Lumière 2017 : De Diabolo Menthe à La Baule-les-Pins, Diane Kurys raconte son cinéma

AlloCiné : Quel est votre tout premier souvenir de cinéma ?

Diane Kurys : Peter Pan, je crois vraiment que c’est le premier film que j’ai vu. Je devais avoir six ou sept ans quand il est sorti. C’est un très bon souvenir, j’adorais ce film, ça me faisait rêver, ça me faisait peur, le Capitaine Crochet… Ça a ouvert mon imagination. Il y avait que ça comme divertissement pour les enfants à l’époque, le monde a changé.

Vous avez commencé par être actrice et vous avez notamment joué dans le Casanova de Fellini. Quel souvenir en gardez-vous ?

Des souvenirs mélangés. D’abord la rencontre avec Fellini, qui a été très étrange. Il recevait les gens à Paris pour le casting à l’hôtel George V, dans un salon – pas comme Harvey Weinstein, il ne les faisait pas monter dans sa chambre ! Je suis arrivée et il était là, ce Fellini, immense, tout seul, avec des photos. Il regardait la photo, il me regardait, il regardait la photo, et il ne disait rien et au bout d’un moment, je me suis dit : « Si tu ne parles pas, ma vieille, il ne va rien se passer ! » Donc je lui ai dit : « Je suis très déçue. » Il parlait français, alors évidemment, il a posé les photos et il m’a demandé : « Déçue ? » J’ai répondu : « Ah oui, je suis très déçue. Vous vous rendez compte, demain je vais dire à mes copains que j’ai rencontré Fellini et je n’aurai rien à leur raconter ! » Ça l’a fait rire, donc il s’est intéressé un peu plus et il m’a engagée !

Le tournage était inénarrable, j’ai passé un mois à Rome à attendre pour jouer une scène qui durait trois minutes dans le film. On m’a fait trois paires de bottines, on ne voyait évidemment pas mes pieds. Tout cela était complètement fou, j’ai découvert un véritable univers. Rome, l'été, c'est d’un ennui abyssal car c’est désert. On m’appelait parfois pour me dire : « Non, on ne tourne pas aujourd’hui. » Car il ne se décidait pas. Il était fou, mais il était génial. Plus tard, quand je l’ai revu, Fellini, que je suis allée faire un film à Cinecittà, je l’ai croisé le premier jour des repérages. Il était à la cafétaria, il m’a vue et il m’a reconnue ! Il m’a demandé ce que je faisais là et il m’a dit qu’il tournait aussi un film ici, Intervista.


Diabolo Menthe (1977)

Rapidement, vous vous rendez compte qu’actrice ce n’est pas fait pour vous ?

J’ai mis huit ans, quand même. Huit ans de frustrations. J’ai joué beaucoup au théâtre, j’ai fait des tournées et petit à petit, mon désir et surtout ma confiance se sont émoussés. Je n’ai plus cru en moi. J’ai cherché d’autres voies, j’ai essayé d’être agent de peintre, car les peintres n’avaient pas d’agent et je trouvais ça dégueulasse. Et puis par frustration je me suis mise à écrire Diabolo Menthe. Je ne pensais pas le réaliser, je pensais le donner à un metteur en scène, mais quand je l’ai déposé à l’avance sur recettes, ils m’ont demandé de mettre un nom de réalisateur et comme je n’en avais pas, j’ai mis le mien ! Mon métier de comédienne m’a quand même aidée, m’a appris à écrire un texte, je connaissais les plateaux. Disons que ça a été ma voie à moi pour arriver à la mise en scène. La première fois, je n’ai même pas eu l’avance et j’étais tellement déçue que j’ai réécrit 30 pages, j’ai changé le titre et je l’ai renvoyé, ce qui est strictement interdit. Et cette fois-ci je l’ai eue.

Diabolo Menthe, Cocktail Molotov, Coup de foudre, sont des films très autobiographiques.

L’autobiographie, j’y suis revenue beaucoup car c’est la matière la plus facile. On ne connaît rien de mieux que soi-même et ce qui nous entoure, quoi qu’on se réinvente toujours quand on écrit. Ma sœur était dans la salle hier, elle a revu Coup de foudre, elle sait très bien que l’histoire n’est pas exactement telle qu’elle s’est passée, mais elle fait la part des choses. Quoique, pas toujours ! Quand, dans Diabolo Menthe, j’ai dédié le film à ma sœur, on était au mixage et je me disais qu’il fallait que je mette une phrase sur le carton noir dans ce train qui court dans la campagne, et cette phrase m’est venue parce que je trouvais que ça sonnait bien : « A ma sœur, qui ne m’a toujours pas rendu mon pull-over orange. » Et quand elle a vu le film à l’époque, elle est venue me demander pardon pour le pull-over orange qui n’existait pas !


Coup de foudre (1983)

Pour Coup de foudre, vous vous intéressez à l’histoire de vos parents. Est-ce un moyen de vous replonger dans une histoire qui vous avait peut-être échappé ?

