Comment Mappa est devenu le studio d'animation le plus incontournable du moment

Détail de l'affiche de la série
Détail de l'affiche de la série

En moins de dix ans, Mappa s'est imposé comme l'un des studios d'animation les plus importants au Japon. Chaque nouveau projet de cette entreprise fondée en juin 2011 par Masao Maruyama et située à Suginami, dans la préfecture de Tokyo, déchaîne les passions. Une popularité obtenue grâce aux adaptations des mangas les plus populaires du moment: L'Attaque des Titans, Jujutsu Kaisen et maintenant Chainsaw Man, dont le premier épisode est diffusé ce mardi sur Crunchyroll.

Pour mesurer l'immense popularité de Mappa, il suffisait de se rendre en mars dernier à l'avant-première de Jujutsu Kaisen 0 au Grand Rex, pour découvrir la salle hurlant à l'unisson le nom du studio dès son apparition à l'écran. "Notre nom est particulièrement facile à prononcer quel que soit le pays", explique le président du studio Manabu Otsuka, rencontré en juillet à Japan Expo. "C'est pour ça que les gens le retiennent beaucoup plus facilement." Ce succès s'accompagne pourtant d'une communication ultra-verrouillée.

Pour rencontrer les dirigeants de Mappa, il faut montrer patte blanche. Certains sujets, comme les conditions de travail au sein du studio, sont tabous. Difficile également d'évoquer la figure de Masao Maruyama ou le changement de stratégie opéré après son départ. Lors de l'interview, les trois représentants du studio - Manabu Otsuka, le producteur Makoto Kimura et le scénariste Hiroshi Seko - répondent les yeux fixés sur une feuille où sont imprimées les questions, validées en amont.

L'Américain John Easum, directeur de Crunchyroll Europe, Moyen-Orient et Afrique, qui diffuse les séries Mappa sur la plateforme de streaming, se tient à proximité. Une armée de représentants de Crunchyroll complète cette mini-assemblée, encerclant le journaliste. À chaque question, le même rituel se reproduit: chacun vérifie qu'elle correspond bien à la question préalablement envoyée. Impossible de dévier du programme.

Soin apporté à l'animation

Cet imposant dispositif n'empêche pas Manabu Otsuka d'analyser avec acuité la renommée de Mappa. "Il y a deux raisons", expose-t-il. "La première, c'est qu'il y a beaucoup de créateurs qui viennent chez nous pour produire de nombreux animes très différents. Soit je leur ai demandé de venir, soit ils nous ont contactés directement. La deuxième raison, c'est que nous avons fait des œuvres qui sont très connues. On pense que c'est ce qui a accéléré notre ascension."

Cette ascension s'est faite grâce à une imposante masse salariale, plus importante que celle des autres studios, et qui contraint Mappa a enchaîner les projets. "Une fois qu'une série est terminée, Mappa ne peut pas payer ses salariés à ne rien faire. Le studio se retrouve donc obligé, pour les payer, d'accepter des commandes en attendant d'avoir des projets intéressants", décrypte Eddie Mehong, pionnier de l'animation française qui collabore fréquemment avec le studio.

Avec un nombre exponentiel de productions à traiter, Mappa soigne certaines séries - celles au plus fort potentiel commercial - au détriment d'autres. Une stratégie payante, pour séduire les fanbases souvent intraitables de ces œuvres. Pour son adaptation de Chainsaw Man, le studio n'a ainsi rien laissé au hasard et a fait appel à "des monstres pour animer, comme sur la saison 1 de One Punch Man", s'enthousiasme l'animateur Dorian Coulon, qui travaille avec Mappa sur L'Attaque des titans (SnK).

Pour cette autre série populaire, le studio a fait appel à ses meilleurs animateurs, qui suivent à la lettre une bible, conçue pour se distinguer du style de Wit Studio, qui a signé les trois premières saisons de SnK. "Il y a des choses sur les lumières que l'on retrouvait chez Wit Studio et qu'il ne faut pas mettre chez Mappa", note Dorian Coulon. "C'est très encadré. Il y a beaucoup de détails à respecter. Même pour les yeux. Il faut une double ligne pour faire à l'iris. C'est pareil pour les rides."

Le style de Mappa prend le contrepied de l'animation japonaise traditionnelle, qui est le plus souvent semi-réaliste. Un style exigeant, qui n'est pas fait pour "tout le monde", insiste Eddie Mehong: "Il faut avoir beaucoup de talent pour intégrer Mappa, parce qu'il faut un bon sens de l'observation." Mais avec huit séries actuellement en cours de production chez Mappa, et des animateurs "dans un état de fatigue complet", difficile de suivre ce marché en constante expansion.

Gros budgets et surmenage

Cette accumulation des projets est liée aux œuvres adaptées, qui sont "particulièrement longues" et "pas toujours terminées", se défend Manabu Otsuka: "Depuis les années 2017-2020, il y a eu un plus grand nombre de séries, mais en soi, nous n'avons pas l’impression d’avoir doublé notre production. Ça ne change pas grand-chose pour nous." En février, le réalisateur Teruyuki Omine avait pourtant révélé sur Twitter qu'il n'avait pu rentrer chez lui qu'après trois jours de travail intensif au studio.

