Mariés, invités, politiques... 10 ans après le premier mariage pour tous, ils racontent les coulisses

En 2013, Vincent Autin a 40 ans, Bruno Boileau 30. Le premier dirige la marche des fiertés de Montpellier (Hérault), le second est agent administratif. Ensemble depuis sept ans, le couple s'est rencontré par l'intermédiaire d'un forum de fans du chanteur Christophe Willem.

Cette année-là, le mercredi 29 mai, lors d'une cérémonie organisée dans leur ville, ils deviennent le premier couple d'hommes à se marier en France, douze jours après la promulgation de la loi sur le mariage pour tous - le délai pour publier les bans - et après des mois de débats houleux et violents au Parlement et dans les rues.

Mariés, invités, voisins, officiels, policiers… 10 ans plus tard, BFMTV.com vous raconte cette journée historique grâce aux témoignages de celles et ceux qui l'ont vécue.

8h00: les mariés commencent leur journée, les journalistes sont déjà là

Bruno et moi sommes arrivés quelques jours avant le mariage dans notre hôtel. On ne fait pas savoir où on est pour des raisons de tranquillité et de sécurité évidentes. L'hôtel devient notre havre de paix, mais en même temps on voit depuis notre chambre cet hôtel de ville qui nous attend pour se dire oui!

À notre réveil, notre premier réflexe est prendre notre petit déjeuner. Pas en chambre mais dans la salle commune qui donne directement sur le parvis de la mairie.

La salle a une hauteur sous plafond de 4m50, donc ça représente 4m50 de baie vitrée à la vue de tout le monde.

Je tourne la tête à gauche et là, je vois face à moi tout une colonne de journalistes, de caméras de chaînes info mais aussi de médias du monde entier. Je les vois mais eux ne me voient pas.

Il y a plus d'une centaine de journalistes. On entend parler russe, japonais, anglais... CNN à Montpellier, ça n'est pas toujours les jours que je vois ça, avec certains qui jouent des coudes pour avoir la meilleure place!

Ce qui nous stupéfait, c'est qu'ils sont présents alors qu'il n'est que 8 heures du matin! Le mariage doit avoir lieu à 17h30, mais les journalistes veulent faire de la journée un fil rouge qui nous dépasse largement. Du coup, on a le réflexe de fermer les stores de la salle du petit-déjeuner.

On a peur de se retrouver déjà complètement submergés par la presse! On prend notre petit-déjeuner vitesse grand V, avant de se réfugier dans notre chambre.

L’hôtel a pris le soin de nous mettre à disposition une chambre qui ne soit pas exposée parce qu'on a la crainte des photos volées.

Le mot d'ordre est d'être discret. On a volontairement attribué à Bruno et Vincent l'une plus belles suites, à l'abri des regards. Ils peuvent recevoir et organiser des rendez-vous, sans forcément avoir besoin de descendre au bar.

La mairie est en ébullition, d’autant plus que pour la première fois, on a reçu 180 demandes d'accréditation. Ça ne nous est jamais arrivé. Il faut aménager les lieux, pour les invités bien sûr mais aussi pour les journalistes et les télévisions.

Tous les agents municipaux sont occupés par le mariage. Un certain nombre d'entre eux aménagent la salle des rencontres où va avoir lieu la cérémonie en installant des chaises, en déplaçant des tables. Elle est très grande et peut accueillir plus de 1000 personnes.

9h30: les mariés commencent à se préparer, la pression monte pour la sécurité

On entend quelques invectives homophobes d'idiots fuser sur la place. On voit bien qu'il y a beaucoup de policiers, même si leur présence est plutôt discrète. Personne ne sait vraiment où sont les mariés même si on se doute bien qu'ils doivent être dans le coin, au moins dans le centre-ville.

Il y a un dispositif policier à l'intérieur et à l'extérieur de notre hôtel et également autour de la mairie. Il ne pouvait pas en être autrement. La dernière manifestation de l'opposition a eu lieu seulement trois jours avant. Elle a été particulièrement violente.

