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Les méga-bassines, une solution aux sécheresses ? Ce qu’en disent ces scientifiques

Avec les sécheresses plus longues et sévères, les « méga-bassines » sont jugées « insuffisantes » et « coûteuses » par ces scientifiques pour pallier les pénuries d’eau.

ENVIRONNEMENT - La guerre de l’eau douce a déjà commencé. Pour preuve, le projet de « méga-bassines » pour l’irrigation agricole de Sainte-Soline a été le théâtre ce samedi 25 mars de nouveaux affrontements violents, cristallisant les tensions autour du partage de la ressource face à la menace de sécheresses récurrentes. Avec le changement climatique et les bouleversements du cycle de l’eau, les tensions autour de l’eau douce, qui représente moins de 0,1 % de l’eau sur terre, ne vont aller qu’en s’intensifiant.

Face à la pénurie d’eau douce, les solutions privilégiées par les gouvernements ont été jusqu’à présent d’augmenter la quantité disponible en stockant toujours plus d’eau via des barrages ou des réservoirs, ou en apportant des réponses techniques (forage ou dessalement par exemple). À cet égard, le sixième rapport du Giec est néanmoins clair : ces solutions technologiques paraissent insuffisantes avec un climat qui se réchauffe.

Rendues inefficaces avec le changement climatique

Pour rappel, les « bassines » stockent en plein air l’eau puisée dans les nappes superficielles en hiver, lorsque la ressource est plus abondante, pour irriguer en été. Assurance-récolte « face au changement climatique » pour leurs partisans, les scientifiques du climat du Giec évaluent au contraire que ces réservoirs « sont coûteux, ont des effets négatifs sur l’environnement et ne seront pas suffisants en cas de réchauffement plus important dans toutes les régions du monde ».

Et pour cause, si les réservoirs artificiels semblent être une solution efficace à court terme pour arroser les cultures en manque d’eau pendant l’été, en cas de sécheresse sur le long terme, le modèle tombe à l’eau.

Avec le réchauffement climatique, les sécheresses vont en effet être de plus en plus intenses et « l’eau perdue dans les réservoirs artificiels par évaporation peut être conséquent », abonde Gonéri Le Cozannet, co auteur du Giec sur le chapitre « adaptation », contacté par Le HuffPost. Par ailleurs, la sécheresse historique depuis novembre démontre que lors d’hivers secs, les nappes sont vides, et les bassines ne peuvent donc pas assurer le stockage de l’eau pour l’été.

Avec les températures qui augmentent, le stockage artificiel de l’eau sera de toute manière insuffisant, note Gonéri Le Cozannet sur son compte Twitter. « Autour de 3 °C de réchauffement global, même un très grand nombre de mesures d’adaptations cohérentes ne peuvent plus garantir d’éviter des pénuries d’eau. Notamment dans le sud de l’Europe », appuie le scientifique.

C’est pourquoi l’hydroclimatologue Florence Habets estime que le modèle de la mégabassine est une « maladaptation » au changement climatique. Dans The Conversation, la chercheuse revient sur le cercle vicieux du stockage artificiel : pour répondre à nos besoins en eau grandissant, plus on stocke, et plus le déficit hydrique se creuse. Et lorsqu’il y a déficit, on augmente de nouveau les capacités de stockage pour répondre à nos nouveaux besoins. C’est un cycle sans fin, jusqu’à épuisement complète de la ressource.

Le cas de Sainte-Soline

À tous ces arguments, les « pro bassines » des Deux-Sèvres rétorquent qu’ils représentent « un modèle d’agriculture familiale et diversifiée » et qu’y renoncer favoriserait à l’inverse les grosses exploitations, mieux équipées et aux assolements - blé, colza, tournesol - plus gourmands en eau. Ils défendent « un accélérateur de transition » dans un territoire où la surface de maïs irrigué a déjà été divisée par trois depuis les années 2000.

Ils ajoutent que la construction de 16 méga-bassines à Sainte-Soline assurerait au contraire une réserve en eau en période de sécheresse. Pour appuyer leur propos, ils citent un rapport du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) qui estime que le projet dans les Deux-Sèvres pourrait, par rapport à 2000-2011, augmenter « de 5 % à 6 % » le débit des cours d’eau l’été, contre une baisse de 1 % l’hiver.

Mais cette modélisation n’intègre ni l’effet du changement climatique ni le risque de sécheresses récurrentes, a admis la présidente du BRGM lors d’une audition au Sénat le 15 mars. « Nous n’avons pas simulé les conséquences du réchauffement climatique, et nous n’avons pas non plus dit qu’on pouvait nécessairement réaliser des prélèvements en hiver », développe-t-elle dans l’extrait ci-dessous. « Si on construit ces bassines, faut-il encore pouvoir les remplir », conclut Michèle Rousseau.

Agir sur la demande

Faut-il pour autant faire une croix sur les méga-bassines dans les années à venir ? Dans un texte coécrit dans le média Bon Pote, Magali Reghezza, géographe et membre du Haut Conseil pour le climat (HCC) et Florence Habets, directrice de recherche CNRS expliquent qu’un plan d’adaptation « eau » efficace peut inclure « un peu » de barrages réservoirs et des méga-bassines. « Mais il faut bien se rendre compte que leur efficacité lors des sécheresses sévères ne sera effective que si leur eau est réellement disponible (... )», arguent-elles.

Surtout, ces solutions techniques ne doivent être que des compléments à la réduction de notre consommation d’eau : « Le rapport du GIEC montre qu’agir sur la demande en eau, permet de réduire les conflits », avance Gonéri Le Cozannet. En d’autres termes, il faut tendre dans nos pratiques individuelles, mais aussi industrielles et agricoles, vers la sobriété hydrique.

Les scientifiques du Giec ont par ailleurs évalué d’autres solutions efficaces pour préserver cette ressource telles que « l’alimentation à base de plantes -pas nécessairement strictement végétarienne-, l’agroécologie, l’agroforesterie, des systèmes agricoles mixtes et diversifiés... », énumère Gonéri Le Cozannet. « Si l’on veut financer de manière efficace l’adaptation au changement climatique, ce sont vers ces pratiques que devraient aller les financements. »

Pour s’adapter à un climat qui change, il faut aussi savoir protéger nos réservoirs naturels d’eau douce, comme les fleuves, rivières, nappes, ajoutent Magali Reghezza et Florence Habets : « Les seuls réservoirs qui peuvent stocker l’eau longtemps et avec une bonne qualité sont les nappes souterraines ».

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