Makoto Shinkai revient avec "Suzume": "Je me suis imposé de faire un film joyeux et porteur d'espoir"

En 2016, Makoto Shinkai prenait le monde par surprise avec Your Name., bouleversant drame romantique sur deux lycéens que tout oppose. Il récidive ce mercredi avec Suzume, son film le plus personnel. Une histoire où il tourne le dos à sa mélancolie habituelle pour proposer un film spectaculaire et optimiste, qui évoque frontalement le traumatisme du séisme de 2011 au Japon pour mieux le dépasser.

Dans une ville paisible de l'île de Kyushu, une adolescente de 17 ans, Suzume, rencontre Sota, un homme à la recherche d'une porte ancestrale. Décidant de le suivre dans les montagnes, elle découvre une porte délabrée au milieu de ruines. En tournant la poignée, d'autres portes s'ouvrent au Japon, laissant entrer toutes les catastrophes qu'elles renferment. Bientôt transformé en chaise par un facétieux chat, l'homme entame en compagnie de Suzume un périple pour toutes les refermer.

Avec Suzume, Makoto Shinkai souhaite offrir au jeune public un message d'espoir. Après Your Name. et Les Enfants du temps, deux contes initiatiques sur fond de prise de conscience écologique, le réalisateur tout juste cinquantenaire semble prêt à bouleverser ses habitudes. Et semble avoir enfin parfaitement digéré ses obsessions et ses influences pour livrer sa mise en scène la plus maîtrisée à ce jour.

Rencontré par BFMTV fin février, Makoto Shinkai raconte la genèse de son nouveau film, la manière dont le séisme de 2011 l'a inspiré et comment ce grand romantique, pour la première fois de sa carrière, s'est refusé à raconter une histoire d'amour.

Comment vous est venue l'idée de Suzume?

Je voulais faire une histoire d'aventures qui permette de visiter le Japon d'aujourd'hui. J'ai d'abord pensé à un film comme Le Château dans le ciel. Puis, petit à petit, j'ai eu l'idée des ruines, d'endroits désertés à cause de la diminution de la population au Japon ou des catastrophes naturelles. En choisissant ces lieux très spécifiques, j'ai pu construire l'histoire que l'on voit dans le film.

En réfléchissant concrètement à l'itinéraire de mes personnages, je me suis demandé quel serait leur point d'arrivée. J'ai choisi le lieu sinistré par le tremblement de terre il y a 12 ans, car si on veut montrer le Japon d'aujourd'hui, il est indispensable de montrer cette région. Il a vraiment modifié le Japon d'aujourd'hui. Ne pas parler de ce séisme, ce ne serait pas très sincère vis-à-vis des spectateurs.

Vous aviez déjà abordé le séisme de 2011 dans Your Name., mais dans Suzume, vous en parlez pour la première fois de manière frontale...

Je ne me suis jamais demandé pourquoi j'ai voulu montrer frontalement cette fois-ci le tremblement de terre. C'est venu naturellement. En 2016, l'année où j’ai réalisé Your Name., je n'étais pas encore prêt à traiter frontalement ce sujet - et d'ailleurs la société japonaise non plus, parce qu'il fallait un certain temps pour digérer le choc de cette catastrophe. Your Name. était en plus un film de divertissement.

Nous sommes 12 ans après. C'est encore dur pour certains, mais pour d'autres, c'est presque un peu trop tard. Ma fille a 12 ans. Elle ne connaît pas ce tremblement de terre. Et beaucoup d'adolescents qui sont mes spectateurs ont appris l'existence de ce tremblement de terre grâce aux manuels scolaires. Avec Suzume, j'ai voulu transmettre le choc que j'avais reçu à cette époque. Je souhaite que ce film puisse lier la génération qui l'a vécu, et en conserve la mémoire, à celle qui ne l'a pas vécu.

Est-ce pour cette raison que Suzume est un film si optimiste, loin de la mélancolie de vos précédentes œuvres?

Ce film parle d'une tragédie et je me suis imposé de faire un film joyeux et porteur d'espoir. Pour moi, donner l'espoir est très important. Pour les vrais sinistrés, la réalité est très dure. Beaucoup ont du mal à être optimistes. Tout le monde n'est pas comme mon héroïne, Suzume, qui va sans cesse de l'avant. Donc, oui, le plus important pour moi était de faire un vrai film de divertissement même s'il parle d'une catastrophe naturelle. Je pense que l'animation est avant tout destinée à la jeune génération, et je veux vraiment leur montrer l'espoir, et leur dire qu'il y a plein d'espoir dans la vie.

Depuis la pandémie, de nombreux magasins ont disparu au Japon, laissant place à des lieux fantômes. Est-ce que cela vous a inspiré?