Même si Montpellier est une ville gay-friendly, on n’est à l'abri de rien. J'ai des années de militantisme derrière moi, j'ai été suffisamment exposé pour savoir qu'il suffit d'un cinglé pour que les choses se passent mal.

On a forcément un peu peur que le mariage tourne mal avec plusieurs options: un happening devant la mairie, quelqu'un de malveillant qui s'introduit à l’intérieur pendant la cérémonie, une banderole de la Manif pour tous à une fenêtre du bâtiment... Il y a beaucoup de possibilités parce que la place Georges-Frêche où se situe la mairie est grande comme deux terrains de football.

La consigne a été passée à toutes les rédactions de venir installer les caméras le matin pour sécuriser le périmètre le plus tôt possible. Un cordon de policiers ceinture la place, avec en tout environ 75-80 policiers déployés et une compagnie de gendarmes à proximité prête à intervenir.

Quand j'arrive, un policier me demande pourquoi je veux passer. Je lui dis que je dois aller au travail, tout simplement! J'hallucine un peu. Je sais qu'il y a une cérémonie parce que tous les journaux du coin en parlent mais je n'ai pas trop suivi les débats sur le mariage pour tous. Là, de voir toutes ces caméras, je n'en crois pas trop mes yeux.

On sent que les journalistes attendent que ça commence pour de vrai! Il y a une agitation particulière même si je n'ai pas l'impression qu'il y ait vraiment beaucoup de gens en dehors du périmètre de la mairie. Et puis, c'est mercredi, donc les gens travaillent aussi.

Avec mes clientes, on se dit: 'Enfin'". Ici, à Montpellier, on a une tradition très LGBT-friendly. On est très heureuses que le premier mariage soit chez nous.

Pendant le reste de la matinée, on ne sort pas de notre chambre. La télé est éteinte, on ne répond pas aux sollicitations des journalistes. On cherche tranquillement à se mettre dans notre bulle et à se couper de la ferveur.

Autour de nous, tout est en place. Nos amis ont notre pleine confiance et font en sorte qu’on soit au maximum préservés ce jour-là, sachant que ce qui nous attend en termes de pression est hyper abyssal.

Étonnement, on reste détendus parce qu’on a confiance, on est persuadés l’un comme l’autre que ça va bien se passer.

On est très conscients aussi que notre mariage ne fait pas exception. À chaque mariage, il y a des petits couacs qui restent dans la postérité et sont plutôt rigolos quand on y repense.

À la mi-journée: les mariés s'isolent

Le midi, on redescend pour manger avec nos très proches, nos familles, nos amis. Cette fois, l'hôtel prend le soin de nous dresser une table complétement au fond du restaurant pour qu’on ne soit pas visible du parvis.

Le bâtiment est complétement bouclé de toute façon. Personne ne peut entrer, sauf les clients. L'atmosphère est plutôt détendue. Les gens qui déjeunent là sont très bienveillants

On consacre ensuite les dernières heures avant le mariage à se reposer tous les deux dans notre chambre. Nos amis nous laissent ce temps-là et se réunissent à un autre endroit de l'hôtel parce que nos proches commencent à arriver.

Même si on a envie de plus d’intimité, on a toujours à l’esprit cette loi et l’égalité qui est franchie par la France et notre futur mariage en est un symbole.

Je fais partie des premiers invités à arriver, vers 13-14 heures, avec Alice Nkom (avocate camerounaise engagée dans la défense des droits LGBT), dont j'ai organisé la venue. Elle explique aux journalistes qu'elle est là parce que c’est un privilège de voir l’évolution des droits pour elle qui vient d’un pays qui criminalise l'homosexualité.

C'est une bouffée d'espoir pour moi. Je me dis que cela peut nous arriver à nous aussi (les Camerounais), ne serait-ce que par ce que notre pays emprunte aux lois de la France.

15h00: les curieux arrivent place Georges Frêche

Dans l'après-midi, le parvis se remplit de monde. Un arc de cercle se forme autour de l'hôtel. Tous les journalistes sont présents pour voir les futurs mariés sortir.

