"Ça va mettre le feu à la France" : une mesure sur l'automobile à l'origine d'un nouveau mouvement de colère ?

Depuis le 1er juin, les véhicules Crit'Air 4 ne sont plus autorisés à rouler dans la métropole du Grand Paris.

Après les bonnets rouges bretons et les gilets jaunes, mouvements nés de taxes sur l'automobile, la mise en place des ZFE pourrait entrainer un nouveau mouvement de contestation.

"Ça va être les gilets jaunes puissance dix. On n'a jamais reçu autant de messages virulents, qui disent 'si la mesure passe, je roulerai quand même', je sortirai dans la rue pour manifester. Ces ZFE ne seront pas acceptées", prévient d'emblée Pierre Chasseray Délégué Général de l’association 40 Millions d'automobilistes.

Les ZFE, ce sont les zones à faibles émissions, qui visent à interdire les voitures les plus anciennes, jugées plus polluantes, d'accès aux centres-villes. L'article 27 du projet de loi climat et résilience rend obligatoire la mise en place de Zones à faibles émissions-mobilités pour les agglomérations de plus de 150 000 habitants d’ici le 31 décembre 2024. Adopté à l'Assemblée nationale le 4 mai, le projet de loi est au Sénat.

L'automobile, un sujet brûlant

Ainsi, d'ici deux ans, les véhicules les plus anciens seront progressivement écartés d'une quarantaine d'agglomérations. Chaque ZFE a la possibilité de définir les critères d'exclusion. Ainsi, dans la métropole du Grand Paris, depuis le 1er juin les véhicules Crit'Air 4 et 5 sont interdits de circulation en semaine. En juillet 2022, ce sont les véhicules Crit'Air 3 qui seront interdits à la circulation.

Du mouvement des gilets jaunes, né suite à une hausse de la taxe carbone et donc du coût du carburant, aux bonnets rouges contre l'écotaxe en passant par les projets d'abaisser la vitesse à 80 km/h sur les nationales ou à 110 km/h sur autoroute, l'automobile est un sujet brûlant politiquement. Au point que les autorités ont souvent été contraintes de faire marche arrière.

"La voiture, symbole de liberté"

Car le rapport des citoyens à l'automobile est particulier. "La voiture n'est pas objet comme un autre, c'est un symbole de liberté. C'est un endroit qu'on habite, dans lequel on se sent bien, on y met sa musique, on y laisse des affaires personnelles. C'est pour cela qu'on a pas envie que les élites décident pour nous, et que cela suscite autant d'opposition à chaque mesure. C'est comme si l'on nous disait ce qu'on devait faire dans notre logement", décrypte le sociologue Hervé Marchal, auteur d'Un sociologue au volant. Le rapport de l’individu à sa voiture en milieu urbain.

Un attachement particulier à la voiture qui expliquerait les vives réactions à chaque mesure politique. Mais les ZFE vont au-delà de l'atteinte au simple symbole, pour le sociologue spécialiste des mobilités péri-urbaines. "Avec les ZFE, on va renforcer les inégalités sociales entre les habitants des centres-villes, plus aisés, et ceux des périphéries, les plus modestes. Ces ZFE vont éloigner des agglomérations qui sont des lieux de pouvoir des personnes qui ne peuvent déjà pas y habiter pour des raisons budgétaires. Là, on va leur dire que le moyen qu'ils ont d'y accéder, leur voiture, ne convient plus", poursuit Hervé Marchal.

7 voitures sur 10 bientôt bannie de 45 métropoles ?

Car pour accéder aux 10 villes les plus pollués, à partir de 2025, il faudra une vignette Crit'Air 1 ou 2, c'est-à-dire soit une voiture essence immatriculée à partir de 2006 ou un diesel à partir de 2011. Les autres agglomérations sont tenues de fixer leurs seuils. Selon l'association 40 millions d'automobilistes, 7 voitures sur 10 pourraient bientôt être bannies des 45 métropoles françaises.

"Du jour au lendemain, des gens ne pourront plus utiliser leur voiture qui roule encore. Ils ne pourront plus entrer dans les agglomérations, ne pourront plus aller faire leurs courses, ne pourront plus aller a des rendez-vous. Ça va mettre le feu à la France", s'insurge Pierre Chasseray, qui pointe du doigt le coût d'un changement de voiture.

"Ça va renforcer les inégalités sociales et économiques"

"Quand vous achetez votre première voiture ou que vous avez des revenus modestes, les aides ne suffisent pas. Elles vont jusqu'à 6 000 euros, mais un véhicule dit "propre" coûte bien. plus cher. Tout le monde ne peut pas sortir des milliers d'euros de sa poche" poursuit le Délégué Général de 40 Millions d'automobilistes.

Une inquiétude partagée par le sociologue Hervé Marchal. "Avec ces ZFE, ceux qui sont déjà extérieurs à ces zones, car l'immobilier y est trop cher par exemple, on va leur dire que le seul moyen qu'ils ont pour s'y rendre, la voiture, n'est plus adéquat. Ça va renforcer les inégalités sociales, économiques et géographiques entre la France des centres-villes et celle des périphéries, et diviser un peu plus ces deux France", prolonge le sociologue.

"Un risque d'un mouvement similaire aux gilets jaunes"

Une pétition a notamment été lancée par 40 Millions d'automobilistes à l'attention d'Emmanuel Macron pour abandonner cette mesure. Sur les réseaux sociaux, la grogne commence à se faire sentir. Des rassemblements, à l'audience encore très confidentielle, sont appelés "contre l'extension des ZFE". Quelques groupes Facebook voient le jour, au niveau local, pour s'opposer aux ZFE, et des publications sont partagées dans les groupes toujours très actifs des gilets jaunes.

Capture Facebook
Capture Facebook

Une pétition, une mesure présentée comme écologique qui touche les automobilistes, une colère présente sur les réseaux sociaux... Le parallèle avec le début du mouvement des gilets jaunes est évident. "Il y a un risque d'un mouvement similaire aux gilets jaunes car la mécanique est la même. Les ZFE vont exclure des lieux de pouvoir, historique, une partie des gens, avec un pouvoir d'achat modeste", rappelle Hervé Marchal.

"On l'a vu, le mouvement des gilets jaunes, au début, a notamment ciblé les lieux de pouvoir et les lieux historiques donc évidemment il y a un risque d'avoir un mouvement similaire à celui des gilets jaunes", poursuit le sociologue. Manifestation sur les Champs-Élysées, dans les quartiers huppés, a proximité des lieux de pouvoir, attaque de la préfecture du Puy-en-Velay... les exemples ne manquent pas.

60% des Français ignorent ce qu’est une ZFE

"Quand les gens vont malgré l'interdiction continuer de rouler car ils n'auront pas les moyens d'acheter une nouvelle voiture, et qu'ils recevront une amende de 68 euros avec la mise en place des radars, ils vont craquer" prophétise Pierre Chasseray.

Jean-Baptiste Djebbari, le ministre délégué aux Transports, a en effet annoncé la mise en place d'un système de vidéo-verbalisation dans la ZFE du Grand Paris d’ici la fin d’année 2021, ainsi que dans les autres ZFE déjà instaurées, afin de contrôler le respect des restrictions.

La mise en place des ZFE, qui pourrait bouleverser le quotidien de nombreux Français, est pourtant encore très méconnue. Selon un sondage Harris Interactive pour le CNPA (Centre national des professions de l'automobile), 60% des Français ignorent ce qu’est une Zone à faibles émissions.