Mégabassines à Sainte-Soline : un an après la mobilisation des associations, où en est le projet dans les Deux-Sèvres ?

Vue aérienne prise le 11 avril 2023 d’une réserve d’eau (« méga bassine ») pour l’irrigation agricole en cours de construction, à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres.
DAMIEN MEYER / AFP Vue aérienne prise le 11 avril 2023 d’une réserve d’eau (« méga bassine ») pour l’irrigation agricole en cours de construction, à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres.

ENVIRONNEMENT - Il y a un an, une scène surréaliste se déroulait à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres. Les images de milliers de personnes courant dans un cratère de terre battue, poursuivies par les forces de l’ordre et leurs grenades lacrymogènes, avaient fait le tour des médias. Ce tumulte du week-end du 25 mars 2023 marquait un tournant dans la « guerre de l’eau » . À l’origine de cette agitation, des militants environnementaux mobilisés contre la construction d’une « mégabassine », une gigantesque réserve à ciel ouvert destinée aux agriculteurs.

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Un an plus tard, la mobilisation des associations ne faiblit pas, entre batailles juridiques, inspections régulières du chantier et manifestations locales. Les Soulèvements de la Terre annoncent notamment un rassemblement ce week-end du 23 mars à deux pas de Sainte-Soline. Objectif : maintenir la mobilisation et dénoncer « la politique de terreur appliquée par un gouvernement violent et irresponsable ».

Des travaux à l’arrêt pendant tout l’été 2024

Pendant ce temps, la construction de la mégabassine de Sainte-Soline – que les agriculteurs préfèrent appeler « retenue de substitution » – se poursuit. « Elle n’est pas totalement terminée, mais il ne reste plus qu’à poser la bâche sur une dernière partie », indique au HuffPost François Petorin, agriculteur et administrateur de la Coop de l’eau 79, en charge du projet. « Le chantier a été retardé par les récentes intempéries mais aussi par la mobilisation l’an dernier, qui avait tout mis en pause pendant une quinzaine de jours », précise-t-il.

Reste que les travaux vont devoir s’arrêter tout prochainement : le lieu d’implantation de la bassine de Sainte-Soline est en effet classé zone Natura 2000. Par conséquent, il y est interdit d’effectuer des travaux pendant la période de nidification des oiseaux, qui s’étend de début avril à la fin du mois d’août. Les travaux reprendront donc en septembre, « avec l’intention d’effectuer un premier remplissage de la retenue à l’hiver 2024-2025 », indique François Petorin.

Quatre bassines sur seize en service à l’automne prochain

Pour remplir ce réservoir géant d’une capacité de 628 000 md’eau, soit l’équivalent d’environ 250 piscines olympiques, neuf pompes ont été installées. Elles permettront de prélever de l’eau dans les nappes phréatiques peu profondes en hiver, lorsque les précipitations sont plus fréquentes, et de la stocker pour l’utiliser en été afin d’irriguer les cultures de douze exploitations agricoles en période de sécheresse.

Les méga-bassines, une solution aux sécheresses ? Ce qu’en disent ces scientifiques

Si la bassine de Sainte-Soline est particulièrement visée par les militants, c’est parce qu’il s’agit de la plus imposante du programme local, qui prévoit seize bassins au total. Les autres réservoirs ont des capacités autour de 450 000 m³. Sur les 16 bassines, une seule est fonctionnelle, celle de Mauzé-sur-le-Mignon, et trois devraient l’être à l’automne 2024 : celle de Sainte-Soline donc, mais aussi celles de Priaires (160 000 m³) et d’Épannes (230 000 m³).

Les associations veulent annuler le projet

Si la Coop de l’eau des Deux-Sèvres fait valoir que le bassin de Sainte-Soline permettra de faire « baisser de 70 % les prélèvements d’eau en été », les associations pointent au contraire un « accaparement de l’eau au bénéfice d’un petit nombre d’agriculteurs du modèle agricole intensif ». À plusieurs reprises, des scientifiques ont pris position ces derniers mois pour souligner que les mégabassines ne constituent pas une solution durable face au changement climatique. À l’inverse, ils prônent l’hydrologie régénérative, soit des solutions par la nature pour maintenir l’eau dans le sol : à Sainte-Soline, cela peut se traduire par exemple par la restauration du marais de poitevin et le retour des prairies.

Fortes de ces arguments, les associations ont déposé plusieurs recours devant le tribunal administratif pour tenter d’annuler le projet des 16 bassines dans les Deux-Sèvres. « Actuellement, on attend un passage devant la cour d’appel de Bordeaux, entre juin et septembre, qui nous donne bon espoir d’annuler le projet », indique au HuffPost Mélissa, porte-parole du collectif Bassines non merci 79.

Les recours s’appuient sur plusieurs griefs : accaparement de l’eau, conflits d’intérêts, absence de dérogation… Et la méthode a fait ses preuves : fin 2023, la mobilisation des associations a permis d’annuler la construction de 15 mégabassines en Poitou-Charentes par deux décisions du tribunal administratif de Poitiers.

Un oiseau pourrait mettre à l’arrêt le chantier

À cela s’ajoute une plainte déposée en janvier dernier par la LPO et une dizaine d’associations, auprès du tribunal judiciaire de Niort cette fois-ci. Selon ces dernières, la présence sur le site de la mégabassine d’une espèce d’oiseau bien particulière, l’Outarde canepetière, pourrait faire basculer le dossier.

« Il s’agit d’une espèce en danger d’extinction, sa population a diminué de 95 % entre 1976 et 2000. Or cinq couples ont été identifiés dans le secteur de la bassine de Sainte-Soline », explique Régis Ouvrard, président délégué de la LPO en Poitou-Charentes. « Nous avons porté plainte pour destruction d’habitat d’espèce protégée, car les travaux ont été exécutés sans avoir obtenu la dérogation nécessaire, comme l’a pointé le CNCP », ajoute-t-il.

Le Conseil national de protection de la nature (CNCP), instance rattachée au ministère de la transition écologique, s’est en effet autosaisi du dossier. Dans un avis rendu en décembre, il estime que les travaux de la mégabassine de Sainte-Soline ont conduit à la destruction d’un minium de 17 hectares d’habitat naturel de l’Outarde canepetière, et ont eu des conséquences « permanentes défavorables » sur l’espèce en danger d’extinction.

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