On a l'impression d'être au festival de Cannes, avec les crépitements des flashs et toutes les caméras qui attendent.

Je travaille parce que c'est mercredi et qu'on a toujours beaucoup de réservations en mai pour les vacances d'été. À un moment, je lève la tête de mon ordinateur et je vois un attroupement qui dépasse celui des journalistes que j'ai vu en arrivant le matin. C'est super sympa, ça fait chaud au cœur.

Il y a énormément de monde. On se rend compte assez vite que ce ne sont pas des gens de la famille, que ce ne sont pas non plus des militants pour ou contre le mariage pour tous. Il y a beaucoup de Montpelliérains qui sont là parce qu’il y a un évènement et que c’est un évènement heureux.

On est un jour de mai, il fait beau, la loi est passée. On a l’impression que tout cela s’est apaisé, que les gens sont plutôt contents d’être là.

J'ai suivi les débats et je veux être là pour voir la cérémonie. C'est important pour moi d'être présente, c'est un moment où je me pose beaucoup de questions sur mes relations amoureuses.

Quand j'arrive, je m'étonne un peu de l'absence d'écran géant. Sur Facebook, la mairie avait expliqué deux ou trois jours avant qu'on pourrait tout voir de l'extérieur. Je décide de rester quand même .

On avait envisagé de mettre des écrans géants devant la mairie pour que tout le monde puisse assister au mariage mais finalement on s’est dit qu'il était inutile d’amener une agitation supplémentaire à celle qui existe déjà.

Tout se passe bien, à quelques exceptions près... À un moment donné, je suis en plein direct, concentré sur la caméra, mais je vois un bras qui s'avance vers moi. C'est une personne qui essaye de me donner un coup de poing, que je réussis à éviter. Il y a des insultes homophobes, sur les francs-maçons et puis ensuite, tout est un petit peu décousu.

Je suis choqué par ce geste, mais surtout par le fait qu'il tient dans ses bras un enfant de trois ou quatre ans. Je comprends que ce type est un peu dérangé. D'ailleurs, il avait fait à peu près la même chose à un journaliste d'Itélé quelques minutes avant.

Je suis très énervé, comme ça m'arrive lorsque je suis interrompu de manière violente en plein direct. D'autant plus que j'étais en train de parler d'une "ambiance bon enfant". C’est pour ça que pendant mon intervention, j'explique qu’il y a un seul imbécile dans cette foule.

On va être très honnête, il y a prescription, mais à la fin du direct, je hurle à la foule qu’il y a un homophobe et qu’il a sans doute des choses à leur dire. Ce type part assez vite!

16h00: les premiers invités s'installent

On a prévu très en amont de fouiller les invités qui doivent obligatoirement être sur la liste. On les passe tous au détecteur de métaux.

On a une crainte quand on réfléchit au dispositif: que les mariés soient un peu réticents sur la sécurité parce qu’on n’a pas forcément l’habitude d’être fouillé. Quand les gens doivent se plier à l’exercice, c’est souvent pour rentrer dans un stade pour un match. À l’entrée d’une mairie, c’est plus surprenant. Mais Bruno et Vincent sont très coopératifs, tout comme les invités.

Il faut organiser de la manière la plus normale possible un événement exceptionnel. Le but est que les mariés soient dans un cocon, que ça ressemble le plus possible à un mariage comme tous les autres.

D'habitude, on arrive aux évènements en tenue avec notre voile, notre cornette et notre maquillage. On passe rarement inaperçues! Mais pour éviter les débordements avec des militants de la Manif pour tous sur le parvis, la mairie nous a demandé de venir "en civil" et a mis à notre disposition une pièce pour nous changer. Mais quand on arrive avec nos gros sacs, la sécurité ne nous fouille pas. Ça prend trop de temps!

On travaille aussi à protéger Hélène Mandroux pour qu'elle puisse se concentrer sur cette journée sans fioritures. La seule chose qu'on lui a dit, c'est qu'elle aurait des gardiens, des membres du service de protection des hautes personnalités.

