Même russe, la Crimée attend toujours la prospérité

Plus de deux ans après son annexion par la Russie, la Crimée coupée de l'Ukraine attend toujours les jours meilleurs promis par la Russie, alors que les prix ont flambé, les revenus stagné et que les touristes se sont évaporés. /Photo d'archives/REUTERS

par Maria Tsvetkova ARMIANSK, Crimée (Reuters) - Plus de deux ans après son annexion par la Russie, la Crimée coupée de l'Ukraine attend toujours les jours meilleurs promis par la Russie, alors que les prix ont flambé, les revenus stagné et que les touristes se sont évaporés. En outre, la péninsule ensoleillée sur la mer Noire connaît un regain d'agitation. Le président russe Vladimir Poutine accuse l'Ukraine d'avoir envoyé des agents infiltrés pour casser son industrie. Mais, soulignent les habitants, le mal était déjà fait. En cause, l'indifférence de Moscou. "Nous avons rejoint la Russie et ils n'en n'ont plus rien eu à faire de nous", déclare Ievgueni, qui travaille à l'usine de production de dioxyde de titane d'Armiansk. "Les gens sont naïfs. Ils pensaient que si nous faisions partie de la Russie, tout serait russe. Les prix ont bondi au niveau russe, mais les salaires sont restés les mêmes. C'est le principal problème." Disant craindre des représailles de son patron, Ievgueni a refusé de donner son nom de famille, à l'instar d'autres ouvriers qui ont parlé à Reuters. Armiansk, petite ville endormie près de la frontière nouvellement établie avec l'Ukraine, est située non loin de l'endroit où la Russie a dit avoir eu des heurts avec des agents infiltrés ukrainiens la semaine dernière. Kiev affirme que les affrontements n'ont jamais eu lieu et accuse Moscou d'avoir fabriqué l'affaire de toutes pièces pour s'en servir de prétexte à une nouvelle action militaire contre l'Ukraine. L'affaire a détourné l'attention des vrais problèmes de la péninsule et de ses deux millions d'habitants, disent les habitants interrogés par Reuters. A Armiansk, un quart des 20.000 habitants travaillent à l'usine chimique Krymskyï Tytan, qui produit du dioxyde de titane. Quand la Crimée était contrôlée par l'Ukraine, les biens et services étaient abordables et les ouvriers de l'usine pouvaient de temps en temps se faire plaisir, disent-ils. AUCUN PROJET Mais, après le blocage des approvisionnements par Kiev l'an dernier, les prix ont flambé. "Je peux simplement acheter de la nourriture et c'est difficile pour acheter des vêtements", raconte Pavel, technicien, qui dit être payé 17.000 roubles par mois (220 euros), soit la moitié du salaire moyen mensuel en Russie. "Cela aurait suffi pour l'Ukraine parce que les prix étaient plus bas", ajoute-t-il. "Mais mon salaire est gelé et tous les prix sont en hausse." Trois autres ouvriers ayant parlé à Reuters évoquent des salaires mensuels allant de 10.000 roubles pour un assistant de laboratoire à 21.000 pour la direction d'un service d'ingénierie. L'usine de titane est contrôlée par Dmitro Firtach, un homme d'affaires ukrainien. Ni lui ni l'usine n'ont pu être joints. Moscou semble être au courant des difficultés d'Armiansk et de la Crimée. Le gouvernement russe a annoncé son intention d'investir 680 milliards de roubles (près de neuf milliards d'euros) en Crimée entre maintenant et 2020. Moscou a aussi décidé de construire un pont pour relier la Crimée au sud de la Russie, dans l'espoir d'établir une nouvelle voie d'approvisionnement et de réduire les prix à la consommation. Mais les premiers camions ne devraient pouvoir l'emprunter qu'en 2018 au plus tôt. Le gouvernement russe a aussi inscrit Armiansk sur une liste de plus de 300 localités russes considérées comme ayant besoin d'investissements publics pour se diversifier. Contacté par Reuters, le ministre criméen de l'Economie a déclaré qu'aucun projet pour la ville n'avait encore été développé. Après l'annexion par la Russie, les retraités, les fonctionnaires et les salariés de l'industrie touristique, étaient censés profiter d'un coup de pouce financier. A la place, le rouble a perdu environ la moitié de sa valeur face au dollar depuis 2014 en raison des sanctions imposées par les pays occidentaux à la Russie et de la baisse des cours du pétrole. "TENEZ-BON !" En mai, lors d'une visite en Crimée, le Premier ministre russe Dmitri Medvedev a été filmé en train d'être apostrophé par une femme qui se plaignait du niveau de vie des 500.000 retraités de la péninsule. "Il est impossible de s'en sortir avec une pension en Crimée", déclare-t-elle. "Les prix sont fous (...). Que sont 8.000 (roubles) ? C'est une somme dérisoire." La réponse de Dmitri Medvedev a fait le tour d'internet. "Nous n'avons tout simplement pas d'argent. (...) Tenez-bon", a dit le chef du gouvernement russe. Avec ses stations thermales et ses stations balnéaires sur la côte de la mer Noire, la Crimée est une destination touristique très prisée depuis la période tsariste. Tchekhov y a écrit sa dernière pièce, la Cerisaie. Vladimir Poutine a dit l'an dernier que le tourisme devait être rentable et que des mesures seraient envisagées pour attirer les visiteurs étrangers. Mais l'annexion a coupé la péninsule de ses touristes ukrainiens qui y venaient pour la plupart en train et leur défection n'a pas été compensée par les vacanciers ruses, qui doivent prendre l'avion pour s'y rendre. Selon les chiffres officiels, la Crimée accueillait six millions de touristes par an quand elle faisait partie de l'Ukraine. Après l'annexion, leur nombre a chuté. "Quand nous étions dans l'Ukraine, il y a avait plus de gens. Vous pouviez à peine vous frayer un passage dans la foule", raconte un serveur au regard las sur la terrasse chic d'un restaurant presque vide près de la mer à Eupatoria. Quant aux clients qui viennent, raconte Natalia, serveuse dans un autre restaurant de cette station populaire, ils dépensent beaucoup moins d'argent que du temps de l'Ukraine. "Les gens sont désormais réticents à dépenser leur argent, ils passent des commandes minimes et les pourboires sont en baisse", dit-elle. "C'est la crise du rouble. Les prix sont élevés. Les gens viennent de Russie et ils sont stupéfaits par les prix élevés de Crimée. Nous aussi, nous sommes stupéfaits." (Danielle Rouquié pour le service français)