Médine: de "Don't Laïk" aux journées EELV, retour sur un parcours semé de polémiques

Depuis l'invitation par le parti Europe Écologie-Les Verts de Médine à ses Journées d'été des écologistes au Havre, ce jeudi 24 août, et son tweet controversé sur l'écrivaine Rachel Khan, le nom de l'artiste de 40 ans est au centre de tous les débats.

Mais le rappeur, engagé contre les violences policières et l'extrême droite, proche de la Nupes et ouvertement antifasciste qui avait affirmé avoir voté Jean-Luc Mélenchon lors de la présidentielle 2022, n'en est pas à sa première polémique.

Depuis ses débuts en 2005 avec son premier album 11 septembre, Médine multiplie les controverses souvent associées à ses textes, tantôt taxés d'antisémitime, de sexisme ou encore d'islamisme par ses détracteurs.

Le rappeur est également la cible de critiques pour ses engagements politiques marqués à gauche, tels que son soutien à la réforme des retraites en avril dernier, avec sa participation à un concert caritatif à Paris et sa visite avec Adèle Haenel dans une raffinerie Total, ou sa présence à une manifestation en opposition à la venue du Rassemblement National au Havre pour La fête de la nation, le 1er mai dernier. Retour sur les différentes polémiques qui ont marqué la carrière de l'artiste.

• Don't Laïk, morceau au cœur de la polémique

Si de nombreux politiques se sont à l'origine autant indignés de l'invitation de Médine c'est en partie à cause de paroles provocatrices rappées par l'artiste originaire du Havre notamment dans son titre Don't Laïk, sorti en 2015.

Dans ce morceau, qualifié "d'ôde à la laïcité" par son auteur, celui-ci parle notamment d'aller "[crucifier] les laïcards comme à Golgotha" ou de mettre "des fatwas sur la tête des cons". Des propos, qui une semaine avant les attentats de Charlie Hebdo, avaient profondément choqué une partie de la classe politique, alimentant une polémique autour d'une éventuelle complaisance de Médine vis-à-vis de l’islamisme.

Depuis, le rappeur s'est expliqué à de nombreuses reprises sur la signification de ce morceau. Il reconnaît d'ailleurs à nouveau dans Le Parisien ce mercredi "être allé trop loin avec Don't Laïk, tout en assurant que le titre n'a selon lui "pas été compris".

"Je suis de l’école du rap provocateur. [...] Si l’art n’est pas subversif, ne me bouleverse pas, ne me fait pas changer, cela m’intéresse moins. Alors forcément, j’utilise des formules et des iconographies provocatrices pour créer un débat. Parfois, cela se retourne contre moi", précise le rappeur au Parisien.

"Je n’ai aucun mal à le reconnaître et à revenir sur mes erreurs, sur des malentendus. Parfois je suis allé trop loin, comme dans 'Don’t Laïk' [...] qui n’a pas été compris, car j’ai écrit un morceau très offensant avec un clip et des images qui ne désamorçaient pas le sujet. Encore une fois, j’ai reconnu mon erreur", assure-t-il.

Selon Marie Sonnette-Manouguian, sociologue et spécialiste de l'engagement politique dans le rap, les textes parfois provocateurs de Médine s'inscrivent à la fois “dans la forme artistique du rap, qui a souvent comme modalité langagière, notamment par l’expression de punchlines, la virulence" mais également dans une longue tradition de la chanson française politique, à l'instar de Renaud, "dont on connaît certaines chansons extrêmement provocatrices à l’égard de l’État, de la police, du gouvernement", précise-t-elle à BFMTV.com.

Dans la légende du clip de Don't Laïk sur YouTube, Médine explicite également davantage le contexte et l'intention derrière ses paroles. "Il est important de distinguer Laïcisme de Laïcité. [...] Il ne s’agit pas d’attaque envers une quelconque autre confession ou non-confession [...] le croire et le faire-croire est malhonnête", affirme l'artiste.

"Il convient forcément de dépasser le caractère provoquant pour en comprendre le fond du propos qui cherche surtout à rassembler. [...] Mes morceaux appartiennent à cette tradition d’oeuvre caricaturiste qui exagère volontairement les représentations pour en extraire son contenu parfois absurde et contradictoire. Il est donc maladroit de m’attribuer des considérations communautaristes, alors que j’en suis précisément le critique" ajoute-t-il.

• Annulation du Bataclan

La polémique autour du morceau Don't Laïk sera relancée trois ans plus tard lorsque Médine annonce en 2018 qu'il va se produire dans la salle de concert du Bataclan, où ont eu lieu les attentats du 13 novembre 2015.

