuta , le Commissaire européen à l'aide humanitaire Christos Stylianides a annoncé le déblocage par l'Europe, de deux millions d'euros pour le Venezuela et de six millions pour la Colombie . Monica Pinna, euronews : "La Colombie a-t-elle les moyens de faire face à cette crise ? Et comment l'Union européenne peut-elle aider ?" Christos Stylianides, Commissaire européen : "Les autorités colombiennes ont un immense défi à relever du fait de cette situation sans précédent. Parce que bien sûr, elles font aussi face aux défis qui sont les leurs dans leur pays avec le processus de réconciliation et le processus de paix. Donc notre aide humanitaire se déploie des deux côtés, sur les territoires vénézuélien et colombien. Au Venezuela, en particulier, nous nous efforçons de voir comment fournir des médicaments et de trouver des projets dans la lutte contre la malnutrition aiguë." Favoriser l'accès à l'école Sans cesse, de nouvelles familles vénézuéliennes s'installent à Cúcuta, les migrants sans papiers principalement dans des quartiers défavorisés. Sur place, le Conseil norvégien pour les réfugiés , soutenu par l'Union européenne, organise des activités pour 500 enfants déscolarisés. "Aujourd'hui, les enfants peuvent aller à l'école, mais même s'ils ont le droit de s'inscrire, cela ne veut pas dire qu'ils ont réellement un parcours scolaire, souligne Luz Yadyra Galeano Saavedra, responsable locale du Conseil norvégien pour les réfugiés. C'est parce que de nombreux enfants sont en situation irrégulière dans le pays ; leurs parents n'ont pas les papiers nécessaires pour faire valoir le moindre droit en Colombie : cela veut dire par exemple, que ces enfants ne reçoivent aucun certificat quand ils ont terminé leur année scolaire," fait-elle remarquer. 4100 élèves vénézuéliens sont scolarisés dans le département du Nord de Santander. C'est le cas des filles d'Andreina Liced Lois Rincón. Sa famille est arrivée illégalement à Cúcuta il y a trois ans. Au Venezuela, elle était infirmière et menait une vie normale. Ses filles et son neveu ont dû attendre un an avant de pouvoir s'inscrire à l'école. "Les enfants essaient d'étudier de manière régulière : ils sont dans la légalité du point de vue des papiers, mais la situation n'est pas normale au niveau financier, raconte-t-elle. Ce n'est pas facile de maintenir à l'école trois enfants quand on est des étrangers sans papiers : si on arrive à acheter à manger, comment fait-on pour acheter le matériel pour l'école comme les uniformes et les chaussures ? C'est très compliqué," confie-t-elle. L'Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) travaille avec le gouvernement colombien pour essayer d'enregistrer les 230.000 migrants illégaux qui vivraient à Cúcuta et d'améliorer leurs conditions de vie à leur arrivée et sur le long terme.