Marie-José Pérec dans La Face Katché : "Je suis rentrée dans une boutique. La vendeuse ne m'a pas reconnue. J'étais une Noire qui n'avait rien à faire là"

Athlète française, Marie-José Pérec est la seule Française à être triple championne olympique. Mais depuis qu'elle quitté sa Guadeloupe natale, la sportive doit régulièrement se battre pour faire valoir sa place, dans une société où le racisme et le sexisme sont toujours très présents. Dans La Face Katché, elle se confie à Manu Katché, sans langue de bois.

Le nom de Marie-José Pérec résonne dans la tête de tous les fans d'athlétisme, et même de ceux qui ne se passionnent pas pour le sport, tant sa renommée a su dépasser les frontières de la compétition. Triple championne olympique – et seule Française de l'histoire des JO à avoir réussi cette prouesse – détentrice de plusieurs records de France de vitesse, elle est pourtant tombée dans le monde de la compétition un peu par hasard.

Sa prof d'EPS a vite repéré son potentiel

"Je viens de Basse-Terre, en Guadeloupe. C'est un endroit où tout le monde se connaît. On avait une petite maison. Il y avait ma grand-mère, ma mère et mon oncle. On passait notre temps à la rivière. J'ai vécu là-bas jusqu'à 16 ans", raconte-t-elle à Manu Katché, dans La Face Katché. Les événements se déroulent en 1984, il y a près de 30 ans de cela, mais elle s'en souvient comme si c'était hier : "Je suis à un cours d'EPS, et la prof demande à tous les élèves de faire un 60 mètres. Je fais le mien, elle regarde son chrono, et elle me dit : "Mercredi prochain, il y a une compète. Est-ce que tu veux venir avec nous ?" Moi, je dis oui." Oui, mais... À l'époque, Marie-José Pérec ne connaît rien à l'athlétisme. "Elle me ramène des pointes, parce que je n'en avais jamais vu. On est en 84, il y a les Jeux de Los Angeles. Moi je ne sais pas que ça existe. Carl Lewis (qui deviendra l'un de ses modèles, ndlr), je ne sais même pas qu'il existe. Je suis au bord de la rivière avec mes écrevisses. J'arrive à cette compète, je bats tout le monde, et je suis qualifiée pour les Championnats de France."

Podcast La Face Katché
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Une victoire dans une compétition à laquelle elle a participé presque par hasard, et qui va lancer la machine. Pour la première fois de sa vie, l'adolescente s'envole pour Paris, et réussi une prouesse : "Je suis deuxième de ce Championnat de France, et c'est pas rien, parce que je ne m'entraînais pas. Mais je suis disqualifiée parce qu'ils ne m'ont pas dit que les lignes, là, il ne fallait pas mettre les pieds dessus. Moi, je découvre tout ça, mais ça ne me dérange pas : je suis à Paris, j'ai quitté la Guadeloupe, et je suis heureuse d'être là." Car pour l'instant, la compétition ne la passionne pas plus que ça. "Pour moi, c'était une manière de sortir de Guadeloupe et de voir des choses, parce que je voulais voir ce qui se passait ailleurs. Donc moi, je fais des compètes, je vais en Pologne... Je me rends compte que ça me permet de faire des choses dont j'avais toujours rêvé, de voyager. La compète, en elle-même, ne m'intéressait pas trop."

Un coach qui va tout changer

Malgré tout, Marie-José Pérec continue à participer à des compétitions, à voyager, le tout sans vraiment s'entraîner. Jusqu'au jour où un coach va l'encourager à prendre son destin en main. "Je l'avais rencontré la première fois que j'étais venue en France, et il me dit : "Mais est-ce que tu te rends compte du potentiel que tu as ? Donnes-moi une petite chance avec toi. Je t'entraîne de septembre à décembre, et si tu ne progresses pas, tu arrêtes." Je dis OK, je fais mes trois mois, je fais les Championnats d'Europe... Et je suis championne d'Europe. Cet entraînement va définitivement pousser la sportive à poursuivre dans cette voie. "Quelques mois plus tard, je deviens la meilleure Française chez les seniors. En 88, je suis qualifiée pour faire les JO à Séoul. J'ai 20 ans. Et lorsque j'étais à ces jeux, il y avait des bancs. Je suis assise, à côté de moi il y a Carl Lewis qui s'échauffe, et il s'assied où ? Sur le même banc ! Je n'ose même pas regarder. Et à la cérémonie de clôture, il y a cet énorme panneau qui s'affiche, j'ai l'impression que je suis toute seule dans le stade, et le panneau affiche "See you in Barcelona" (On se voit à Barcelone). Et là, je regarde, je dis : "Eh bien dans quatre ans, je viens, et je gagne."