Les conditions de travail de Mappa sont de plus en plus dénoncées par la profession. "Si on ne parle pas aux animateurs, on n'entendra jamais parler des conditions de travail", déplore l'un d'entre eux sous couvert d'anonymat.

"Je connais une personne qui a travaillé sur deux épisodes de Chainsaw Man. Elle avait une minute à animer à elle toute seule. Elle s'est retrouvée avec un syndrome du canal carpien juste après avoir fait le 'layout' [étape intermédiaire de composition de l'image, ndlr]."

"Elle n'avait pas commencé le 'cleaning' [le moment où un dessin est "nettoyé", ou finalisé, ndlr] qu’elle s'était cassé le poignet", poursuit-il. "Même sur Chainsaw Man, où les conditions de travail sont meilleures que sur leurs autres séries, il ne faut pas perdre de vue que c’est une production japonaise." Ce milieu, qui s'ouvre de plus en plus à des animateurs étrangers, est très opaque, et offre le plus souvent une rémunération basse pour des heures de travail très longues.

Si Mappa ne paie pas forcément mieux que les autres studios, ses productions disposent en revanche souvent de budgets plus importants. Et si les animateurs de tous les continents se pressent pour y travailler, c'est avant tout pour l'aura des projets. "C'est précisément pour cette raison que je ne bosse pas pour eux", note une figure du milieu. "Je trouve que Mappa joue trop de son aura pour réduire en esclavage des jeunes qui sont fans d’animation et de ces titres."

"Le meilleur élève du système japonais"

Mappa, qui n'a pas prévu de ralentir la cadence, se présente comme "le meilleur élève du système japonais, qui est très porté vers le capitalisme", poursuit cette figure du milieu: "Dans ce contexte de surexploitation des animateurs, un studio veut se battre pour créer encore plus de séries que les autres. Ce studio, c'est Mappa, qui pense être le plus grand studio d’animation du Japon, parce qu'il est capable de produire le plus de séries en même temps."

Mappa n'a pas toujours fonctionné de la sorte. À ses débuts, le studio s'appuyait plus sur les créations originales que sur les blockbusters du manga. "Mappa a été créé pour réaliser [le drame] Dans un recoin de ce monde", rappelle ainsi Manabu Otsuka. Et l'objectif était de se dégager de toute obligation commerciale. "M. Maruyama a voulu créer un endroit où il aurait moins de pression", dit Eddie Mehong. "Madhouse, son précédent studio, était devenu une entité trop grosse, pilotée par des comités."

Sept ans après son départ, que reste-t-il de Masao Maruyama au studio Mappa? "Plus que la qualité de l’animation, c’est surtout notre relation avec les créateurs [qui importe]", insiste Manabu Otsuka. "M. Maruyama avait tendance à créer des relations de longue durée avec ses créateurs. Il en connaissait certains depuis plus de vingt ans. Je connais [le scénariste] Hiroshi Seko depuis 2012. J'essaye d’entretenir cet esprit, de garder une relation intime avec les créateurs."

Eddie Mehong voit en lui le digne successeur de Masao Maruyama. "Je sais qu'il est au four et au moulin, mais c'est quelqu'un qui s'implique beaucoup. Il est un peu de la même école que M. Maruyama. Il va plus se battre pour les artistes que la plupart des producteurs des gros studios. Il n'est pas du tout du genre à baisser les salaires pour rentrer dans ses frais. Il poussera au contraire pour renégocier les contrats avec ses clients, et les faire payer plus. Je pense qu’il a un peu plus les pieds sur terre."

Vers l'international

A l'ère de Netflix, Manabu Otsuka a désormais le regard tourné vers l'international, avec comme objectif de "faire grandir le studio en termes de qualité de projets et de business pour en faire l'entreprise la plus internationale possible". Mappa n'a en réalité pas le choix, analyse Eddie Mehong: "Il y a beaucoup de concurrence sur le marché japonais et les projets ne sont pas forcément très bien payés." C'est ainsi que Mappa a signé l'année dernière pour Netflix une série sur le samouraï noir Yasuke.

Chainsaw Man devrait consolider dans les prochaines semaines la place de Mappa à l'international. Le studio a promis qu'il ne censurerait pas le ton du manga si atypique de Tatsuki Fujimoto. "On ne veut rien s’interdire. On a voulu rester fidèle à Chainsaw Man", confirme son scénariste Hiroshi Seko, auto-proclamé expert "des séries où il y a beaucoup de morts et de massacres". Si l'essai est concluant, Manabu Otsuka envisage d'animer les autres œuvres de Tatsuki Fujimoto.

2023 devrait être une année très chargée pour le studio, avec l'ultime saison de L'Attaque des Titans. Mappa, fidèle à sa réputation, promet "une meilleure fin" que celle imaginée par le créateur du manga, Hajime Isayama. La seconde saison du très populaire Jujutsu Kaisen débarquera aussi dans le courant de l'année prochaine. Elle devrait surprendre les fans, promet Manabu Otsuka: "Nous n'allons pas faire la même chose et nous répéter!"

Article original publié sur BFMTV.com