#MeTooGarçons : pourquoi la libération de la parole des hommes sur les violences sexuelles est aussi compliquée

 Le comédien Aurélien Wiik a révélé jeudi 22 février avoir été victime de pressions et d’agressions sexuelles quand il était jeune acteur.
LOIC VENANCE / AFP Le comédien Aurélien Wiik a révélé jeudi 22 février avoir été victime de pressions et d’agressions sexuelles quand il était jeune acteur.

VIOLENCES SEXUELLES - Tout est parti du témoignage d’un homme. Le comédien Aurélien Wiik, qui révélait jeudi 22 février avoir été victime de pressions et d’agressions sexuelles quand il était jeune acteur. Une prise de parole, accompagné du mot-clé #MeTooGarçons, qui en a depuis entraîné beaucoup d’autres sur les réseaux sociaux.

Avec #MeTooGarçons initié par Aurélien Wiik, les hommes témoignent par centaines

Si certains hommes ont déjà pris la parole au sujet des viols ou agressions sexuelles qu’ils ont subis, notamment lors de MeTooInceste ou MeTooGay, ces témoignages restent rares. Pourtant, alors que les victimes de violences sexuelles sont en majorité des femmes, les hommes sont aussi concernés.

« On a eu 20 % d’appels de garçons sur la ligne d’écoute de la Ciivise », rappelle Emmanuelle Piet, docteure et présidente du Collectif Féministe Contre le Viol (CFCV), que nous avons contactée. Cette association était chargée de recueillir les appels des victimes d’inceste sur la ligne d’écoute de la Civiise. Et selon le rapport final de la commission, 17 % des témoignages proviennent en effet de garçons. La présidente constate alors : « Il y a un manque d’espace pour que les hommes parlent. Mais quand ça devient possible, ils appellent. »

Pour expliquer cette libération difficile de la parole, la psychologue spécialisée dans les violences sexuelles Muriel Salmona, contactée par Le HuffPost, offre un début de réponse : « Cela a pu être difficile de parler pour certains hommes car il n’y avait pas de mouvements spécifiques pour eux. Au départ, MeToo était centré sur des témoignages de femmes, ce qui a pu en bloquer certains qui ne se sentaient pas légitimes de parler. » Mais les raisons sont surtout liées aux stéréotypes de genre et au conditionnement social spécifique des hommes, selon ces deux expertes.

Stéréotypes de genre

Pour Emmanuelle Piet, les stéréotypes de genres sont l’une des principales entraves à cette libération de la parole. « Les femmes victimes de violences sexuelles se demandent souvent pourquoi elles n’ont pas pu se défendre, pourquoi elles ne sont pas parties en courant… Pour un homme, ce sentiment est beaucoup plus fort, estime-t-elle. Car un homme, ça attaque, ce n’est pas une victime. »

Muriel Salmona ajoute : « Être victime, c’est ce qu’il y a de pire. Les hommes sont censés être forts et savoir se défendre. Ça ne correspond pas du tout à l’image de force et supériorité que certains veulent donner. »

Selon la psychologue, les hommes sont plus réticents à l’idée d’aller consulter, ou de tout simplement en parler à leurs proches. La faute à des stéréotypes de genres qui les incitent à ne pas s’ouvrir sur leurs émotions. « Le fait de se livrer émotionnellement peut être mal vu dans les milieux masculins », constate-t-elle. Qui plus est, les deux expertes soulignent le poids de l’homophobie qui stigmatise certaines victimes et pourrait les empêcher de prendre la parole au sujet des violences sexuelles.

La pression exercée par l’agresseur a aussi un impact qu’il ne faut pas sous-estimer, selon Emmanuelle Piet. « Il se présente comme tout puissant et donne des consignes d’interdit terrifiantes à ses victimes. Il leur dit que personne ne les croira si elles parlent », constate-t-elle.

Le manque d’information à ce sujet

Autre obstacle à une libération de la parole : selon Muriel Salmona, les hommes ont moins accès aux associations, sites, et aux informations disponibles sur les violences sexuelles. Ainsi, ils n’ont pas forcément les ressources qui permettent de comprendre ce qu’ils ont ressenti pendant les faits. Ils ne savent pas par exemple qu’il « est normal d’avoir été dans un état de sidération, de ne pas avoir pu se défendre, et de ne pas avoir réussi à en parler par la suite ».

À cause du manque « d’associations spécifiques » pour les garçons, et de la rareté de témoignages similaires, les hommes victimes de violences sexuelles ont pu ressentir de manière très forte certaines émotions : l’impression d’être seul, que ça n’arrive qu’à soi, ou la frustration de ne pas voir leur parole relayée. Ce qui ne les aide pas à témoigner.

La psychologue ajoute : « Certains hommes victimes ont peut-être peur qu’on pense qu’ils soient aussi eux aussi des agresseurs. Même si la grande majorité des victimes de violences sexuelles ne reproduisent pas ces violences, l’un des facteurs de risque d’en exercer est d’en avoir subi soi-même. Et l’immense majorité des agresseurs sont des hommes. »

Si la parole des hommes semble enfin se libérer, Muriel Salmona considère qu’il faut « universaliser les violences sexuelles » afin qu’ils continuent à s’exprimer, et faire savoir qu’ils sont beaucoup à avoir subi de telles violences. Emmanuel Piet insiste : « Il faut en parler de plus en plus, sans présenter les victimes comme des personnes faibles. »

Dans ce combat, les hommes peuvent compter sur un soutien de poids : les femmes, notamment sur les réseaux sociaux. « Et l’inverse n’est pas forcément vrai », rappelle Muriel Salmona.

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