Un peu avant le mariage, mon chef de cabinet vient me dire Madame le maire, Monsieur le préfet vous a octroyé deux gardes du corps. Je ne comprends absolument pas pourquoi et il m’explique que c’est parce que j’ai reçu des menaces de mort. Pas qu’une, une certaine quantité.

16h30: une alerte à la bombe met les policiers sur le qui-vive

On nous fait remonter qu'un coup de fil anonyme a été passé au standard de la mairie pour dire qu'une bombe se trouvait à l’hôtel de ville. C'est le modus operandi assez classique quand vous êtes malveillant.

On ne pense pas qu'il y a une vraie bombe mais on suit bien la procédure. Ça nous oblige à faire venir un chien renifleur et ça, ça prend toujours un peu de temps, ce qui est très souvent le but recherché de ce genre d'appel.

La préfecture prend la main et une fois le service de déminage passé, on comprend qu'il s'agit d'une volonté d'empêcher (le mariage), mais ça ne sert à rien. Les invités présents sont vérifiés, ça ne dure pas plus d’un quart d'heure.

On n’est pas avertis à ce moment-là. On va nous le dire après-coup mais nous on est dans un moment isolé, en toute confiance vis-à vis-des forces de l’ordre, de sécurité, et puis des personnes qui gèrent tout ça au sein de la ville de Montpellier.

17h00: les figures politique du mariage pour tous arrivent

J'ai défendu le mariage pour tous dans l'hémicycle pendant plusieurs semaines. Ça a été très dur moralement. J'ai été attaqué à la fois sur le plan politique, c'est le jeu, mais aussi personnellement, avec mes proches, par des gens de la Manif pour tous qui ont battu le pavé, parfois avec beaucoup de virulence. Autant dire que cette journée prend une tournure très forte pour moi.

J'atterris à l'aéroport avec Najat Vallaud-Belkacem. Des policiers nous attendent à la sortie et nous déposent directement au parking du sous-sol de la mairie. Les forces de l'ordre veulent éviter qu'on puisse être des cibles en passant devant les manifestants qui pourraient être présents sur le parvis.

Je n'ai pas défendu la loi à l'Assemblée mais pendant des soirées entières, j'ai enchaîné les plateaux de télévision pour convaincre les opposants. Ça a parfois été très dur, certaines couvertures de magazine étaient à la limite de l'insulte.

Ma venue au mariage est un peu compliquée à faire passer dans les rangs du gouvernement. Je dis donc que je viens à titre personnel même si évidemment c'est un peu hypocrite.

Mais pour moi, ma présence est une évidence. C'est moi qui ait glissé à Bruno et Vincent l'idée d'être le premier couple à se marier en septembre, lors d’une conférence de presse à Montpellier sur la lutte contre l'homophobie (en septembre 2012, NDLR).

Au moment où Najat Vallaud-Belkacem m'a fait cette proposition, Bruno n’était pas là, contrairement aux médias. Donc, mon premier réflexe, c’est de l'appeler parce qu’il risquait d’avoir des informations par les chaînes infos, avant même que je n'ai eu le temps de lui parler. Je lui ai dit, 'voilà, il s’est passé ça'. Il m’a répondu 'bon d’accord'.

J'étais étonné... J'ai dit oui. Puis, je suis parti réfléchir en laissant mes collègues de travail pour aller m'isoler dans un genre de placard... C'est bizarre quand on sait ce que représente le placard pour les gays.

Cela étant dit, Bruno et moi étions dans la démarche de se marier. On savait que si cette loi devait voir le jour, on se marierait. Donc, finalement on n’a pas eu besoin de se dire 'au fait, est-ce que tu as envie de m’épouser?'

Je savais que la première cérémonie serait très belle et en même temps probablement tendue en terme de sécurité. Il fallait des militants, prêts à supporter la pression. Je connais bien Vincent, je savais que l'idée lui plairait.

Et puis, ils sont très beaux tous les deux. Je voulais que les images de leur mariage soient esthétiques comme elles resteraient dans la postérité.

