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Lutte contre l’homophobie et la transphobie : le rôle méconnu des réseaux internes aux grandes entreprises et institutions

<span class="caption">L’association Flag&nbsp;! est créée en 2001. Devenue FLAG&nbsp;! elle grandit progressivement pour représenter les agents LGBT+ des ministères de l’Intérieur et de la Justice. Pompiers, Policiers municipaux et leurs alliés </span> <span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
L’association Flag&nbsp;! est créée en 2001. Devenue FLAG&nbsp;! elle grandit progressivement pour représenter les agents LGBT+ des ministères de l’Intérieur et de la Justice. Pompiers, Policiers municipaux et leurs alliés Fourni par l'auteur

On compte aujourd’hui de plus en plus de chars aux insignes des entreprises dans les différentes « marches des fiertés LGBTQI+ » (anciennement dénommées « gay pride ») organisées actuellement en France. Nous sommes dans ce que certains médias décrivent comme la « saison du pink washing » : autrement dit, comme la promotion de la diversité est devenue un enjeu de réputation pour les entreprises, se montrer LGBT-friendly constituerait une variation, souvent superficielle, de cette stratégie de communication.

Cependant, ces enjeux de communication peuvent également pousser les organisations à mener des actions plus concrètes pour lutter contre les discriminations. En particulier, les employés défilant au côté d’un char de leur employeur dans leur tenue de travail (ou dans un polo reprenant les codes de leur uniforme, comme c’est le cas de FLAG !, qui n’a pas eu l’autorisation de défiler en uniforme officiel de police ou de gendarmerie), contribuent à donner de la visibilité aux minorités LGBTQI+ au sein de leur institution.

Comme nous le montrons dans un travail de recherche récent, les militants qui ont cherché à mobiliser leur employeur depuis le début des années 2000 en créant des associations LGBT sur leur lieu de travail ont en effet permis de promouvoir une meilleure lutte contre l’homophobie et la transphobie.

Prise en compte tardive

Les premiers développements d’associations LGBT dans des grandes entreprises et administrations ne se sont pas faits sans heurt en France. Entre 2000 et 2010, ces associations commencent à se structurer dans une période marquée par deux faits majeurs.

D’une part, le Pacte civil de solidarité, instauré en 1999, est à la fois une première reconnaissance des droits des couples LGBT, mais c’est aussi un moment qui souligne l’ampleur des inégalités qui restent entre les couples homosexuels et hétérosexuels, en termes de mariage, d’accès à la filiation, et de reconnaissance des droits des couples dans la vie sociale et professionnelle (pension de réversion, congé de parentalité, etc.).

D’autre part, le début des années 2000 est marqué par une montée des enjeux de promotion de la diversité. Les organisations publiques et privées mettent en œuvre des politiques diversités, valorisées par un label et une charte, mais qui ne se cristallisent dans les faits que sur quelques actions concrètes en faveur de l’égalité professionnelle femme-homme, l’inclusion des personnes en situation de handicap et des seniors. La lutte contre l’homophobie et la transphobie n’était alors pas prise en compte sérieusement par les entreprises, quand bien même les risques d’agressions homophobes et transphobes demeuraient importants (et restent toujours significatifs dans le monde professionnel).

Les réseaux LGBT se développent dans ce contexte, où de nombreux employeurs communiquent copieusement sur leur implication pour promouvoir la diversité, mais où presque aucune action concrète n’était mise en œuvre pour lutter contre l’homophobie et la transphobie, dans un contexte d’importantes tensions LGBT-phobes dans la société.

La « promotion de la diversité » reste un terme plastique et très large, qui peut concerner beaucoup de minorités (genre, origine, religion, handicap, etc.). L’enjeu des réseaux LGBT que nous avons étudiés était de « sortir des points de suspension de la diversité » : c’est-à-dire d’acquérir une véritable reconnaissance, d’assurer que l’entreprise réagisse en cas d’actes homophobes ou transphobes, et mette en place de vraies campagnes de sensibilisation et de formation pour lutter contre l’homophobie et la transphobie.

Tracts, campagnes et quizz

Se mobiliser au sein de sa propre entreprise peut être difficile, voire risqué pour sa carrière.

En analysant les archives de ces réseaux LGBT, nous avons pu constater que leur première stratégie n’était pas contestataire, mais a consisté à produire eux-mêmes une panoplie d’outils de sensibilisation, de formation, et de gestion des cas d’homophobie et de transphobie.

Dans les premières années après leur création, ces réseaux ont mis en place des tracts pédagogiques pour expliquer certains concepts (outing, coming out, description des identités sous l’acronyme LGBTQIA+) et ont conçu des campagnes d’affichage, des formations, des quizz, afin de sensibiliser le plus de collègues possible.

Ils ont également mis en œuvre des lignes d’écoute ou des sites de recueil de témoignages pour faire remonter les cas d’agressions LGBT-phobes dans leur organisation. Ils ont donc, gratuitement, produit une quantité importante de contenus et de services que leur employeur pouvait simplement réutiliser pour mettre en œuvre des actions concrètes pour lutter contre l’homophobie et la transphobie.

Le but de ces associations était que leur employeur prenne acte de toutes ces productions pour les diffuser plus largement dans l’organisation. Ici, les réseaux LGBT pouvaient s’appuyer sur les enjeux de réputations de leur employeur, qui se déclarait engagé pour la diversité, voire candidatait au label. Si l’entreprise ne soutenait pas les actions de sa propre association LGBT interne, celle-ci le dénonçait via des communiqués de presse qui pouvaient nuire à sa réputation et démontrer la superficialité de son engagement.

Ainsi, ces réseaux pouvaient proposer d’organiser des stands de sensibilisation le 17 mai, des formations pour lutter contre les LGBT-phobies, etc. Refuser de telles actions démontrerait clairement le manque d’implication de la direction pour mener des actions concrètes contre ces formes de discriminations. D’autres réseaux cherchaient à impliquer différents acteurs de l’entreprise (syndicats, direction) dans leur projet de campagne de sensibilisation. Ainsi, le premier but de ces associations était d’inciter progressivement leur employeur à accepter, puis prendre part, dans des actions de lutte contre les LGBT-phobies.

Si l’engagement pour la diversité ne semblait pas susciter d’opposition dans les organisations, les actions pour rendre visibles les communautés LGBT et lutter contre les LGBT-phobies ont elles été victimes d’actes homophobes et transphobes. Certaines actions de sensibilisations ont par exemple été malmenées (tracts déchirés, insultes, outing, refus de la participation d’employé⋅e⋅s à la marche des fiertés). Les actions de ces réseaux ont donc rendu visibles des formes d’homophobie et de transphobie auparavant latente dans l’organisation, afin de mettre leur employeur face à leurs responsabilités et les inciter à agir, plutôt que d’étouffer les cas de discriminations.

En analysant les actions de ces réseaux sur une vingtaine d’années, on voit comment ils ont progressivement obtenu une plus grande implication de la part de leurs employeurs. Ces réseaux ont aussi amplifié leur champ d’action à mesure qu’ils étaient reconnus par leurs organisations, passant d’une revendication d’être inclus dans les politiques diversité, à l’égalité concrète des droits pour les couples et parents homosexuels, à l’inclusion concrète des personnes trans dans l’entreprise.

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.

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