Dans les manifestations contre la réforme des retraites, la présence des jeunes change la donne

Comme ici à Montpellier ce 28 mars, les jeunes sont de plus en plus nombreux dans les cortèges contre la réforme des retraites.
Comme ici à Montpellier ce 28 mars, les jeunes sont de plus en plus nombreux dans les cortèges contre la réforme des retraites.

RETRAITES - La journée du 23 mars a marqué un tournant. Peu visibles depuis le début des actions contre la réforme des retraites, les plus jeunes ont fait une entrée remarquée dans la mobilisation. Cinq jours plus tard, pour la dixième journée d’action intersyndicale prévue ce mardi 28 mars, les renseignements territoriaux envisagent une présence deux à trois fois plus importante.

Depuis Clermont-Ferrand où il défile, le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez y voit « la preuve que le mouvement ne s’essouffle pas ».

Professeur de sociologie à l’université Paris-Saclay, Camille Peugny est un spécialiste de l’engagement militant des plus jeunes. Il décrypte pour Le HuffPost cette nouvelle donne de la mobilisation.

Quand avez-vous constaté la présence importante de jeunes dans les cortèges ?

Il y a toujours eu des jeunes salariés dans les cortèges car par définition ceux qui sont en emploi à 20 ans sont souvent ceux qui ont des emplois peu qualifiés et qui sont exposés à des conditions de travail pénibles ; ils se sentent donc concernés par la réforme.

Mais l’usage du 49-3 a entraîné une augmentation de la mobilisation des étudiants et des lycéens. Ce qui a été perçu comme un coup de force a libéré l’énergie militante. On l’a vu avec les blocages d’universités qui ont augmenté et avec la présence importante dans les cortèges le 23 mars.

La réforme des retraites n’est plus la seule cible ?

Exactement, et cela rejoint l’hypothèse que je fais depuis quelque temps. On a des générations qui sont de plus en plus sensibles à la démocratie et veulent participer au débat public. Et là, cette soif de démocratie se voit opposer une fin de non-recevoir.

Quand le 49-3 a été inséré dans la Constitution, la moitié d’une classe d’âge n’allait pas au-delà l’enseignement primaire ; le rapport à la démocratie n’était pas le même. On acceptait plus facilement l’exercice vertical du pouvoir. Aujourd’hui alors que la majorité d’une classe d’âge est dans l’enseignement supérieur, la soif de participation au débat est importante donc les dispositions vues comme autoritaires ne sont plus adaptées.

Et ce n’est pas un phénomène français. Partout dans le monde, quand les jeunes se mobilisent, c’est bien souvent autour de mot d’ordre démocratique ; l’exemple parlant c’est celui du mouvement des Indignés sur les grandes places espagnoles en 2011.

N’est-ce pas paradoxal alors que le taux d’abstention des jeunes aux élections grandit ?

Non, car la participation électorale n’est qu’une des formes de la participation démocratique et citoyenne. On peut ne pas participer aux élections et se mobiliser dans la rue. C’est le sens de l’abstention dite politique, une abstention de jeunes qui s’intéressent à la politique mais qui sont insatisfaits de l’offre qui leur est proposée.

En quoi cela change-t-il la nature de la mobilisation actuelle ?

Les salariés peuvent difficilement se permettre de faire grève tous les trois-quatre jours donc l’enjeu est de voir si dans les jours et semaines qui viennent, ils sont remplacés par des jeunes étudiants et lycéens ; on entrerait alors dans un autre stade de la mobilisation. On a les graines d’un mouvement qui s’installe dans la durée si on ne répond pas à ses attentes.

Pourquoi la mobilisation des jeunes est vue comme un élément de bascule ?

La première raison, c’est que ça coupe court à la rhétorique du gouvernement selon qui la réforme des retraites est faite pour les générations futures et pour leur assurer une retraite.

Et si leur mobilisation marque toujours les esprits, c’est parce que les jeunes sont un symbole pour une société ; s’ils manifestent c’est parce qu’ils ne se retrouvent plus dans le modèle qu’on leur propose. Certains sont prêts à pardonner à un gouvernement qui ne cède pas à des revendications syndicales mais c’est plus délicat d’ignorer les aspirations de la jeunesse.

Enfin, on l’a vu par le passé et pas seulement en France, quand les jeunes se mettent à manifester, très souvent, ce sont pour des mouvements qui s’installent et qui sont symboliquement importants.

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