Je me suis vraiment mise sur mon 31 pour la peine! Je ne me suis jamais aussi bien habillée de ma vie, je crois. Après autant de noirceur dans les débats, je sens bien qu'on a envie pour ce mariage de lumière, de couleur, de beauté. Quand j'entre dans la salle, la mère de Bruno me prend par le bras, me présente à sa famille. Je suis très touchée.

17h30: les mariés traversent le parvis

On a deux choix: traverser la place avec les personnes qui viennent célébrer ce moment ou passer par les sous-sols. Il est absolument hors de question qu’on se cache le jour de notre mariage qui est symboliquement le plus beau de notre vie. On prend donc la décision de traverser l’hôtel de ville comme le ferait n’importe quel citoyen ou citoyenne pour se rendre à la mairie.

Les mariés veulent faire de la cérémonie un événement et c'est bien normal mais on a la crainte que ça pète pendant leur traversée sur la place Georges-Frêche.

On se dit que la Manif pour tous peut vouloir faire un coup médiatique et que la traversée du parvis est un peu leur moment pour tenter quelque chose. On a vraiment tous les ingrédients pour un cocktail explosif.

Des forces de l'ordre sont présentes à l'intérieur de l'hôtel pour aider les mariés à sortir. À l'extérieur, ils sont 6 ou 7 à se donner la main entre eux pour former une bulle et les aider à avancer dans la foule.

Je ne suis pas certain que les mariés se rendent compte des risques. Je les sens stressés mais plus parce qu'il y a du monde que parce qu'ils se disent qu'il y a du danger.

D'un côté, on est dans notre bulle, ensemble dans ce moment d'amour et de l'autre on entend, on voit tout ce qui se passe. On sait qu'il faut aller vite pour ne pas créer un mouvement de foule et remettre en question la sécurité.

Je sors détendu de l'hôtel, mais la première image que j'ai, c'est un mur de journalistes. Il y en a même sur des escabeaux. Mais ce que je ne sais pas, c'est que derrière ce mur, il y 3000, 4000 personnes qui sont présentes.

À leur sortie, on entend des cris de joie, l'immense majorité des gens sont en train d'applaudir mais je me rends compte qu'il y a aussi quelques hués, des jets d'eau et des crachats.

On est dans la configuration de quelqu'un qui peut s'approcher pour faire du grabuge avec des insultes ou la volonté d'en découdre. Finalement, on essuie bien des quolibets homophobes mais rien de plus.

Les insultes, c'est le revers de la médaille. Quand on est engagé sur quelque chose, des fois il y a une réponse en face, elle est ce qu’elle est. Voilà, ce sont des menaces. On ne peut s’enlever de la tête que quelqu'un vous insulte. Tu n’as pas d’argument donc tu me dis ça d'une certaine façon.

Progressivement, la foule se rapproche vers nous. Elle est très compacte. Et quand on est agoraphobe comme moi, on s'accroche à la main de son futur mari. On essaye de débrancher le cerveau pour ne pas se retrouver dans la panique.

Il faut imaginer que ça ressemble à un homme ou une femme politique en train d'avancer au salon de l'Agriculture ou les deux premiers d'une étape de montagne du Tour de France: vous ne voyez rien, vous essayez d'avancer et il y a simplement un visage ami qui vous dit, 'c'est par là'. Donc, c'est quand même un moment particulier.

On identifie une personne agressive, mais elle est vite isolée du reste de la foule.

Il y a un petit débordement, de l’autre côté de la mairie où se trouve un parc mais pas sur le parvis parce qu’il y a quand même des forces de sécurité qui sont très nombreuses.

Dans ce parc, il y a une demi-douzaine de manifestants qui sont venus avec des panneaux anti-mariage. Ils sont là, il faut les montrer à l'antenne tout en expliquant que ce ne sont que 10 personnes dans un océan de sympathie. Le happening est rapidement éteint. Ce n'est pas sur la place donc les gens ne le voient pas vraiment.

