Macron en Allemagne, une visite d’État pour huiler un moteur franco-allemand grippé - INTERVIEW
DIPLOMATIE - À deux semaines des élections européennes, Emmanuel et Brigitte Macron ont entamé ce dimanche 26 mai une visite d’État de trois jours en Allemagne. L’occasion de marquer « la permanence et la profondeur du lien franco-allemand » au-delà des différends récurrents sur l’Europe, comme le résumait l’Élysée avant que le président de la République ne s’envole vers Berlin.
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Mais il ne s’agit pas ici de n’importe quel déplacement pour Emmanuel Macron, puisque c’est la première visite d’État d’un président français chez le voisin d’outre-Rhin depuis celle de Jacques Chirac en 2000, et de la sixième seulement depuis celle du général de Gaulle en 1962.
« On peut gloser sur les vicissitudes du couple franco-allemand, mais il y a aussi une permanence », à savoir des « relations entre les deux peuples, interpersonnelles, individuelles » et « c’est ce que cette visite d’État vient montrer », assure-t-on du côté l’Élysée. Pour Hélène Miard-Delacroix, professeure à Sorbonne Université et historienne spécialiste de l’Allemagne, cette rencontre diplomatique marque un « rituel important », notamment avant les élections européennes du 9 juin prochain. Elle a répondu aux questions du HuffPost à quelques heures de la visite d’Emmanuel Macron.
Le HuffPost : D’après l’entourage du chef de l’État, cette visite veut prouver que les relations entre nos deux pays sont solides malgré les points de friction. Est-ce une façon pour Olaf Scholz et Emmanuel Macron de montrer qu’ils sont rabibochés ?
Je ne sais pas si on peut parler de « rabibochage », parce que les points de friction n’ébranlent pas les fondamentaux. C’est plutôt une question de forme, de formulations, de signaux envoyés. Parce que sur le fond, ils sont d’accord. D’accord pour venir en aide à l’Ukraine, l’aider militairement pour la faire entrer à terme dans l’Union européenne.
En revanche, c’est sur les termes de la communication qu’ils ont du mal à s’entendre. Prenons l’exemple des mots « souveraineté européenne » : Scholz et Macron n’en ont pas la même perception. Il y a visiblement un malentendu sur la terminologie. Pour l’Allemagne, cela veut dire se fâcher avec les États-Unis, s’éloigner d’eux et de l’Otan. Du côté français, on pense plus à une capacité d’autonomie en devenir, à un accroissement des moyens de se défendre, en plus du grand pilier qu’est l’Otan. Il y a beaucoup de malentendus liés aux termes employés et à leurs significations données, c’est vraiment un problème de communication.
Mais ils ont pourtant bien des désaccords concrets, pas seulement sur des malentendus…
Oui, il y a un certain nombre de désaccords qui ne sont pas nouveaux, notamment dans le domaine de l’énergie. Ces dernières années, il y a eu des débats sur la manière de qualifier les énergies propres et il y a un désaccord profond entre la France et l’Allemagne sur la manière de qualifier l’énergie nucléaire. Par exemple, en Allemagne, il est totalement inadmissible de présenter le nucléaire comme propre et non-toxique pour l’environnement, car il n’y a pas du tout la même lecture du danger potentiel de cette énergie.
Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’on est en désaccord sur la ligne principale qui est la décarbonation, se détacher de la dépendance au gaz. Tout n’est pas tout noir ou blanc. On est d’accord sur les grandes lignes, sur la destination, mais c’est le chemin pour y parvenir qui diverge.
L’un des grands points de désaccord entre la France et l’Allemagne a été sur le volet ukrainien et l’éventuel envoi de troupes sur le terrain. Là aussi, c’était un problème de communication ?
Oui, dans le sens où ils n’arrivent pas à s’entendre, au sens premier du terme. Quand Macron joue sur l’incertitude en disant qu’on ne peut pas exclure d’envoyer des troupes en Ukraine, ce n’est absolument pas compris en Allemagne. C’est peut-être aussi une question de caractère. Cela peut être lié au fait qu’on ne peut pas faire plus différent entre Emmanuel Macron, qui est très disruptif, et le chancelier allemand, qui n’est « que » chef de gouvernement, et qui marche constamment sur des œufs avec une coalition très compliquée. Il est loin d’être disruptif.
Ce qui est inquiétant, c’est que les Français et les Allemands, qui sont habitués à ne pas être d’accord, ont normalement un savoir-faire pour trouver un chemin, des compromis, pour formuler ensemble une ligne, de s’y tenir et de parler d’une même voix vers l’extérieur. C’est ça, le moteur franco-allemand, normalement. Mais là ils ont dû mal à le trouver.
Parce que c’était plus simple du temps d’Angela Merkel ?
Disons qu’Emmanuel Macron et Angela Merkel avaient eu le temps de se décoder. Le président français avait eu le temps d’observer la chancelière quand il était ministre. Ce n’est pas la même dynamique, mais en même temps Olaf Scholz est de la même lignée, pas très expansif, avare de mots. L’enthousiasme communicatif n’est pas non plus son fort, à l’instar de l’ancienne chancelière.
En tout cas ici, je ne pense pas qu’avec cette visite on puisse parler d’un rabibochage car cela voudrait dire qu’ils se sont brouillés et ce n’est pas le cas, c’est juste un agacement réciproque. C’est déjà arrivé du temps de Chirac. Quand il y a des tensions, on recourt à ce type de rituel. Et ce n’est pas rien, c’est important car cela donne du sens aux choses.
Lequel, dans le cas présent ?
Il s’agit de montrer qu’on s’élève au-dessus des problèmes du quotidien, de la politique. On envoie des signaux de confiance pour montrer qu’on est proches, qu’on a un avenir commun. C’est d’autant plus important quand on se sait observés de l’extérieur, a fortiori par Poutine ou les Chinois.
Quel est leur intérêt d’organiser une telle visite juste avant les élections européennes ?
Olaf Scholz et Emmanuel Macron partagent ici deux choses : la crainte de voir les extrêmes monter fortement et le souci de maintenir une présence importante du centre – au sens large (centre droit, centre gauche, libéraux...) – dans le champ démocratique.
Aussi, il est évident que pour lutter contre les discours destructeurs et mensongers sur le mode de fonctionnement de l’Union européenne, il est important de rappeler que l’Europe, ce sont nos gouvernements, ce n’est pas quelque chose de lointain. C’est une façon de l’incarner et c’est leur intérêt commun. Voilà le message qu’ils veulent envoyer avec cette visite.
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