Les détracteurs du rappeur, tels que Marine Le Pen, Laurent Wauquiez, Nicolas Dupont-Aignan, le groupuscule d'extrême droite Génération Identitaire ou encore Aurore Bergé s'appuient alors à nouveau sur les paroles de ce titre pour appeler à l'annulation des shows de Médine.

Pour alimenter davantage la polémique, certains élus mettent également en avant le nom de l'album Jihad: le plus grand combat est contre soi-même, sorti par le rappeur en 2005, raccourcissant au fil des critiques le titre du projet à Jihad.

"En 2018 est née une polémique, portée d’abord par le groupe d’extrême droite Génération Identitaire, pour obtenir l’annulation du Bataclan de Médine, [...] au prétexte que son appartenance musulmane en ferait un allié des terroristes responsables des attentats de 2015", analyse Marie Sonnette-Manouguian.

Attaquant la présence de Médine à la conférence de l'Ecole normale supérieure, en 2021, la Ministre des Solidarités Aurore Bergé - à l'époque députée Renaissance - ira même jusqu'à qualifier Médine en 2021 de "rappeur islamiste", des propos pour lesquels Médine a par la suite porté plainte pour diffamation.

Pour éviter "l'instrumentalisation politique", Médine finira par annuler ses concerts et les reprogrammer au Zénith de Paris en 2019, invoquant "des manifestations" prévues par "des groupes d'extrême droite dont le but est de diviser". "Par respect pour les familles [des victimes] et pour garantir la sécurité de mon public, les concerts ne seront pas maintenus", avait-il alors annoncé sur Instagram.

En juin 2023, quatre néo-nazi membres d’un forum privé d'ultradroite nommé "projet WaffenKraft" ont notamment été condamnés à des peines allant d’un à dix-huit ans de prison ferme pour avoir projetté de commettre des attentats contre plusieurs personnalités dont le rappeur Médine au Bataclan en 2018.

• Accusations d'homophobie

Certains détracteurs de Médine reprochent également au rappeur des propos homophobes qu'il a tenus dans une vidéo non-datée mais partagée en 2018 notamment par l'association militante LGBT lyonnaise, l’amicale des Jeunes du refuge.

Dans celle-ci, dont la date de captation n'est pas précisée, Médine revient sur ce qu'est le concept d'assimilation selon lui et emploit dans son explication le terme "tarlouze". "Intégrer ça veut dire renoncer à ses origines, sa religion... en gros ressembler à M. tout le monde... que tu sois un noir qui se défrise les cheveux et qui fasse un peu tarlouze...", déclare le rappeur face caméra.

Interrogée par Le Figaro à ce sujet mercredi, Médine estime avoir "évolué sur cette question". "Aujourd'hui je ne cesse de dénoncer, dans mes interventions quand on me questionne sur le sujet, que les mécanismes d'oppression qui frappent les populations LGBTQI+ sont les mêmes que les mécanismes qui s'exercent sur les populations racisées, musulmanes et féministe et qu'il faut les combattre ensemble", assure le rappeur, récemment invité à échanger avec Tata Foxie, membre du collectif queer Paillettes, lors d'une soirée organisée par Médiapart fin mai.

Certains internautes rappellent également sur les réseaux sociaux que dès 2013, Médine avait expliqué totalement dissocier sa position spirituelle de sa position de citoyen sur la question du mariage pour tous.

"Evidemment le mariage gay n'est pas compatible avec l'islam mais en tant que citoyen français je suis pour l'égalité donc [...] il ne devrait pas avoir de discrimination dans le mariage, que tu sois homosexuel, issu de l'immigration...", déclarait-il en juillet 2013 dans une interview sur la chaîne YouTube Ptit Delire Tv.

• Accusations d'antisémitisme

Le rappeur Médine est également au cœur d'une polémique, après un tweet dans lequel l'artiste utilise le nom de l'essayiste Rachel Khan, juive et petite-fille de déporté, qu'il qualifie de "resKHANpée", à savoir une "personne ayant été jetée par la place Hip Hop, dérivant chez les social traîtres et bouffant au sens propre à la table de l'extrême-droite".

Après une vive indignation politique, Médine s'est excusé et assuré que son tweet n'était pas dirigé "vers sa famille ni vers les victimes du drame de la Shoah".

