Macron/Delahousse debout : c’est peut-être un détail pour vous, mais ça veut dire beaucoup

L’entretien d’Emmanuel Macron par Laurent Delahousse n’en finit pas de faire réagir. Sur la forme, l’interview proposée par France 2 était nouvelle et moderne mais le fond n’a pas convaincu tout le monde. Et s’il fallait prendre l’interview pour ce qu’elle était : un entretien personnel et intimiste.

Crédit : France 2
Crédit : France 2

On peut reprocher beaucoup de choses à l’interview présidentielle proposée par France 2 hier soir. Reste que sur la forme elle était totalement inédite et terriblement moderne. Les déambulations de Laurent Delahousse et Emmanuel Macron dans les bureaux, couloirs et escaliers de l’Elysée tranchaient radicalement avec les interviews présidentielles classiques auxquels nous ont habitués tous les présidents de la Ve République.

Jusqu’à présent, seul Yves Mourousi avait osé interroger François Mitterrand la fesse posée sur un coin de bureau dans les années 80. Laurent Delahousse a opté hier soir pour une interview debout. C’est peut-être un détail pour vous, mais en fait ça veut dire beaucoup.

Oui car sur la forme, c’était très réussi. En étant debout et en mouvement, les deux protagonistes apparaissent plus naturels et forcément très à l’aise. Résultat : on est davantage dans le ton de la discussion que dans une interview tendue. D’ailleurs, peu l’ont remarqué mais ce rendez-vous n’était pas vendu comme une “interview” mais comme un “entretien”. On était clairement plus proche d’ “Un jour, un destin” que de “L’Emission politique”. Le traitement de l’image archi léchée tendance filtre Instagram y était pour beaucoup jusque dans le générique de fin très cinématographique.

Cette mise en scène a clairement apporté un vent de modernité totalement voulu et assumé par la communication de l’Elysée. Le changement de génération était palpable tant du côté du Président que de son intervieweur. Laurent Delahousse et Emmanuel Macron ont ainsi remisé les interviews présidentielles d’Arlette Chabot et d’Alain Duhamel (pourtant pas si lointaines…) dans le fin fond des archives de l’INA.

Mais ce matin, les commentaires des politiques et de certains journalistes montrent que l’exercice est loin d’avoir convaincu. Beaucoup de commentateurs reprochent par exemple à la forme de prendre le pas sur le fond. Et le ton des questions trop gentilles de Laurent Delahousse semble particulièrement avoir dérangé. Mais en même temps (comme dirait Macron…), quand on va chez Delahousse on sait où on va ! Le journaliste n’est pas particulièrement connu pour sa pugnacité envers les politiques ou les artistes. Ce n’est simplement pas son style.

Cette interview présidentielle et les commentaires qu’elle suscite me rappelle les polémiques sur “Une Ambition intime” pendant la campagne présidentielle. Ce sont d’ailleurs les mêmes journalistes qui s’insurgeaient contre le style de Karine Le Marchand qui pestent aujourd’hui contre les questions de Delahousse. Comme si l’interview d’un politique et même du chef de l’Etat devait forcément être figé dans un ancien temps. Comme si l’exercice devait être réservé à une élite journalistique spécialisée.

Hier soir, Laurent Delahousse a questionné Emmanuel Macron comme il interrogeait Louane ou Vianney sur son plateau les semaines précédentes. Il a simplement proposé une autre forme d’interview présidentielle : un entretien personnel et intimiste auquel Emmanuel Macron s’est plié bien volontiers (alors, notons-le, qu’il avait refusé “Une Ambition intime”).

Crédit : France 2

De toute manière, l’interview préalablement enregistrée – mardi soir à l’Elysée – enlevait toute tension inhérente au direct et empêchait toute réaction à chaud à l’actualité. En revanche Laurent Delahousse nous a fait découvrir un aspect humain pas inintéressant du Chef de l’Etat dans l’exercice du pouvoir. J’y ai aussi trouvé un intérêt touristique pas négligeable qui m’évitera de faire la queue devant l’Elysée aux prochaines journées du patrimoine.

Second degré mis à part, on peut y voir une opération de communication réussie de l’Elysée. Mais précisons qu’il y avait aussi matière à rater cette opération de communication. Et je rappellerais à ceux qui s’insurgent que le service public aille sur ce terrain-là, qu’on voit sur la même chaine d’autres émissions sans complaisance comme “Cash Investigation” par exemple. Il faut de tout pour faire une bonne chaine de télé.

Certes sur le plan politique, il n’est pas ressorti grand-chose. Mais ce n’est de toute façon pas ce que j’attendais d’une interview à la Delahousse. A lire les commentaires, on a l’impression que certains auraient préféré voir le président K.O debout face à un journaliste assis. Mais une interview n’est pas forcément un combat de boxe. Par chance, Emmanuel Macron aura d’autres occasions de s’exprimer devant les médias dans d’autres genres d’entretiens.

Avec 5,7 millions de téléspectateurs, on a également lu que cette interview du président sur France 2 avait été boudée car largement battue par le 20h de TF1 (7,6 millions). Rappelons tout de même que le 20h de France 2 était un petit peu plus haut que d’ordinaire et surtout que la Une bénéficiait hier soir de l’engouement pour la finale du Mondial féminin de hand-ball qui précédait le JT.

Pour moi, l’exercice proposé par Laurent Delahousse est une réussite combinée à un succès d’audience.

Thomas Joubert