« Un métier sérieux » : Avec Thomas Lilti, on a parlé éducation, abaya et harcèlement

Thomas Lilti, ici au mois de novembre 2022, au Touquet.
Sylvain Lefevre / Getty Images

CINÉMA - Les profs, des paresseux ? Pour Thomas Lilti, c’est faux, or « cette image est encore beaucoup trop ancrée dans notre société française ». L’ex-médecin et réalisateur français (Hippocrate, Première année) veut leur rendre hommage avec son nouveau long-métrage, Un métier sérieux sorti le 13 septembre.

Drôle, sensible et divertissant, Un métier sérieux est une plongée dans le milieu de l’enseignement. Il nous raconte l’année scolaire d’une bande d’enseignants résilients et solidaires dans un collège de région parisienne. Parmi eux : Benjamin (Vincent Lacoste), un jeune prof de maths remplaçant se retrouve comme jeté dans le grand bain.

Manque de moyens pédagogiques, de temps, mais aussi de soutien… Le cinéaste cible des enjeux actuels du professorat, un métier qu’il estime « dévalorisé », aussi bien par les pouvoirs publics que les parents et les élèves eux-mêmes.

Loin des blocs opératoires auxquels nous a habitués Thomas Lilti, ce cinquième long-métrage n’aurait pas pu trouver meilleur contexte pour débarquer sur nos écrans : une rentrée scolaire déconcertante, secouée notamment par diverses polémiques politiques. Le HuffPost en a parlé avec lui.

Le HuffPost : Emmanuel Macron avait fait la promesse ambitieuse de retrouver « un professeur devant chaque classe » dès cette rentrée. Seuls trois Français sur dix, d’après notre sondage, lui faisaient confiance pour y parvenir. À raison ?

Thomas Lilti : On voit bien que non. C’est un échec. Il y avait plus de 3 000 postes encore non pourvus dans le courant du mois de juillet. Et en cette rentrée, un collège ou lycée sur deux manquent d’un prof. De plus, la question était aussi de savoir de quel prof Emmanuel Macron nous parlait. Auraient-ils été suffisamment formés ?

L’un des premiers dossiers de Gabriel Attal, récemment nommé ministre de l’Éducation, a été de se pencher sur le port de l’abaya et son interdiction. S’agissait-il vraiment d’une priorité ?

Pour y répondre, allons sur le terrain. Est-ce que ça prend vraiment de la place ? Est-ce qu’il y a vraiment de la provocation ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que 67 élèves s’étant présentées avec une abaya à la rentrée ont refusé de l’enlever. Or, 12 millions d’élèves ont fait leur rentrée, cette année. Je veux bien qu’on me fasse croire que c’est un problème sociétal, mais en termes de chiffres ça me semble dérisoire par rapport aux autres problèmes que rencontre l’enseignement scolaire, à commencer par le harcèlement à l’école.

Sur la question du harcèlement scolaire, Gabriel Attal a récemment demandé aux établissements de prendre des sanctions plus rapidement. Comment les profs que vous avez rencontrés pendant votre travail de documentation vivent de l’intérieur ce sujet récurrent ?

On voit bien que la société est traversée par des problématiques profondes de violence, de racisme, de laïcité… L’école en est souvent le reflet et ce qu’on dit aux profs, c’est de les régler quand ils y sont confrontés. Ce n’est pas leur rôle. C’est intolérable et profondément injuste de tenir responsables des insuffisances en la matière les profs, qui sont en première ligne.

Alors oui, on ne peut pas tenir garant de tous les problèmes de l’Éducation nationale le gouvernement actuel, d’autres gouvernements l’ont précédé. Néanmoins, on ne peut que reconnaître qu’un fossé s’est creusé entre celui-ci et les profs. Ils ont une défiance totale vis-à-vis de ses membres.

D’où vient-elle ?

Il y a les promesses qui n’ont pas de réalité avec le terrain (comme pour l’abaya, ndlr) et celles qui n’ont pas été tenues. Avant le coup du « prof devant chaque classe », il y a eu la promesse de revalorisation de 10 % des salaires d’Emmanuel Macron (pendant sa campagne présidentielle, ndlr). Ce n’était pas vrai. Seule une partie des profs en pu en bénéficier, pas tous.

Selon un document du ministère de l’Éducation nationale consulté par plusieurs médias, l’augmentation moyenne de la rémunération des enseignants serait donc ramenée à 5,5 %…

Il y a un sentiment d’injustice. En France, les profs sont très mal payés (ils gagnent 34 000 euros bruts par an, contre 42 000 euros pour la moyenne de l’OCDE, ndlr). D’après plusieurs études, entre les cours en classe et leur préparation, les professeurs travaillent une quarantaine d’heures par semaine. Rappelons-le : une heure de cours, ça n’a rien à voir avec une heure de travail classique au bureau. C’est très difficile. Et pourtant, on passe notre temps à dire comment les profs devraient faire leur travail. C’est très douloureux pour eux.

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