Matthieu Lartot dénonce « le scandale de l’accessibilité » des personnes handicapées, malgré les JO de Paris

Le journaliste publie un livre dans lequel il retrace son histoire. Et sur les différentes épreuves qu’ont constituées le cancer, sa récidive et la récente amputation de sa jambe droite.

« On n’ampute pas le cœur ». C’est le titre du livre de Matthieu Lartot, sorti ce 4 avril aux éditions Robert Laffont. Le journaliste sportif passionné de rugby y raconte avec pudeur et de manière très touchante son parcours sportif, médical et journalistique, qui sont étroitement liés…

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De son premier cancer au genou droit, alors qu’il n’a que 17 ans, à l’amputation de sa jambe après une récidive en 2023, le monsieur rugby de France Télévisions se livre sur son combat contre la maladie et sa détermination à vivre au plus près de sa famille et du sport, ses raisons de vivre.

Aujourd’hui, il est en train de créer une association, Debout en bouts, pour accompagner les personnes atteintes de cancer et amputées d’un membre à être équipées de prothèses adaptées. Entretien.

Le HuffPost. Pourquoi écrivez-vous que « la notion de courage, quand il est question de combattre une maladie mortelle comme le cancer, paraît hors de propos » ?

Matthieu Lartot. C’était pour lutter contre ces phrases un peu bateau qu’on a tous dit un jour à quelqu’un qui fait face à la maladie. Sauf que, lorsqu’on vous annonce que vous avez un cancer, vous n’avez pas d’autre option que d’y faire face et de rentrer dans un combat. Selon moi, le courage n’a pas grand-chose à voir avec cela. Et puis, cela sous-entendrait qu’une personne qui décède n’aurait pas été aussi courageuse que les autres… Le vrai courage, c’est celui que la volonté nous dicte et pas ce que le destin nous impose. Je préfère parler de force ou de détermination, de mental ou de résilience.

C’est la même chose avec le fait de présenter les personnes handicapées comme « héroïques ». Il y a en filigrane comme une fausse compassion. Les regards un peu compassionnels, qui inspirent une sorte presque de pitié me dérangent un peu. Mais je ne blâme pas les gens, j’ai moi-même déjà lancé un « bon courage » un peu facile à quelqu’un qui traversait une épreuve…

Lorsque vous arrivez à France Télévisions, la rencontre avec le journaliste Patrick Knaff vous marque particulièrement. Pouvez-vous nous raconter ?

Il a été très important dans mon parcours et décisif dans ce qui m’est arrivé plus tard. Il a semé cette graine en moi, celle de l’acceptation de l’amputation. C’était quelqu’un qui, malgré sa jambe en moins, brûlait la vie par les deux bouts, était un peu casse-cou, faisait parfois un peu n’importe quoi, parce qu’il s’était affranchi de tous les codes de la société. Le regard des autres lui importait peu. Cette liberté-là m’a beaucoup inspiré.

Une complicité naturelle s’est créée entre nous et ce qui le heurtait, c’est qu’il se rendait compte que j’étais presque plus handicapé que lui ; lui pouvait sauter en parachute, faire du ski sur une jambe, et moi rien du tout. Il n’a cessé de me dire : « Fais-toi couper cette jambe, tu seras plus tranquille et tu feras davantage de choses ». Et au moment de prendre la décision, j’ai immédiatement pensé à lui, parce qu’il a contribué au fait que j’accepte mon sort. J’ai eu cette chance grâce à lui d’avoir cheminé dans ma tête. Me faire amputer a été une libération. Et je le dois en partie à Patrick. Parler de lui, c’était aussi une manière de lui rendre hommage, parce qu’il nous a quittés (il est décédé en 2006, NDLR).

Quand vous acceptez l’invitation de Faustine Bollaert dans Ça commence aujourd’hui en mai 2020, vous parlez « coming out ». Pourquoi l’avoir fait, à ce moment-là ?

Je parle de « coming out », car cela faisait déjà 20 ans que j’étais journaliste à France Télévisions et je n’avais jamais évoqué cela publiquement. J’avais besoin de me débarrasser des centaines questions qui m’étaient posées sur ma jambe. Elles étaient bienveillantes mais pesantes. C’est un vrai tournant, car si je n’avais pas fait cette émission, je n’aurais peut-être pas rendu publique ma récidive.

« J’ai peur que pendant 15 jours, on fasse en sorte de trouver des solutions temporaires, comme des flottes de taxis… Mais ce n’est pas une solution pérenne. Quel héritage va-t-on laisser ? »

Un des passages très touchants du livre, ce sont les deux mois que vous passez au centre de rééducation Ladapt, en 2023, après votre amputation. Qu’est-ce qui vous a marqué là-bas ?

Ce que je ne raconte pas dans le livre, c’est qu’avant d’intégrer ce centre et l’amputation, je l’ai visité et j’ai rencontré les équipes. Déjà, le bâtiment n’est pas très glamour. Et surtout, pour parler crû, dans la petite cour devant, il y avait des gens en fauteuil roulant, amputés, des personnes de petite taille, des gens qui se remettaient d’AVC et qui erraient… C’était vraiment une ambiance cour des miracles.

Ça a été un choc visuel et me dire que j’allais être parmi eux deux mois plus tard n’a pas été simple. Je n’arrivais pas à me projeter. Et en fait, le truc incroyable, c’est que j’y ai ensuite vécu probablement les moments les plus riches de ma vie d’un point de vue humain. Car tout est remis à zéro : pas de rang social, de religion, de couleur de peau, on est tous dans le même bateau, avec des handicaps et des gravités différentes, avec une solidarité extraordinaire et des gens qui chaque jour, vous obligent à vous surpasser.

J’y ai rencontré des personnes hyper importantes dans ma reconstruction et je suis sorti de là en étant fier d’appartenir à cette communauté de destins. Ça m’a réconcilié un peu avec l’humanité.

Vous évoquez les JO et ce que vous nommez sans détour « le scandale de l’accessibilité des personnes à mobilité réduite dans les enceintes sportives ». Pour vous, ces JO sont-ils à la hauteur des personnes à mobilité réduite (PMR) ?

Sur la promesse qui était de rendre accessibles les transports en commun et le métro parisien, rien ou quasi rien n’a été fait. À peine 9 % du réseau de métro parisien est accessible aux PMR. Alors qu’il y a 12 millions de personnes qui font face à un handicap en France, ce n’est pas anodin. Et cela concerne aussi les femmes enceintes, les personnes âgées.

Lors des Jeux Paralympiques, il y aura 350 000 personnes en situation de handicap à Paris. J’ai peur que pendant 15 jours, on fasse en sorte de trouver des solutions temporaires, comme des flottes de taxis… Mais ce n’est pas une solution pérenne. Une fois les jeux passés, que va-t-il rester de tout ça ? Quel héritage va-t-on laisser ? Je sais que ce sont des aménagements compliqués et qui prennent du temps, mais au moment de l’obtention des Jeux, cela faisait partie des promesses, qui n’ont pas été tenues.

Dans les enceintes sportives, cela dépend des endroits. Des aménagements ont été faits au Stade de France. Cela va dans le bon sens, mais de nombreuses enceintes en France sont désuètes et méritent d’être rénovées. On est en retard dans ce domaine-là. On a la sensation d’être dans un immobilisme, à laquelle s’ajoute la lourdeur administrative.

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VIDÉO - La Minute de Matthieu Lartot