Même si l’inflation baisse, votre beurre ne retrouvera pas son prix doux d’avant

L’inflation s’est installée dans le quotidien et le portefeuille des Français. Et ils ne sont pas près de revoir des étiquettes afficher des prix comparables à ceux que l’on connaissait il y a encore un an.

CONSOMMATION - Quand même le beurre doux est salé. En mars 2023, l’inflation a été enregistrée – pour le onzième mois consécutif – autour de 6 %, avec des prix alimentaires en hausse de 15,8 % sur un an. Ce même mois, une internaute relayait sur Twitter une photo d’une motte de beurre de 500 grammes au prix… de 7,18 euros.

« À ce prix-là le beurre il… », s’exclame l’internaute en légende. Sous-entendu : il y a forcément quelque chose de magique dans une plaquette d’un demi-kilo à plus de 7 euros. La phrase est devenue un véritable gimmick et illustre parfaitement pourquoi, au supermarché, certains Français ont l’impression d’être dans une réalité alternative.

« Les consommateurs n’ont plus aucun repère cognitif sur les prix. On a tous l’impression de savoir à peu près combien doit coûter un produit, mais en ce moment, c’est la valse des étiquettes », explique au HuffPost Florence Jany-Catrice, professeure d’économie à l’université de Lille, autrice de L’indice des prix à la consommation (La Découverte).

Aller plus haut, aller plus haut

Cette valse des étiquettes n’est pas près de nous rejouer la chorégraphie d’il y a un an, alertait ce jeudi 11 mai Michel-Édouard Leclerc, patron des centres E.Leclerc. Invité de BFMTV, il appelait à ne pas « vendre du rêve » aux consommateurs. « On ne reviendra jamais aux prix d’avant », assénait-il. Son confrère de Système U, Dominique Schelcher, ne disait pas autre chose ce vendredi sur la même chaîne.

Et malheureusement pour les plus précaires, si les deux patrons sont acteurs du dossier inflationnistes, estime Florence Jany-Catrice, ils sont aussi des vigies, et leur diagnostic est juste. Pour l’économiste, il est presque déjà trop tard pour que les prix alimentaires puissent refluer rapidement.

« On est presque déjà dans le 2e tour de cette inflation. Tant qu’une augmentation des prix n’est pas suivie par une augmentation générale des coûts [de production], on peut imaginer que les prix puissent redescendre aux niveaux antérieurs. Là, le problème, c’est que les salaires, dans les secteurs où c’est possible, ont déjà été renégociés à la hausse, ou ajustés avec des primes. Même si cela ne répond pas entièrement à la perte de pouvoir d’achat », explique Florence Jany-Catrice.

Contacté par Le HuffPost, Tobias Broer, économiste à la Paris School of Economics, abonde : « Une fois que les salaires ont augmenté, les coûts salariaux pèsent d’autant plus pour l’économie des entreprises (...) ça empêche un retour du prix à ses niveaux antérieurs ». D’après le site gouvernemental Viepublique.fr, les négociations salariales de branche en 2022 ont abouti à une augmentation des salaires de 5 % en moyenne. Pas forcément suffisant pour pallier l’inflation des prix de l’alimentaire.

L’inflation c’est les autres

Si les prix seront toujours mieux avant, peut-on compter au moins sur un ralentissement de l’inflation ? Sur l’alimentaire, Bruno Le Maire (Économie) et Olivia Grégoire (Commerce) assurent que oui, et pointent tour à tour l’été ou la rentrée pour des ralentissements visibles.

Les deux membres de l’exécutif veulent que ça aille vite alors que, pour le moment, la baisse des matières premières ne semble pas se refléter sous les néons des supermarchés. « Entre le moment où les prix de la matière première baissent et le moment où cela se voit sur l’étiquette, il y a des délais de négociations », rappelle Tobias Broer.

L’économiste se montre toutefois optimiste pour la suite : « On ne peut pas rester avec des prix à +10 ou +15 %. Je crois qu’on va quand même voir un très fort ralentissement des prix dans la seconde moitié de l’année 2023, notamment pour les produits qui ont le plus augmenté et qui sont plus liés aux marchés internationaux : les huiles, les céréales… En revanche, on s’attend à une baisse moindre des prix où les coûts salariaux jouent un rôle important ».

Olivia Grégoire a malgré tout menacé de « name and shame » les « marques qui ne veulent pas négocier à la baisse ». Avec son confrère de l’Économie, ils comptent mettre autour de la table les acteurs de la grande distribution et les industriels de l’agroalimentaire lors d’une nouvelle réunion avant le 15 juin.

À la motte de chez nous

Florence Jany-Catrice évoque d’ailleurs une autre piste pour expliquer des baisses de prix qui n’arrivent pas. « L’autre question qui agite aussi beaucoup les économistes, sans qu’on ait d’indicateurs suffisamment formels, c'est la suspicion d’une greed-flation, c’est-à-dire qu’on ne soit pas dans une boucle prix/salaire mais prix/profit », pointe-t-elle. Concrètement : que des entreprises profitent de l’inflation pour augmenter exagérément leurs prix et leurs marges.

Alors que les effets de la guerre en Ukraine ou de la crise du Covid-19 semblent perdre en influence, l’économiste ne veut pas perdre de vue les facteurs structurels de l’inflation. Dans sa ligne de mire, le rôle du changement climatique dans nos économies.

« Le numérique est considéré – à tort selon moi – comme un levier fort de la transition. Or c’est très consommateur de métaux rares, ce qui est susceptible de générer un phénomène inflationniste. C’est la même chose pour les mégafeux et la filière bois, pour la sécheresse et l’énergie hydraulique. Il y a aussi des facteurs liés plus directement à la politique de transition et notamment à la politique de relocalisation. La faible inflation que nous avions depuis 30 ans, elle est aussi liée à la mondialisation », détaille l’économiste. De la motte de beurre à la motte de terre, les recettes sont les mêmes.

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