Chose promise, chose due : lors des Jeux Olympiques de Barcelone, en 1992, elle décroche sa première médaille d'or sur 400 mètres. L'adolescente qui pêchait des écrevisses en Guadeloupe a parcouru un sacré chemin, et elle ne compte pas s'arrêter là. La preuve, quelques années plus tard, elle remportera un doublé lors des Jeux d'Atlanta, en 1996 : deux médailles d'or sur 400 mètres et 200 mètres, et une place de choix dans l'histoire du sport : elle est la seule athlète française à être triple championne olympique. Rien que ça.

Trois médailles, mais toujours du racisme

Dans les années 90, la France entière connaît le nom de Marie-José Pérec, et cela change quelque peu la donne. Le comportement des gens vis-à-vis d'elle change. "En dehors du sport, quand j'arrive ici, je me rends compte que je suis noire. Ici, il y a des gens qui m'ont dit des choses comme "Sale Noire, rentre chez toi." Pour moi, gagner, c'était nécessaire, et perdre, c'était la mort. Et il y a beaucoup de gens qui ne comprenaient pas ça chez moi. C'était une façon de dire : "Je suis la voix de ceux qui n'en ont pas. Je peux te donner des exemples. Tu rentres dans une boutique, les gens ils te demandent : "Tu veux quoi, toi ?" En fait, tu ne t'adresses pas comme ça à tout le monde."

Mais au-delà de sa couleur de peau, la championne est aussi une célébrité. "J'ai pour habitude de dire qu'à cette période, j'ai eu le sentiment que j'avais perdu ma couleur. Parce que, d'un coup, au même moment, j'étais une Noire qui n'avait rien à faire là, avec une vendeuse ou un vendeur dans le magasin, et l'autre qui m'avait reconnue. Il voyait mon nom, mais plus ma couleur. Donc je la perdais parce que je courais vite. Et moi, je supportais très mal ça, parce que je me demandais : si ma maman vient dans ce magasin, on va lui demander "Tu veux quoi, toi ? Tu n'as rien à faire ici.""

Racisme et sexisme, la double peine

Comme si le fait d'être victime de racisme n'était pas suffisant, Marie-José Pérec a subi une autre forme de discrimination : le sexisme, présent dans le monde du sport comme dans la vie de tous les jours. "En ce moment, on essaye de mettre la femme en avant. Mais moi, je pense qu'on n'a pas à attendre qu'on nous mette au centre de la société. La place, il faut la prendre." Cette philosophie, elle l'a toujours eue, quitte à subir de vives critiques. "Par exemple, quand je gagne les JO en 96, j'ai deux médailles d'or. Je suis une femme. Je sais qu'il y a un grand magazine qui décide de faire un hors-séries, parce qu'ils ne veulent pas me mettre sur la couv' de leur magazine. Et donc, ils me demandent de faire une photo avec Jean Galfione, qui est aussi Champion Olympique. Et je refuse. Les gens ne savent pas pourquoi je ne la fais pas. Ils pensent que je joue la diva. Mais, en fait, je refuse parce que je n'ai pas envie, quoi. Je veux être seule. Je suis la seule à avoir deux médailles, pourquoi tu veux me mettre avec Jean ?"

Des discriminations qu'elle a pu vivre, qu'elle vit toujours aujourd'hui d'ailleurs, Marie-José Pérec conserve avant tout une impressionnante force de caractère : "Quand tu sais, il faut se battre, parce qu'on ne va rien nous donner. Celui qui veut sa liberté, il doit aller la chercher." Une façon de voir les choses qui vient, selon elle, de son éducation : "Je pense que nous, on a certainement été élevés de cette manière-là : tu dois faire plus pour avoir moins. Et ceux qui ne font rien, je pense qu'ils ont tort. Mais si c'est terrible, parce que c'est comme ça qu'on va changer les choses. Changer leur regard. Il faut forcer les gens, presque, à être respectueux. On doit vivre tous ensemble. C'est pas "On peut". C'est "On doit."

VIDÉO- Retrouvez l'intégralité de la Face Katché de Marie-José Pérec

Article : Laetitia Reboulleau

Interview : Manu Katché

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