Une des personnes tient des propos homophobes publiquement pendant qu’on entre dans la mairie. Il n'a pas de chance, il le fait à un moment où un gros dispositif policier est déployé. Il y a surtout un officier de police judiciaire, dont le témoignage va attester de ces propos. Des procédures sont engagées. Bruno et moi nous constituons partie civile et après un certain nombre de mois, cette personne est condamné pour injures homophobes.

17h45: les mariés arrivent à la mairie

On entre dans la mairie, on parle quelques minutes avec les équipes pour régler les petits détails logistiques, puis on entre dans la très belle salle des rencontres.

On n'a pas eu besoin de la décorer, elle l'était naturellement. Elle a été faite par Jean Nouvel. Ses parois ont des rideaux de pastilles d'aluminium qui créent des couleurs avec la lumière, dont des couleurs arc-en-ciel, mais c'est une coïncidence.

On arrive sur Love de Nat King Cole. Pour nous, cette chanson est une évidence. C'est la célébration des amours, pas seulement du nôtre. Les gens se lèvent et nous applaudissent.

Les opposants au mariage pour tous nous ont beaucoup dit pendant les débats qu'on allait ridiculiser l'institution du mariage. Et là, quand je vois les deux futurs mariés entrer, je me dis qu'on est à la hauteur et que tout ne peut que rentrer dans l'ordre. Je vois un symbole militant mais je vois aussi un acte d'amour, finalement assez classique.

C’est une émotion extraordinaire. On comprend qu’on va assister à un moment historique, qui va rester gravé. On est dans un festival de joie, avec l’impression d’être dans un mariage à l'hollywoodienne.

C'est très impressionnant de voir arriver Vincent et Bruno qui croulent sous les flashs des photographes. Mais il y aussi beaucoup de visages bien connus. Vincent a invité presque tous les membres des associations LGBT de Montpellier. J'aurais probablement un peu paniqué s'il n'y avait pas eu autant de personnes que je connais bien autour de moi.

La plupart des personnes présentes, nous les connaissons très bien. Il y a des militants, des personnes du milieu associatif, évidemment quelques personnalités locales... Et puis surtout, en grande partie nos amis et nos familles.

Finalement, la seule chose qui diffère un peu (d'un mariage ordinaire) c’est d’avoir deux murs de journalistes de part et d’autre de la maire. Là, évidemment on ne peut pas dire qu’on est dans un mariage standard.

17h50: la cérémonie commence

Je commence mon discours en leur disant: voilà un moment que vous attendez déjà depuis plusieurs années et, enfin, ce moment est arrivé. On est quatre ans après l'appel de Montpellier, une tribune que j’avais lancée pour pousser à une loi sur le mariage pour tous. Et ça y est.

J'explique que cette journée, Bruno et Vincent l'ont rêvé, tout comme nous. Aujourd’hui, le rêve devient enfin réalité. On vit un moment historique dans la vie de ce couple mais aussi dans la République.

Je vis très bien le moment. J'attendais ça avec une impatience non dissimulée. Chaque mot d'Hélène Mandroux me marque.

Je suis conscient de cette loi qui est enfin là, du combat qui fut celui des militants pendant des années, dont je fais partie. Je suis conscient de ce à quoi on a tous été exposés pendant toutes ces manifestations honteuses.

Chaque mot est précieux parce que chaque mot me montre le chemin qu’on a parcouru tous ensemble.

Je suis la cérémonie depuis mon bureau de l'Élysée. J'ai bien été invité mais je ne peux pas honorer l'invitation (le président s’est rendu dans la matinée à Rodez avant de revenir à Paris, NDLR). Je suis très touché de voir mon portrait à côté d'Hélène Mandroux sur un chevalet près des mariés.

Comme c’était le premier mariage (d'un couple de même sexe) et l’engagement 31 (du programme) de François Hollande, on a mis le portrait (habituellement installé dans la salle des mariages, NDLR) en plus gros et un peu mieux placé pour qu’il soit présent avec nous à ce moment-là.