La pandémie m'a inspiré, effectivement. On a produit ce film pendant cette période. Le fait d'être enfermé chez soi, dans un lieu très petit, et pour des raisons très absurdes, m'a beaucoup inspiré. La transformation de Sota en chaise reflète bien mon sentiment pendant le confinement. Sota est un garçon en bonne santé, grand, très énergique et il est prisonnier dans cette petite chaise. Je me sentais prisonnier de cette manière au Japon pendant la pandémie. Et donc, dans le film, on voit des personnes qui voyagent sans masque. Ils s’embrassent quand ils se quittent, quand ils se rencontrent. Je voulais vraiment mettre en avant cet échange physique et mental.

Il existe au Japon des rituels de purification pour la construction des maisons, mais pas pour faire ses adieux à un lieu qui disparaît. Suzume a-t-il cette fonction?

Je pense que le Japon d'aujourd'hui ne sait pas terminer ce qu'il commence et c'est un vrai problème. Pour moi, terminer ce que l'on commence est fondamental. Je me souviens que lorsque j'étais adolescent, dans ma ville natale, beaucoup de familles faisaient construire des maisons. Comme mon père travaillait dans le bâtiment, j'allais souvent regarder ces maisons en construction.

Aujourd'hui, j'ai 50 ans et quand je retourne dans ma ville natale, beaucoup de ces maisons sont désormais presque abandonnées, parce que les gens sont partis. Ce sont des ruines, parce que personne ne fait rien avec ces maisons. Mais il faut faire quelque chose! Fermer la porte, comme Suzume dans le film, comme pour pleurer la mort d’un lieu, c'est important.

Suzume est truffé de références à Ghibli. Vous citez notamment Kiki la petite sorcière et Si tu tends l'oreille et certaines scènes font penser à Nausicaä de la Vallée du Vent et Princesse Mononoké...

Il y a vraiment deux clins d'œil à des films de Miyazaki: Kiki la petite sorcière et Si tu tends l'oreille. Si vous avez repéré des références à Mononoké ou à Nausicaä, ce n’était pas voulu. J’ai été très influencé par son cinéma, peut-être que j'ai fait une mise en scène très similaire... J'ai cité les films de Ghibli, car ils font partie de notre vie quotidienne, et je voulais que Suzume retranscrive le plus précisément notre réalité.

Comme dans Les Enfants du temps, il y a dans Suzume une scène dans un restaurant McDonald's. Pour quelle raison?

C'est la même raison que la présence des films du studio Ghibli: ça fait partie de notre vie quotidienne. Ils n'ont pas donné d'argent. Ils sont partenaires, mais ce n'est pas pour le placement de produit. Il y a une formule Happy Meal Suzume. Le cadeau qui accompagne la formule est un livre sur Suzume.

L'animation de Suzume a été dirigée par Kenichi Tsuchiya, avec qui vous travaillez depuis dix ans. Qu'apporte-t-il à votre univers?

C'est quelqu'un pour qui j'ai un immense respect. J'ai déjà travaillé avec lui sur Voyage vers Agartha et Your Name. Le directeur de l’animation est la personne à qui je confie le jeu des personnages, c'est-à-dire leurs mouvements. Kenichi Tsuchiya peut réaliser des mouvements très réalistes. Il est capable de représenter parfaitement un personnage qui se retourne, comme si c’était une véritable personne. Même si Suzume est en partie un film fantastique, je voulais que les personnages - et surtout Suzume - soit très réaliste. Même si parfois il y a des séquences d'action, je voulais qu'elle soit vu comme une fille tout à fait normale.

Pour la première fois de votre carrière, vous ne racontez pas une histoire d'amour dans Suzume. Voyez-vous ce film comme un nouveau départ?

Je ne sais pas dans quelle direction ma filmographie va avancer. En tout cas, je me sens vraiment en voie de changement, en transition. Je me souviens très bien de ce que j'ai dit au début du projet à mon producteur, Genki Kawamura. Je lui ai dit que je ne voulais plus raconter des histoires d'amour, parce que j'en avais un peu marre, je m'en étais lassé. Je lui avais donc proposé une histoire sur deux filles.

Il m'avait répondu pourquoi pas, puis avait ajouté que ma vraie force résidait dans mes histoires d'amour, que c'était ce que le public voulait voir, que c'était trop tôt d’abandonner complètement ce type d'histoires. Mais comme je ne voulais vraiment pas faire une histoire d'amour, au lieu de raconter une histoire entre un garçon et une fille, j'ai raconté une histoire entre une fille et une chaise!

Article original publié sur BFMTV.com