l'Union européenne sera "vulnérable" si elle ne s'élargit pas, selon la diplomatie allemande
La Russie "de Poutine continuera d'essayer de diviser non seulement l'Ukraine, mais aussi la Moldavie, la Géorgie et les Balkans occidentaux". C’est l’avertissement lancé jeudi par la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock.
"Si ces pays peuvent être déstabilisés en permanence par la Russie, cela nous rend vulnérables, cela nous rend tous vulnérables. Nous ne pouvons plus nous permettre d'avoir des zones d'ombre en Europe", ajoute-t-elle.
Annalena Baerbock s’est exprimée lors d’une rencontre à Berlin consacrée à l’élargissement de l’UE. Une vingtaine de ministres des Affaires étrangères de pays membres et de pays candidats, dont l'Ukrainien Dmytro Kuleba, étaient présents dans la capitale allemande.
La guerre qui fait rage en Ukraine a contraint l'UE à relancer le débat sur l’intégration de nouveaux pays, qui était au point mort.
La Commission européenne doit publier la semaine prochaine son évaluation annuelle des progrès réalisés par les Etats candidats dans la mise en œuvre des principales réformes institutionnelles, judiciaires et économiques nécessaires pour être en mesure d'adhérer à l'UE.
Mais l'Union doit également repenser en profondeur son propre cadre institutionnel, financier et décisionnel afin de rester efficace avec davantage de membres. Le président du Conseil européen, Charles Michel, a présenté l'année 2030 comme l’horizon d’un nouvel élargissement, mais la Commission européenne a pris ses distances par rapport à ce calendrier.
Dans son discours, Annalena Baerbock a exhorté l'Union à entreprendre des réformes audacieuses nécessaires pour garantir une adhésion rapide des pays candidats, tels que l'Ukraine, et a souligné que l'élargissement était essentiel pour permettre à l'UE de conserver son influence géopolitique et de consolider son unité.
"Si nous soutenons ces pays dans le processus d'adhésion afin de renforcer leurs institutions démocratiques, d'améliorer leur résilience et d'offrir des perspectives économiques à leur population, nous ne nous contentons pas de fermer un flanc géopolitique, mais nous renforçons notre communauté", souligne la ministre allemande.
En écho aux propositions formulées dans un récent rapport réalisé par la France et l'Allemagne, elle propose également d'abandonner l'approche actuelle du "tout ou rien" en faveur d'une intégration progressive, de sorte que les citoyens des pays candidats ressentent les avantages de l'adhésion à l'UE avant même de devenir des citoyens de l'UE à part entière.
"Par exemple, les étudiants de Macédoine du Nord, de Serbie et de Turquie qui peuvent étudier dans l'Union européenne grâce aux bourses Erasmus", précise Annalena Baerbock. Elle suggère que d'autres avantages pratiques tels que l'itinérance gratuite dans l'UE et des procédures de visa simplifiées devraient être offerts aux pays candidats.
Annalena Baerbock évoque des idées ambitieuses sur la manière dont l'UE pourrait se réformer, notamment en supprimant le système actuel selon lequel chaque État membre se voit attribuer un commissaire chargé d’un portefeuille politique.
L'Allemagne est prête à "renoncer" à son commissaire pour une période déterminée, précise-t-elle. Elle suggère un système de rotation qui pourrait être difficile à envisager pour les petits États membres.
Une autre solution consisterait à répartir les portefeuilles les plus importants de la Commission, tels que la politique économique ou l'action extérieure, entre un groupe de commissaires représentant différents États membres.
La ministre des Affaires étrangères juge que les responsabilités et les compétences des différents responsables de l’UE doivent aussi être clarifiées.
"Est-il vraiment utile que les interlocuteurs étrangers ne sachent pas s'ils doivent inviter le président de la Commission, le président du Conseil européen ou le Haut représentant sur ces questions géostratégiques s'ils veulent parler de leur relation avec l'UE ?", s’interroge-t-elle.
Les candidats mettent en garde contre la "frustration"
Lors d'un débat, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, a mis en garde l'UE contre l'utilisation de ses propres réformes pour retarder l'adhésion de son pays.
"Je pense que le piège que nous devons tous éviter conjointement pour réussir et faire de l'UE un acteur plus fort dans le monde est la frustration", insiste-t-il. Le chef de la diplomatie ukrainienne affirme que l'incapacité de l'UE à promettre l'adhésion a créé de la frustration en Ukraine, et que son incapacité à tenir sa promesse d'adhésion a semé la même frustration dans les Balkans occidentaux.
"Nous devons maintenant construire un processus d'élargissement et de réforme de manière à ce qu'il n'y ait pas de frustration due à une réforme prolongée de l'Union européenne", souligne-t-il, "et éviter que la réforme de l'UE ne soit utilisée d'une manière ou d'une autre comme un argument pour retarder l'élargissement".
Le ministre des Affaires étrangères de Macédoine du Nord, Bujar Osmani, appelle également à une intégration progressive dans l'Union afin de garantir à sa population que l'UE envisage sérieusement de s'élargir.
Il juge que le processus d'adhésion de la Macédoine du Nord avait "déraillé" bien que son pays ait été le "meilleur élève de la classe" pendant des années.
"Nous avons conclu que la source de la frustration est l'accent mis sur l'adhésion formelle elle-même", constate Bujar Osmani. "C'est pourquoi nous avons promu le concept d'une intégration plus poussée avant l'adhésion".
Il met aussi en garde contre les acteurs "malveillants" qui cherchent à détourner la frustration des pays candidats face à l'absence de progrès sur la voie de l'adhésion à l'UE.