Eau, matières premières, énergie, avenir : 5 chiffres que vous ne soupçonniez pas... sur votre smartphone

Le smartphone, un gadget beaucoup moins léger qu'il n'y paraît (Photo : Matt Cardy/Getty Imagse)

En l'espace d'une dizaine d'années, le téléphone "intelligent" s'est démocratisé au point de devenir un banal objet du quotidien. Pour autant, mesure-t-on vraiment la quantité de ressources nécessaires pour produire ces ordinateurs de poche ?

Il vous accompagne toute la journée, vous facilite souvent la vie, peut-être êtes-vous d'ailleurs en train de lire cet article grâce à lui. Mais savez-vous réellement de quoi il est fait ? Depuis son irruption sur le marché des téléphones mobiles dans la deuxième moitié des années 2000, le smartphone à écran tactile, permettant de téléphoner, mais aussi de surfer sur internet, de prendre des photos ou d'utiliser d'innombrables applications connectées, s'est imposé comme une évidence dans nos vies.-

Fabriquer un smartphone nécessite l'équivalent en eau de 10 000 packs de 6 bouteilles d'1,5 L

D'après les données recueillies pour NegaOctet, la fabrication d'un seul smartphone standard nécessite ainsi l'équivalent en eau de 10 000 packs de 6 bouteilles de 1,5 L et l'équivalent en énergie dépensée d'un trajet de 455 km en voiture thermique.

Avant même la première utilisation, un smartphone génère donc un impact environnemental conséquent, d'autant plus problématique qu'il repose en partie sur des ressources très limitées. "Il ne nous reste que 30 ans de numérique devant nous, alerte Frédéric Bordage. Au rythme où l'on consomme ces ressources, les stocks des différents matériaux utilisés pour fabriquer les smartphones et de nombreux autres objets high tech seront vides dans 30 ans. Et plus ces matériaux vont se raréfier, plus la débauche d'énergie et de ressources nécessaires pour les extraire sera importante."

Un smartphone de 300 g = 5,3 tonnes de terre extraites du sol

À l'intérieur d'un mobile multifonction, on trouve ainsi du carbone sous la forme de pétrole (transformé en plastique pour la coque), du silicium (avec lequel est fabriqué le verre de la vitre), du lithium et du cobalt (qui composent l'essentiel de la batterie), mais aussi une multitude d'autres matériaux, parmi lesquels les fameuses "terres rares", souvent présents en très petite quantité et assemblés en fonction de leurs propriétés pour créer les différents composants électroniques indispensables au fonctionnement de la machine.

En amont de l'assemblage, l'extraction de ces substances constitue donc une étape essentielle, dont le coût environnemental est loin d'être anodin. "Pour fabriquer un smartphone de 300 g, on aura eu besoin de 237 kg de matières premières, et pour obtenir cette quantité de matières premières, il aura fallu extraire 5,3 tonnes de terre", explique Frédéric Bordage, fondateur du collectif GreenIT, qui a notamment contribué à la base de données NegaOctet et à une étude commandée par l'Agence de la transition écologique (ADEME) sur l'impact environnemental du numérique en France.

77% de la population française possède au moins un smartphone

Les dernières statistiques de l'INSEE illustrent parfaitement cette omniprésence : en 2021, 77% de la population française (dont 94% des 15-29 ans !) possédait au moins un smartphone. Cependant, si sa légèreté, son apparence épurée et sa simplicité d'utilisation ont largement contribué à son succès fulgurant, ces caractéristiques sont trompeuses : objet de haute technologie, véritable ordinateur de poche, le téléphone "intelligent" est le résultat de processus industriels aussi lourds que complexes.

En tant qu'utilisateur, on aurait ainsi tort de penser que l'empreinte écologique d'un smartphone se réduit à l'électricité consommée pour le recharger. À l'inverse, l'étape de la fabrication est de loin celle qui génère le plus d'impacts environnementaux, comme l'indiquent les travaux menés par plusieurs chercheurs indépendants dans le cadre du projet NegaOctet, dont l'objectif est d'évaluer et d'améliorer "la performance environnementale des services numériques".

52 substances différentes dans un téléphone "intelligent"

Dans l'optique de mieux mesurer le poids écologique des smartphones, les chercheurs ont appliqué la méthode de l'analyse du cycle de vie (ACV), qui prend en compte la phase d'utilisation, mais aussi les étapes antérieures (fabrication, distribution) et postérieures (recyclage, fin de vie). Pour chacun des sept indicateurs étudiés (allant de la consommation d'eau aux quantités de CO2 rejeté, en passant par les ressources fossiles et non fossiles utilisées), le résultat est sans appel : entre 60 et 100% des impacts écologiques proviennent de la phase de fabrication.

Pour parvenir à un bijou de technologie miniaturisée comme le smartphone, il faut en effet déployer des montagnes d'efforts, et déjà rassembler un certain nombre de matières premières pour fabriquer les différents éléments (écran et vitre, coque, batterie, carte mère, circuits intégrés, etc.). D'après une animation publiée en 2017 par l'association SystExt, spécialisée dans la recherche sur les systèmes d'extraction, on dénombre dans un smartphone standard de milieu de gamme pas moins de 52 substances différentes (métaux, minéraux ou fluides), correspondant à autant d'éléments sur le célèbre tableau périodique de Mendeleïev.

"Il ne nous reste que 30 ans de numérique devant nous"

"Si l'on considère le numérique comme une ressource précieuse, on devrait l'économiser dès aujourd'hui, préconise le fondateur de GreenIT. Il y a un enjeu pour nos enfants. On ne parle pas des générations à venir, mais de celle qui est déjà là. Les enfants qui sont aujourd'hui sur Terre vont connaître la fin de l'ère numérique de leur vivant." Après l'avoir adopté comme une norme en quelques décennies, au point par exemple de "dématérialiser" un certain nombre de démarches administratives, l'Occident et l'humanité dans son ensemble vont-ils devoir apprendre à vivre sans l'outil numérique ?

En l'état, le péril est en tout cas accentué par l'impossibilité de réduire les impacts générés par la fabrication des smartphones, car "les processus industriels ne savent pas faire mieux aujourd'hui", assure Frédéric Bordage. À l'autre bout du cycle de vie du smartphone, le recyclage ne semble par ailleurs pas constituer une solution viable. "On peut récupérer certains matériaux, mais les techniques sont très polluantes et extrêmement consommatrices en ressources, notamment en eau", prévient le chercheur.

"La clé, c'est de faire durer, tranche finalement Frédéric Bordage. Il faut d'une part une conception réellement modulaire, qui puisse permettre par exemple de changer la batterie soi-même et de faire durer le téléphone. Il faut aussi étendre les durées de garantie de 2 à 5 ans. L'autre enjeu majeur, pour allonger la durée d'utilisation totale du produit, c'est le réemploi. Cela ne veut pas nécessairement dire de garder le même smartphone le plus longtemps possible, mais plutôt de prendre soin, au moment où on le change, de lui donner une seconde vie en le vendant à un reconditionneur qui va ensuite le redistribuer."

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