Quand j’ai écrit Coup de foudre, ça venait juste après Cocktail Molotov, qui était vraiment l’histoire de mes vingt ans. J’aime beaucoup Cocktail Molotov, c’est un film que j’adore, je voudrais qu’il ressorte l’année prochaine avec les cinquante ans de mai 68 et ce serait justice à rendre au moins à François Cluzet, car il est merveilleux dedans, mais j’ai eu l’impression d’avoir été un peu paresseuse en le faisant. Le film n’avait pas eu le succès escompté, même s’il avait quand même marché, j’étais un peu déçue et je me suis dit qu’il fallait que je me mette vraiment au travail. Je voulais un projet que j’allais pouvoir porter à bout de bras et j’ai pensé à l’histoire de mes parents, à l’histoire d’où je pensais être venue. J’ai pensé que leur histoire était tellement incroyable et l’atmosphère des années 1940-50 me paraissait très inspirante pour les costumes, etc. Mes parents étaient encore en vie, j’ai pu interroger mon père, j’ai pu interroger ma mère. Je me suis beaucoup renseignée sur la guerre, les champs, les lois juives de Vichy… C’étaient mes histoires d’enfance, où on me racontait comment mes parents avaient échappé aux nazis, j’étais nourrie de cela. J’ai réappris cette histoire en l’écrivant.


Un homme amoureux (1987)

Après, il y a Un Homme amoureux, un film international.

Quand Coup de foudre va aux Etats-Unis, c’est un énorme succès là-bas, il reste un an à l’affiche à New York. D’un coup, je rencontre tous les patrons de studios, il y a un petit phénomène. Je me dis que je vais faire un film en anglais ! Je cherche quelle histoire je pourrais raconter qui pourrait coller et je pense à l’histoire d’une petite comédienne, qui rencontre un acteur à Cinecittà. Je vends l’idée à Warner, qui me signe un contrat, mais ils n’aiment pas, ils veulent que l’acteur devienne aveugle ou quelque chose comme ça, donc je reprends mon scénario et je me dis que je vais le faire avec des producteurs français. J’ai la chance de tomber sur Michel Seydoux qui aime beaucoup le scénario. Les acteurs, ça a été une vraie bagarre, j’en ai vu douze, car je voulais une vedette ! J’ai rencontré Al Pacino, Dustin Hoffman, Robert De Niro, et tous m’ont dit non, car ça ne les intéressait pas du tout de jouer leur propre rôle. Ils me proposaient : « Et s’il mourait, et s’il avait un cancer… », mais je leur disais que c’était une histoire d’amour toute bête. Finalement, on s’est retrouvé avec un cast incroyable, le tournage en Italie. La personne la plus connue c’était le chef décorateur de Coppola, Dean Tavoularis et les gens disait que c’était son film, moi j’étais la petite française. Et le film est allé à Cannes. J’aurais aimé qu’il ait plus de succès, mais c’étaient de très belles rencontres.

C’est aussi un vrai hommage au métier d’acteur.

Tous les cinéastes ont envie de faire un jour un film sur leur métier. Pour quelqu’un qui fait de l’autobiographie, ne pas raconter son métier c’est inconcevable, d’ailleurs mon dernier film Arrête ton cinéma! c’est sur le cinéma aussi. J’adore les films sur le cinéma, j’aime les voir !

Et si vous deviez retenir un film sur le cinéma ?

Il y en a plein ! Dans le désordre, Cinema Paradiso, Le Mépris, Barton Fink, Huit et demi, La Nuit américaine ! Je suis jalouse des bons films sur le cinéma. Les Américains en ont fait plein, Les Ensorcelés, All About Eve…


La Baule-les-Pins (1990)

L’envie de faire La Baule-les-pins, un film sur les rapports entre les enfants et les adultes, est-ce que ça a un rapport avec le fait que vous avez été un court moment institutrice ?

Ah non, pas du tout ! Institutrice, ça a été un cauchemar, c’était affreux ! J’étais suppléante dans des banlieues de Paris, je faisais la Courneuve, Aubervilliers, c’était un hiver, c’était horrible ! Non, j’avais envie de faire un film avec des enfants depuis Diabolo Menthe. Les enfants, c’est une matière brute et quand ils sont bien ils sont mieux que bien, mieux que les acteurs. J’ai longtemps cherché, mais ça n’allait nulle part. Je me suis finalement dit que j’allais faire un film de vacances, un film d’époque, où il se passe un drame, et puis je me suis dit que tant pis, il y aurait des adultes, donc il y a six enfants et six adultes. Ce film a été un très grand bonheur, c’était l’été, les acteurs avaient l’impression d’être en vacances, ils allaient jouer au tennis après le tournage, c’était vraiment sympa.

Vous êtes également productrice de vos films, pourquoi ?

Pour la liberté ! Le revers de la médaille, c’est que c’est très difficile. Porter les deux casquettes, ce n’est pas toujours évident, quelquefois on laisse le metteur en scène parler et on fait des bêtises de production… C’est une lutte permanente entre soi et soi, mais un film de toute façon, c’est une suite de concessions du début à la fin.

Vous avez dit un jour que ce que vous trouviez de plus émouvant chez une femme, c’est de la voir en lutte. En tant que femme cinéaste, est-ce que vous avez dû beaucoup lutter ?

Ah oui, tout le temps, mais pas uniquement en tant que femme, en tant qu’être humain tout simplement. Je ne me suis jamais placée dans cette position-là, de la femme cinéaste. Je ne fais pas des films de femmes, je fais mes films à moi. Je n’ai jamais voulu avoir cette étiquette, je la trouve réductrice, elle met les femmes dans un ghetto. Ça veut dire quoi, que ce sont des petits films, des films intimistes ? Ce n’est pas vrai, Kathryn Bigelow, elle ne fait pas des films intimistes et Bergman, lui, il faisait des films intimistes. Je suis féministe, évidemment, parce que je suis une femme, je ne peux pas être autrement que féministe, mais je ne veux pas cette étiquette de femme cinéaste.

"C'est toujours drôle les films sur le cinéma" pour Diane Kurys et Sylvie Testud (2016) :