"C’est une erreur, je l’admets. C’est un tweet gênant, car je n’avais pas en tête ses antécédents familiaux. Depuis trois semaines, je suis insulté sur les réseaux et j’ai bronché. Je lui ai immédiatement présenté mes excuses ainsi qu’aux familles des déportés. L’antisémitisme est un poison, je le combats depuis longtemps", a justifié le rappeur auprès du Parisien.

En cause, également, des photos de Médine prise dans les locaux de la radio Skyrock et publiées sur Facebook en 2014, sur lesquelles l'artiste effectue une "quenelle", un geste antisémite popularisé par l’humoriste controversé Dieudonné. Un geste "antisystème" aux yeux du rappeur qu'il a affirmé "regretter" à de nombreuses reprises en interview.

"C'est une vraie erreur de ma part, j’en porte le poids aujourd’hui. Pour moi, c’est de l’antisémitisme, je m’en désolidarise et je combats toute forme d’antisémitisme, celui qui était sous couvert de la 'dissidence', et qui continue aujourd’hui à prospérer sur les réseaux sociaux", a-t-il expliqué auprès de Médiapart ce mardi.

La sociologue Marie Sonnette-Manouguian cite également le morceau RER D, sorti par le rappeur en 2008, dans lequel il qualifie l’antisémitisme de "cancer, qu'il faut combattre tout comme l'islamophobie", "signe assez précoce dans son parcours, bien qu’il ne dédouane pas n’importe quel comportement, d’une conscience du poison que peut être l’antisémitisme", indique-t-elle.

• Fréquentations controversées

Peu après la polémique autour de la "quenelle", Médine se retrouve à nouveau sous le feu des critiques pour une apparition en 2014 au théâtre de la Main d'Or de Dieudonné lors d'un meeting de Kémi Séba, considéré comme un militant racialiste, antisémite et suprémaciste noir, condamné à plusieurs reprises en France pour incitation à la haine raciale, où le rappeur s'était fait ovationner.

Dans un droit de réponse adressé au média StreetPress, qui avait révélé l'information, Médine s'était alors défendu en invoquant une "démarche universitaire et étudiante" avec pour volonté de se confronter "aux courants-mêmes les plus prétendument radicaux" tout en gardant "une distance politique".

"Assister à la conférence d’un homme ne veut pas dire épouser ses idées, lire les essais d’un auteur ne veut pas dire soutenir leur contenu. [... ] Être sur le terrain, c’est être amené à comprendre les problèmes de l’intérieur. Faire des analyses depuis les salons a son utilité mais manque parfois de pertinence concernant les questions si délicates du radicalisme et du communautarisme", avait-il assuré dans sa réponse.

En 2018, en pleine polémique du Bataclan, Valeurs Actuelles affirme également que Médine serait un ambassadeur de "Havre de savoir", une association normande qui, selon son site, vise à "faire connaître l'islam et ses valeurs d'ouverture et de tolérance, son éthique et sa morale" mais qui serait en réalité proche du "courant de pensée des Frères musulmans" selon le chercheur Romain Caillet, cité par CheckNews en 2018.

Interrogé par TF1 à l'époque, Havre de savoir rétorque que "si titre il y avait, ce ne serait pas un titre d'ambassadeur, qui n'existe pas dans notre association, mais plutôt un statut honorifique". Médine lui, a également démenti être adhérent de cette association mais a toutefois reconnu avoir participé pour elle en 2013 à une conférence aux côtés de Hani et Tariq Ramadan, pour y partager "ses engagements en tant qu’artiste", rapporte CheckNews.

"Durant ses 20 ans de carrière, Médine n'a jamais mis ses œuvres au service d'un prosélytisme religieux. D'ailleurs, il subit à la fois les attaques des extrémistes religieux qui lui reprochent de dévoyer l'Islam, et à la fois celles de l'extrême droite”, indique Marie Sonnette-Manouguian.

"Il a un parcours politique évolutif avec un rapprochement très clair ces dernières années des mouvements sociaux et des partis politiques de gauche. Ses déclarations sur la nécessité de se battre pour la justice sociale concernent l’ensemble des groupes minoritaires et stigmatisés: de classe, d’appartenance ethno-raciale, religieuse, d’orientation sexuelle et d’appartenance de genre", ajoute-t-elle.

Et la sociologue de conclure: "Je pense qu’il y a peu d’artistes en France qui font preuve d’une aussi grande transparence sur l’évolution de leur pensée politique." Une pensée politique que Médine aura l'occasion d'aborder davantage lors de son "explication de texte" prévue aux Journées d'été d'Europe Écologie-Les Verts au Havre ce jeudi 24 août.

Article original publié sur BFMTV.com