Marilyn Monroe est morte il y a 60 ans : comment les médias peuvent pousser au suicide

#shoppedtattoos - Marilyn Monroe
Cheyenne Randall #shoppedtattoos - Marilyn Monroe

Cheyenne Randall

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SANTÉ MENTALE - Alors qu’on fête ce 4 août les 60 ans de la mort de la star, les hommages se multiplient. Un biopic, intitulé « Blonde », sortira par exemple en septembre sur Netflix retraçant la vie de l’actrice. Mais cette célébration est aussi l’occasion de rappeler que sa mort a contribué à identifier l’effet Werther, soit comment les médias peuvent favoriser le suicide.

En 1962, Marilyn Monroe est au sommet de la gloire. Mais derrière le strass et les paillettes, l’actrice de 36 ans souffre d’une grave dépression et a déjà fait plusieurs tentatives de suicide. « Oui, il y avait quelque chose de spécial chez moi. J’étais le genre de fille qu’on retrouve morte dans une chambre minable, un flacon de somnifères vide à la main », écrit-elle. Le 5 août 1962 dans la nuit, elle est retrouvée décédée à son domicile.

Une couverture médiatique pourvoyeuse d’imitation

« Marilyn Monroe s’est suicidée avec ses médicaments ». Les titres s’étalent dans la presse mondiale pendant plusieurs jours. Certains journaux évoquent même le type et le nombre de pilules pris par l’actrice : un vrai mode d’emploi… Une couverture médiatique massive, imprudente et pourvoyeuse d’imitation.

En 1974, le sociologue David Philips se penche sur les statistiques du suicide après la mort de l’actrice. Il est formel : le suicide de Marilyn Monroe aurait été suivi d’une augmentation de 12 % du taux de suicide aux États-Unis le mois suivant sa mort (+303 suicides) et de 10 % en Angleterre et au Pays de Galles (++60 suicides) par rapport au chiffre attendu dans les deux mois qui ont suivi son décès. Certains auteurs ont même avancé une augmentation de 40 % des suicides à Los Angeles – la ville du décès – le mois suivant la mort de l’actrice.

Robin William, Dalida, Bérégovoy…

Ce qui n’était jusque-là qu’une supposition est ainsi prouvé : les suicides surmédiatisés - typiquement ceux des stars – et mal médiatisés entraînent des imitations. Il existe un phénomène d’identification à la star qui peut pousser certaines personnes fragiles à passer à l’acte entraînant une véritable contagion suicidaire. Cet effet prend le nom du personnage de Goethe. En 1774, après la parution des Souffrances du jeune Werther, une épidémie de suicides avait eu lieu entraînant l’interdiction du livre dans certains pays.

Cet effet Werther a été retrouvé en France après le suicide de Dalida, de Kurt Cobain et de Pierre Bérégovoy avec, à chaque fois une couverture médiatique importante et vectrice de contagion. Lorsqu’en 2014, Robin William se suicide, dans les cinq mois qui suivent le décès de l’acteur du Cercle des poètes disparus, c’est cette fois un chiffre record de 1 841 suicides en plus par rapport aux années précédentes qui ont été dénombrés aux États-Unis.

Les récits médiatiques nous influencent et peuvent entraîner tous types d’imitation. En 2016, Le Monde et plusieurs médias nationaux ont annoncé ne plus publier de photos de terroristes pour éviter de susciter des vocations. Le directeur du Monde avait estimé que « les sites et journaux qui produisent ces informations ne peuvent s’exonérer d’un certain nombre d’introspections » Cette introspection devrait aussi s’élargir au thème du suicide, car cette influence est très concrète : une méta analyse de 2020 retrouve ainsi une augmentation du risque de suicide 13 % en moyenne après le suicide médiatisé d’une star. La citation explicite de la méthode dans la presse est associée à une augmentation de 30 % des suicides par cette même méthode. Mais cela n’a rien d’inéluctable et tout dépend de la manière dont cette mort est médiatisée.

Les mots qui tuent, les mots qui sauvent

En effet, il est possible de limiter cette contagion suicidaire. L’OMS a ainsi émis plusieurs recommandations destinées aux journalistes : éviter de donner trop de détails, comme la méthode ou le lieu (pour éviter les imitations), éviter d’être trop simpliste (pour éviter les identifications) mais aussi de signaler des ressources à la fin de l’article pour que les personnes concernées puissent aller chercher de l’aide. Une couverture médiatique responsable permet ainsi de limiter l’effet Werther et donc le nombre de morts.

Mais rien n’est acquis. En France, avant la mise en place de programmes de prévention, il était souvent retrouvé la description détaillée du lieu du suicide (71 %) et du moyen (54,5 %). Au contraire, la mention de ressources d’aide disponible n’était présente que dans 14,75 % des cas. Le suicide est un problème de santé publique : c’est 9 000 morts par an en France et 200 000 tentatives de suicide. Les journalistes ont un rôle essentiel et une vraie responsabilité pour en limiter la contagion.

De Papaoutai à Papageno

La santé mentale et le suicide restent un tabou, ce qui entraîne de graves conséquences. Trop souvent, je prends en charge à l’hôpital des patients qui ne sont pas venus chercher du soin avant leur tentative de suicide en raison de la stigmatisation qui entoure la maladie mentale et les idées suicidaires.

Le suicide ne doit donc pas non plus être un tabou médiatique ce qui entraînerait encore plus de stigmatisations. Certaines prises de position autour de la santé mentale et du suicide vont dans le bon sens. Le 23 juillet, suite à sa victoire à l’UFC de Londres, le champion de MMA, Paddy Pimblett a dédié sa victoire à l’un de ses amis qui venait de se donner la mort et a appelé à briser les tabous qui entourent encore le suicide. « Débarrassons-nous de cette stigmatisation !  » a-t-il lancé. « Les hommes doivent parler ».

D’autres prises de paroles sont même réellement salvatrices. Il existe ainsi l’effet inverse de l’effet Werther, c’est l’effet Papageno. Lorsque certaines stars évoquent leur propre tentative de suicide et comment elles s’en sont sorties, le taux de suicide baisse, par identification et imitation, encore une fois. En janvier, l’intervention de Stromae évoquant ses idées suicidaires en direct sur TF1 a par exemple été suivie d’un pic d’appel sur les lignes de prévention du suicide, certaines personnes citant explicitement le chanteur comme facteur déclenchant de leur appel. Les stars et les médias peuvent donc avoir un effet direct sur le nombre de suicides.

Parler du suicide, notamment de celui d’une star, c’est être sur une ligne de crête entre tabou et expression maladroite pourvoyeuse d’imitation. Mais parler du suicide est indispensable car c’est le seul moyen de faire de la prévention et de limiter le nombre de morts. Car si les mots peuvent tuer, ils peuvent aussi sauver des vies.

Si vous avez des idées suicidaires, appelez le 31 14.

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