Manifestations spontanées, blocages... Les forces de l'ordre face au défi des mouvements anti-réforme des retraites

Manifestations spontanées à Toulouse, Lille, Strasbourg, Montpellier ou place de la Concorde à Paris jeudi juste après le recours à l'article 49.3 pour faire adopter la réforme des retraites. Cortège samedi dans le sud de la capitale puis dans le quartier du Châtelet le lendemain. Blocage sur la rocade de Rennes lundi matin. La colère ne faiblit pas dans les rues et des rassemblements organisés ou spontanés se déroulent, dans le calme ou ponctués de débordements.

Depuis jeudi, les forces de l'ordre doivent donc faire face à de nouvelles formes de mobilisations, différentes des huit journées qui ont vu des rassemblements partout en France à l'appel de l'intersyndicale. "La différence, c'est que nous n'avons pas d'interlocuteurs pour préparer le parcours ou pour nous dire ce qu'ils souhaitent faire", détaille Johann Cavalero, délégué national du syndicat Alliance.

"On ajuste donc le dispositif et on réagit par rapport à ce qu'il se passe en face", poursuit ce spécialiste du maintien de l'ordre.

Adaptation et ajustement

Le renseignement territorial avait alerté depuis plusieurs jours sur une radicalisation du mouvement, surtout si le gouvernement faisait usage de l'article 49.3, synonyme de "passage en force" pour les opposants à la réforme.

Lundi, la soirée a été émaillée par des tensions entre les forces de l'ordre et des manifestants, qui tenaient plus du jeu du chat et de la souris, que de l'affrontement. De nombreuses poubelles ont été incendiées.

"On essaie de très vite disperser ces groupes qui commettent des exactions, résume ce mardi sur BFMTV le préfet de police de Paris Laurent Nunez. Dès qu’il y a des exactions nous intervenons pour y mettre un terme."

Jeudi, dans la foulée du déclenchement de l'article par Élisabeth Borne, plus de 6000 manifestants s'étaient rassemblés place de la Concorde, séparée de l'Assemblée nationale par un pont. Les forces de l'ordre avaient dispersé une bonne partie des manifestants, notamment avec des canons à eau. Plusieurs charges et des jets de gaz lacrymogène les avaient éloignés du pont menant au Palais Bourbon. Depuis, le lieu a été interdit de rassemblement. "Les cortèges sauvages nous les éviterons parce qu'il pose à chaque fois des problèmes", note Laurent Nunez.

"Le propre du maintien de l'ordre, c'est aussi de s'adapter, estime Grégory Joron, secrétaire général d'Unité SGP Police FO et ancien CRS. C'est réellement de la réponse en temps réel."

Pour gérer les blocages d'axes routiers, de raffineries ou encore de dépôts de camions poubelles, que se soit par un rassemblement de manifestants ou avec des véhicules, "on sait faire", résume Johann Cavalero.

"Tout dépend des consignes du préfet, poursuit cet ancien CRS. On négocie au départ puis on peut faire usage de la force après les sommations d'usage."

L'inconnue des réseaux sociaux

Cette réactivité est toutefois aujourd'hui mise à mal par une anticipation plus compliquée des risques avec des appels au rassemblement qui se font par le biais des réseaux sociaux et les messageries cryptées. Un important dispositif de sécurité a été déployé ce lundi aux abords de la place de la Concorde alors que des motions de censure contre le gouvernement ont été examinées.

Mais les autorités savaient d'ores et déjà que les manifestants pourraient viser d'autres lieux de rassemblement, et s'y préparent. "L'évolution vient aussi de l'’émergence des réseaux sociaux depuis quelques années dans les mobilisations notamment dans les conflits sociaux, résume Stéphane Sirot, historien spécialiste des mouvements sociaux."

"On voit bien que depuis jeudi soir on a vu se multiplier des manifestations spontanées pour un certain nombre d’entre elles organisées via les réseaux sociaux", poursuit-il.

"Politique du chiffre", "nasses", les critiques se multiplient

Actuellement une quarantaine de forces CRS sont engagées sur la capitale. 2.000 policiers étaient déployés lundi soir dans les rues de Paris. La CRS 8, spécialisée dans le maintien de l'ordre et les violences urbaines, a été envoyée dès vendredi à Rennes, en réponse aux violences urbaines survenues jeudi soir en lien avec la mobilisation contre la réforme des retraites.

Ce déploiement ou redéploiement des unités spécialisées dans le maintien de l'ordre se fait selon les priorités (les rassemblements, la sécurisation des élus ou de leur permanence...) et souvent au détriment d'autres missions de sécurisation ou de lutte contre la délinquance.

Depuis jeudi, les critiques se multiplient sur la gestion des rassemblements spontanés et souvent non-anticipés. Vendredi soir, il y a ainsi eu 292 interpellations place de la Concorde, mais seules neuf se sont soldées par un déferrement devant un représentant du parquet, entraînant des suites judiciaires. Une "politique du chiffre" dénoncée depuis plusieurs jours.

Il s'agit d'une "utilisation dévoyée de la garde à vue qui illustre les dérives du maintien de l’ordre, qui détourne l’appareil judiciaire pour le mettre entièrement à son service", s'indigne le Syndicat de la magistrature.

Dans le quartier du Châtelet, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées samedi autour du vaste centre commercial parisien des Halles, scandant des slogans anti-Macron, anti-police et contre le 49.3. Le cortège a rapidement été nassé dans le calme dans deux rues adjacentes. Une pratique jugée illégale depuis 2021 par le conseil d'Etat mais toujours présent dans le schéma du maintien de l'ordre dans certaines situations "pour prévenir ou faire cesser des violences graves et imminentes contre les personnes et les biens".

"Le conseil d’Etat ne m'a pas interdit d'utiliser les nasses, il me demande de prendre des décisions proportionnées et qui ne soient pas liberticides, qui ne durent pas trop longtemps", rétorque le préfet de police de Paris Laurent Nunez.

"A Nantes, des manifestantes nassées ont porté plainte contre les policiers pour des faits de violences sexuelles", déplore pour sa part le Syndicat des avocats de France (SAF). "Dans plusieurs villes, les policiers ont chargé sans sommations, créant des mouvements de foule dangereux pour la sécurité des manifestant.es, et faisant un usage massif de leur matraque de manière aléatoire". Le syndicat dénonce une réaction "démesurée et violente" des policiers déployés sur les manifestations.

Article original publié sur BFMTV.com