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"Management toxique", "hiérarchie tyrannique" : des policiers "à bout de force" témoignent

Un policier est de faction devant les locaux de l'Hôtel de police de Marseille, le 05 octobre 2010. (photo d'illustration) - ANNE-CHRISTINE POUJOULAT

Harcèlement moral, dénigrement, autoritarisme... Des policiers racontent à BFMTV.com les méthodes de management violentes de leurs supérieurs et l'omerta qui entoure ces dérives.

"Dans la police, quand on dénonce un problème, on devient le problème." Sous les ordres d’officiers "tyranniques", des agents de police "à bout de force" tentent de dénoncer le "harcèlement" et le "dénigrement quotidien" qu’ils subissent mais se heurtent bien souvent à la sempiternelle loi du silence. Un mal insidieux et persistant dénoncé dans l’ouvrage de Fabien Bilheran et Agnès Naudin Police, la loi de l’omerta, publié aux éditions du Cherche midi.

Ancien gardien de la paix, Fabien Bilheran explique avoir été victime de l’acharnement de ses supérieurs après avoir rejoint la Mobilisation des policiers en colère, une association qui dénonce les conditions de travail des fonctionnaires.

Les conditions délétères dans lesquelles Fabien Bilheran travaille, sur fond de harcèlement moral, génèrent chez lui un stress post-traumatique : "Après un malaise cardiaque, j’ai tenté de me suicider au mois de juin." Il espère que les témoignages relatés dans son livre, coécrit avec la capitaine de police Agnès Naudin, aideront à libérer la parole des agents qui subissent "la tyrannie de la hiérarchie".

Trois autres policiers, travaillant dans des départements différents, ont accepté de livrer à BFMTV.com ce qu’ils considèrent comme un "problème structurel et systémique".

"Le début de l'enfer"

Julien* travaille à la Brigade anti-criminalité (BAC) depuis 2004. Pendant 16 ans, il exerce son métier loin des dérives dont il entend parler ça et là. Mais en 2020, il est muté dans une nouvelle ville et découvre "un service totalement vicié : on nous rabaisse, il y a des traitements de faveur pour certains, de l’acharnement sur d’autres", décrit-il. Le policier reste témoin passif de ce fonctionnement pendant six mois puis décide d’en faire un rapport.

"Mon commissaire me convoque et me demande de modifier mon rapport, sinon il y aura des répercussions pour moi. Il m’explique que c’est un ancien de la PJ de Marseille et me dit : 'À mon époque, ça se serait réglé entre hommes sur un parking.' J’ai évidemment refusé de modifier mon rapport et ça a été le début de l’enfer."

Julien illustre : "Les chefs nous reprochaient de ne pas faire suffisamment d’amendes forfaitaires sur les acheteurs de stupéfiants. C’est vrai qu’on en faisait peu car on se concentrait sur les dealers, ce qui nous semblait bien plus utile. Un jour, on a eu un dégât des eaux dans les toilettes de nos vestiaires, c’était vraiment dégueulasse. On en a informé nos officiers qui nous ont répondu : ‘On s’occupera de votre merde quand vous vous occuperez des amendes.’ Et ils nous ont laissé dans cette crasse sans rien faire."

Après une visite dans ce commissariat, le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a relevé "une grandre souffrance" des agents rapportant "des faits ou propos susceptibles d'évoquer des dynamiques de harcèlement moral et/ou sexuel".

"Calomnie permanente"

Dans les rangs de la police, on parle de "sales coups", de "dénigrement quotidien" pour "pousser à bout". Dans le Rhône, Jean-Philippe* s’est trouvé confronté en 2019 à un commandant qui lui "tapait dessus systématiquement", dit-il.

"Si je rentrais de mission avec 5 minutes de retard, il m’accusait de vouloir me faire payer des heures supplémentaires. Il s’amusait à répéter à qui voulait l’entendre que j’étais un fainéant, un incapable. C’était de la calomnie permanente", témoigne ce CRS entré dans la police en 1995.