Je veux aussi lire un message que j'ai reçu par mail: "Merci d’avoir aidé ma maman et les autres homosexuels. Je suis content que vous avez défendu la loi pour les gens comme ma maman. Je n’ai plus peur maintenant."

La prononciation de ces mots n'est pas loin de nous décrocher une larme. On sait que nous sommes du bon côté de l'histoire, mais là, c'est un enfant qui nous le dit. Ça a toute son importance, parce que le combat que nous menons est un combat pour nous-même mais également pour les futures générations.

Je vais au bout de mon discours sans aucun problème. Je lis ensuite les actes qu'il faut lire à ce moment-là. Bien sûr, ce n'est pas exactement comme d'habitude. Je ne dis pas Madame voulez-vous prendre Monsieur pour époux, je ne dis pas Monsieur voulez-vous prendre Madame pour épouse! Je les déclare unis par les liens du mariage, tout simplement.

Quand Hélène Mandroux prononce ces fameux mots, c'est comme si je venais de marier mes enfants. Pour le législateur que je suis, qui a beaucoup bataillé dans l'hémicycle avec Erwann Binet, ce sont des mots très forts. Je me sens très fier.

On se dit oui à 18h01, avec une minute de retard sur le protocole qu'on avait défini! À ce moment-là, on n'est plus que Bruno et moi.

C'est le seul moment qui n'appartient véritablement qu'à nous, même si notre baiser va être shooté des milliers de fois et faire le tour du monde!

Mais à ce moment-là, c'est comme s'il n'y avait plus rien dans la pièce. Je ne vois que le visage de Bruno et inversement.

Tout le long du combat j’ai vu des gens qui se disent 'pourquoi deux hommes peuvent s’embrasser'. Parfois, ce simple geste d’amour peut coûter la prison dans mon pays. Et là, je vois deux hommes qui s’aiment et ont officiellement le droit de s’embrasser publiquement.

Je me dis: on a réussi, ils ont réussi...

J'adore regarder le visage des gens pendant les mariages. Je regarde la maman de Vincent et je vois qu'elle est très heureuse. Je savoure ce mariage qui est très beau, qui amène de la lumière après tant d'obscurité. Je vois beaucoup de larmes couler. Moi-même, j'ai les yeux embués.

L'agent administratif qui doit lire l'acte de mariage est prise d'une émotion très forte. Elle a les larmes qui coulent. C'est un petit moment d'émotion entre elle, les deux mariés et moi-même.

Elle réalise qu’elle participe à un moment d'histoire, pas de l'histoire de Bruno et moi, non, l’histoire dans toute sa dimension. Je pense que chacun dans la salle est conscient de ça.

On termine le mariage sur la chanson Love and marriage de Frank Sinatra. Elle parle de la parentalité et fait écho au désir de Bruno et moi d'avoir des enfants. Peu après, Hélène Mandroux nous remet les livrets de famille et ça nous procure une joie incommensurable. Même si on n'a pas d'enfant, ça signifie qu'on est déjà une famille aux yeux de la République!

18h40: les mariés prononcent leurs discours

On fait ensuite une prise de parole et c'est sans doute l'une des plus compliquées pour moi. Pourtant, dieu sait que les prises de paroles, les discours publics, les interviews... J'en ai l'habitude.

Il n’y a aucun mot qui peut être assez fort pour imager le geste qu’on a envie d’accomplir. Pour moi, avec notre mariage, l’amour a triomphé sur une part de haine.

J'ai très envie de citer Martin Luther King et c'est mon mariage donc je peux bien le faire! "Si la loi ne peut pas vous obliger à nous aimer, elle peut vous obliger à ne pas nous faire lyncher." Je m'adresse à nos proches bien sûr mais c'est à tous les opposants que je le dis.

Je n'ai qu'une peur: celle que nos vies ne soient pas assez longues pour s'aimer.

Il a fallu faire avec la haine et maintenant on va tourner une page et vivre autre chose ensemble. Je remercie ma famille et tous ceux qu’on entend dehors depuis tout à l’heure (sur le parvis) et qui réagissent. Ça fait très plaisir. Je remercie aussi la maire pour sa cohérence et son engagement. (Je dis à Vincent) 'je t'aime'.

