Macron face au risque d'un printemps social pourri

Les 36 jours de grève annoncés par les syndicats de la SNCF annoncent un premier printemps difficile pour Emmanuel Macron qui invitait les Français à "penser printemps" pendant la campagne pour imaginer un pays sorti des affres de l'hiver économique. /Photo prise le 22 février 2018/REUTERS/Etienne Laurent

par Jean-Baptiste Vey et Caroline Pailliez

PARIS (Reuters) - Emmanuel Macron invitait les Français à "penser printemps" pendant la campagne pour imaginer un pays sorti des affres de l'hiver économique. Mais les 36 jours de grève annoncés par les syndicats de la SNCF annoncent un premier printemps difficile.

Face à une technique gouvernementale rodée, alliant fermeté sur les objectifs, à travers les ordonnances, et souplesse relative sur les moyens, à travers une concertation, les syndicats de cheminots ont choisi une tactique originale.

Ils ont décidé d'égrener les grèves pour préserver leurs troupes et ménager les Français, tout en assurant une pression continue sur l'exécutif jusqu'à fin juin.

Après l'échec du mouvement contre les ordonnances travail, les opposants tentent d'empêcher ce qu'ils voient comme une attaque mortelle contre leurs acquis, ceux des cheminots avec l'extinction du statut voulue par l'exécutif et ceux des fonctionnaires qui défileront jeudi dans toute la France.

Cette grogne se greffe sur d'autres, celle des retraités fâchés par la hausse de la CSG qui ont défilé jeudi par exemple, et rallie d'autres secteurs, avec notamment des blocages prévus jeudi par des salariés de l'énergie, faisant planer le spectre d'une agrégation des mécontentements.

Emmanuel Macron "est légitime", a souligné vendredi le numéro un de la CFDT, Laurent Berger, sur franceinfo. "Mais la légitimité d'un homme politique comme de tout responsable (...) s'inscrit aussi dans la pratique du pouvoir. Et je crois qu'une pratique du pouvoir trop verticale en faisant fi des corps intermédiaires trop souvent, ce n'est pas durable."

LA "BRUTALITÉ DE L'HISTOIRE"

Le chef de l'Etat dispose de députés fidèles, d'un socle électoral qui voulait des réformes, d'un climat économique porteur de bonnes nouvelles, d'un calendrier électoral vierge de scrutin majeur jusqu'aux européennes de mai 2019. Et d'une opposition qui peine à surmonter les défaites de 2017.

Emmanuel Macron se dit prêt à affronter la tempête.

"Je ne suis pas l'enfant naturel de temps calmes de la vie politique, je suis le fruit d'une forme de brutalité de l'Histoire, d'une effraction parce que la France était malheureuse et inquiète", disait-il mi-février.

"Il n'a jamais pensé que ce quinquennat serait un quinquennat facile", explique son entourage, en refusant de commenter la forme de conflit choisie par les cheminots.

"Ce qui nous importe, c'est d'avoir le fil tendu du dialogue maintenu à tout instant", ajoute-t-on.

La ministre des Transports, Elisabeth Borne, a jugé vendredi sur CNEWS que la "posture" des syndicats n'était "pas responsable" et s'est déclarée prête à négocier "sept jours sur sept" avec eux.

Pour l'ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy, Raymond Soubie, on est encore loin d'un vrai test social pour Emmanuel Macron. "Qu'il y ait des incidents, il y a des risques. Qu'il y ait une coagulation des mécontements pour arriver à un déferlement de grande ampleur, aujourd'hui ce n'est pas le plus probable", a-t-il dit à Reuters.

LA REFORME DES RETRAITES REPORTÉE

Selon lui, les mouvements de grande ampleur comme en 1995 s'appuient sur le soutien de l'opinion publique, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Selon un sondage Odoxa pour BFM Business, Challenges et Aviva Assurances publié jeudi, 63% des Français jugent la menace de grève reconductible des syndicats de la SNCF "injustifiée".

Le chef de l'Etat a surtout écarté le "sujet le plus critique", le "sujet fédérateur entre tous des mécontentements", ajoute Raymond Soubie, à savoir la réforme générale des retraites. Emmanuel Macron a annoncé en janvier que cette réforme, attendue mi-2018, ne serait dévoilée qu'en 2019.

Attaqué sur le front intérieur, le chef de l'Etat ne peut faire valoir d'importantes avancées sur les fronts européen et internationaux, où il avait d'éclatantes ambitions.

En Europe, le souffle de renouveau qu'il portait s'est heurté au mur des réalités.

Après cinq mois d'attente d'un gouvernement allemand, l'autre partenaire historique – l'Italie – est à son tour dans les limbes, probablement pour plusieurs semaines après des élections perdues par les partenaires naturels de la France.

Ce calendrier contrarié et des réticences en Allemagne et d'autres Etats membres ont reporté à l'après-élections européennes les éléments les plus forts de son offensive pour l'accélération de l'intégration européenne et de la zone euro.

A l'international, son activisme et sa doctrine diplomatique nourrie de "realpolitik" échouent également pour l'heure à porter des fruits, en particulier en Syrie, observent diplomates et analystes.

(Avec Emmanuel Jarry, édité par Yves Clarisse)