Selon ses dires, l’ensemble de son unité subit les frasques de "l’individu toxique" et finit par le dénoncer sur Signal-Discri, la plateforme interne du ministère de l’Intérieur pour signaler la discrimination et le harcèlement. Une enquête de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) est ouverte et sanctionne le mis en cause par une semaine de stage de management. "Les loups ne se mangent pas entre eux", lâche Jean-Philippe, désabusé.

"Je l’ai vécu comme une très profonde injustice. Cet homme m’a détruit à lui tout seul", livre-t-il, précisant avoir été en arrêt de travail pendant cinq mois. "Je craquais complètement."

Dans une ultime tentative, Jean-Philippe fait état de sa situation au syndicat Unité-SGP Police. "L’affaire est finalement remontée jusqu’au cabinet du ministre de l’Intérieur et mon supérieur a été muté. Ce qui ne résout malgré tout pas le problème puisqu’il a toujours des agents sous ses ordres et sur qui il peut reproduire ce qu’il m’a fait subir", déplore Jean-Philippe.

"Rien ne bouge"

"On essaie de faire remonter à la hiérarchie les problèmes de management, mais rien ne bouge. Il ne faut surtout pas montrer qu’un service est en souffrance", abonde Florian* qui voit son service "péricliter" depuis les années 2000. "Je ne peux même pas compter combien j’ai vu de suicides, ça s'égrène tout au long de la carrière", souffle-t-il. Selon l’association PEPS-SOS - Policiers en Détresse contactée par BFMTV.com, 44 policiers et policières ont mis fin à leur jour depuis le début de l’année 2022.

"Quand un collègue s’est mis une balle dans la tête, c’est moi qui ai dû aller faire les premières constatations dans sa voiture. J’ai même dû assister à son autopsie. Vous imaginez l’impact psychologique ? Personne ne s’en soucie", lâche Florian, amer.

Selon un rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'état des forces de sécurité intérieure de 2018, le taux de suicide dans la police est supérieur de 36% à celui de la population générale.

"Bien que les raisons du passage à l'acte se révèlent multifactorielles, il est incontestable qu'il existe une véritable souffrance des forces de l'ordre" liée au "stress professionnel et à d'autres circonstances plus structurelles", souligne le Sénat.

Contactée par BFMTV.com, la Direction générale de la police nationale (DGPN) a refusé de s'exprimer sur les problématiques liées au management. Le Figaro précise qu'elle a mis en place, en janvier dernier, un plan de bataille pour la prise en charge des policiers en souffrance. Ainsi, la DGPN a étendu à 2000 le nombre de "sentinelles", "des policiers volontaires qui veillent sur leurs pairs en mettant en place un système de repérage [du mal-être, ndlr] au sein même des services", rapportent nos confrères. Elle a également ouvert 20 postes supplémentaires au Service de soutien psychologique opérationnel de la police (SSPO).

"Apprendre à manager sans utiliser la violence"

La réflexion pour améliorer les conditions de travail est enclenchée au ministère de l'Intérieur. Est-elle satisfaisante ? Rien n'est moins sûr. Dans un récent communiqué, le syndicat Unité SGP-Police remarque :

"Malgré les mesures mises en place dans le cadre du Plan mobilisation suicide tendant à identifier et traiter les nombreux facteurs de risques psychosociaux, trop peu de résultats. Pire, lorsqu’un cadre malveillant est identifié et que sa malveillance est connue et reconnue de tous, il n’est jamais ou que trop rarement éloigné de son emploi hiérarchique."

En conséquence, le syndicat réclame "la révocation des cadres" dès lors qu'une "majorité des agents sous leur autorité" rapporte la preuve d'une dérive.

"Certes, les auteurs ne sont jamais poursuivis en interne, ou très marginalement. Proposer leur révocation est une option, mais en réalité le problème est plus profond", commente l'ancien gardien de la paix, Fabien Bilheran, qui plaide plutôt pour une refonte structurelle. "Le véritable enjeu, c'est de leur apprendre à manager sans utiliser la violence."

Article original publié sur BFMTV.com

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