Pour le coup, Bruno est très bon. Il a moins été dans le contrôle que moi durant la cérémonie, mais là c'est lui qui canalise le mieux son émotion.

Juste après, les journalistes franchissent les cordons dans lesquels ils étaient sécurisés. On se prête à l'exercice et on leur dit quelques mots.

Beaucoup de gens attendaient cette loi et maintenant, voilà, c’est fait. D’autres vont faire comme nous aujourd’hui, célébrer leurs unions. Et on espère y aller souvent d’ailleurs!

Ce qui nous intéresse surtout, c’est d’aller voir toutes les personnes à l'extérieur, qui n'ont pas la chance d’être dans la salle. Pendant la cérémonie, je les ai entendus crier, applaudir, scander nos noms, prononcer des hourras, des 'on a gagné'. Ça nous donne des frissons.

On entend ce qui se passe dehors. C'est paradoxal: les mariages, en principe, relèvent de l'intimité. Mais là, l'aboutissement de cette loi devient un souvenir collectif.

C'est évidemment compliqué d'aller sur le parvis pour des raisons de sécurité. Très rapidement, les autorités nous disent: 'là, il ne faut pas redescendre parce qu'on n'est pas sûrs que vous puissiez remonter.' Du coup, Hélène Mandroux nous dit à l'oreille: 'on n’a qu'à aller leur faire un coucou sur le balcon de l'hôtel de ville.'

19h00: les mariés et la maire de Montpellier s'adressent aux badauds depuis le balcon de la mairie

Quand nous arrivons sur le balcon tous les trois, tous ceux qui nous attendaient applaudissent. C'est un grand moment de fête, de liesse et de partage.

Il y a une vague d'amour sous nos yeux. On prend le micro et on dit quelques mots aux personnes qui sont là. Je les remercie et j'en profite pour rappeler que, deux jours après, il y a la marche des fiertés à Montpellier, dont je suis le président.

Je suis conscient que la vie n'est pas terminée! Certes, c'est notre mariage, mais il y a bien des choses à prévoir après.

Et puis, la foule se met à hurler comme un seul homme, ou comme une seule femme pour nous demander de nous faire un bisou. Donc on s'embrasse et on a des applaudissements absolument ahurissants.

Les gens qui les attendent ne sont pas venus avec des bouteilles de champagne ou des grains de riz. Ils sont venus comme des badauds, plutôt sympathisants mais pas militants. Quand le discours au balcon est fini, ils repartent comme des badauds, par petits groupes. Voilà c’est fait, maintenant ça peut se refaire.

19h30: les mariés retrouvent leurs proches

On boit une coupe de champagne avec nos proches et les personnes du milieu associatif de Montpellier. Quand on rentre à nouveau dans la salle des rencontres, on fait face à énormément de demandes de journalistes. Il y a un mur de caméras à l'extérieur de l'hôtel de ville. On prend la décision de descendre derrière la mairie, pour dire un petit mot au maximum de journalistes qui sont présents.

Il y a eu cette partie publique, parce qu’on voulait partager ça avec ceux qui se sont battus pour ce mariage. Mais, comme pour tout mariage, il y a toujours un temps privé qui permet de célébrer seulement avec les gens qui font notre quotidien. On bascule sur cette partie plus privée, avec un autre vin d’honneur avec notre entourage, puis le dîner et la fête. C’est un moment qui n’appartient qu’à nous…

* Bruno Boileau n'a pas souhaité participer à cet article. Ses citations sont issues d'articles parus dans Libération en 2013 et 2023, de reportages de l'AFP et de France 3 diffusés en 2013 et du documentaire Homo et Alors?!? diffusé en 2015 sur Arte.

** Cette citation d'Hélène Mandroux est extraite d'un podcast du Midi Libre.

*** Ces citations sont extraites des discours prononcés par Hélène Mandroux, Vincent Autin et Bruno Boileau lors du mariage le 29 mai 2013.

Article original publié sur BFMTV.com