"Lou": l'héroïne de Julien Neel de retour en jeune adulte dans un nouvel album

couverture du nouveau
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C’est une règle immuable: d’Astérix à Titeuf en passant par Tintin, les personnages phares de la BD ne vieillissent pas. Lou, l'héroïne de la série éponyme de Julien Neel, brise cette convention. Baptisé Lou Sonata, le neuvième tome de ses aventures est aussi le premier volet d’un nouveau cycle, qui voit le personnage quitter sa famille et sa ville natale pour aller étudier à l’université dans une autre région.

Depuis le premier tome, qui enchaînait les gags d’une page, la série a évolué, pour s’imposer comme une chronique assez fine de l’éveil au monde d’une jeune femme. "Pour trouver mon individualité [d’auteur], j’ai essayé de faire le contraire de ce qui se faisait habituellement, en faisant grandir mon personnage et en lui faisant traverser l’adolescence", explique Julien Neel à BFMTV.

Un tel changement aurait pu être difficile à vivre pour les fans. Mais le public de Lou, qui a grandi comme l’héroïne de Julien Neel, ne l’a pas boudée. Vendue à plus de trois millions d’exemplaires, la série continue de marcher: annoncé comme le dernier, le huitième tome où Lou débute son émancipation s’est écoulé à plus de 180.000 exemplaires en 2018. Julien Neel, qui voulait arrêter sa série, a trouvé une idée pour poursuivre:

"Quand j’ai vu que ça commençait à marcher, je m’étais dit que je n'en ferais que huit. Je voulais terminer à la fin de l’adolescence. Au fur et à mesure, en voyant la communauté de fans qui grandissait, en voyant que je continuais de m’amuser avec le personnage et que le fait de la faire évoluer était garant de ne pas avoir à toujours raconter la même chose, l’évidence de créer une deuxième saison s’est imposée."

Il faut dire que Julien Neel s’est toujours inspiré de sa vie, et de celle de sa fille, qui a désormais le même âge que Lou: "Ma fille est allée faire l’année dernière ses études dans une ville qui s’appelle Lyon. Lou va cette année faire ses études dans une ville qui s’appelle Tygre...", confie le dessinateur, qui a offert à son héroïne de papier, l’appartement qu’il avait lorsqu’il a débarqué à l'âge de vingt ans à Aix-en-Provence.

Expérimentations sexuelles

Lou Sonata peut faire penser à Kiki la petite sorcière de Miyazaki, où une jeune sorcière débarque dans une grande ville pour parfaire son apprentissage avant de trouver sa vocation: "Le sujet de cet album est la naissance d'une idée." Cette seconde saison voit Lou expérimenter sa sexualité. Dans une scène, elle échange un baiser avec une de ses amis. Du jamais-vu dans le milieu des héros franco-belge, toujours asexués:

"Pendant toute la première saison, Lou se met en tête qu’elle a besoin d’une histoire d’amour pour exister. Ça l’obsède et ça l’empêche de se réaliser", commente Julien Neel. "Dans la deuxième saison, Lou s’en est affranchie. Elle a appris à séparer sa sexualité de sa vie. Elle couche avec des gens, mais ça n’a aucune incidence sur la construction de sa vie."

Pour ce nouveau cycle, Julien Neel expérimente aussi. Exit les 48 pages des premiers tomes. Il a adopté le format du roman graphique, profitant de son importante pagination: "Je suis allé au maximum de ce que je pouvais faire avec le format des 48 pages. Jusqu’au tome 8, j’ai essayé de faire rentrer le plus de choses possibles au chausse-pied. Pour moi, la condition sine qua non pour que je puisse continuer, c’était de pouvoir enfin changer de format.

"Le format du comics est celui sur lequel je suis le plus à l’aise pour raconter des histoires", ajoute-t-il encore. Il a la sensation de se renouveler: "C’est beaucoup plus agréable. J’ai trois fois plus de pages que d’habitude. En augmentant la pagination, ça me permet de dessiner plus grand et d’avoir plus d’impact." Il peut également enfin faire des scènes de silence et de contemplation, pour pénétrer dans les pensées de Lou.

Un album musical

Julien Neel livre un tome plus introspectif, accompagné par un album de musique, qui mêle sonorités jazz, électro et hip hop pour "prolonger l’expérience" de lecture. Lou Sonata, comme son nom l’indique, a été conçu comme un morceau de musique: "La musique va prendre de plus en plus d’importance dans la vie de Lou, comme elle en a pris de plus en plus dans ma vie."

Le titre du cycle y fait explicitement référence: "Quand j’ai commencé à réfléchir à cette nouvelle saison, je voulais trouver un nom qui soit aussi bien que Dragon Ball Super ou Naruto Shippûden. Il fallait que le mot soit élégant, international et qu’il implique un mouvement. La sonate, c’était parfait. C’est un mouvement musical en trois parties." Il devrait donc y avoir trois tomes dans ce nouveau cycle, censé accompagné ses lecteurs dans l'âge adulte.

Avec Lou, Julien Neel a toujours eu comme ambition "de faire quelque chose de confortable": "Quand j’étais petit, je me suis beaucoup construit avec la fiction. Les livres étaient un refuge. Construire un univers de fiction pour permettre aux enfants de mieux comprendre le monde a toujours été mon objectif."

Objectif réussi avec ce Lou Sonata. La ville imaginaire de Tygre, mélange de Lyon et de Kyoto, dont l’architecture entre tradition, modernité et science-fiction, dans la ligne de l’univers de Mœbius, est particulièrement rassurant: "Plus il y aura de références absurdes, plus ce sera réaliste", note Julien Neel, qui passe de longs mois à modéliser les univers où il situe ses histoires: "Tygre, même si c’est n’importe quoi, j’ai l’impression que cet endroit existe vraiment."

Un album feel good

Lou Sonata sort au bon moment. En pleine pandémie, l’album montre qu'il peut sortir du bon des grands bouleversements. L’histoire se déroule quelques années après l’apocalypse du sixième tome, l'âge de cristal qui a changé les communications. Le monde est redevenu normal. Julien Neel a conçu l'album pour que les jeunes se sentent mieux face aux désordres du monde:

"J'ai imaginé les cristaux juste après les attaques de Charlie Hebdo. Chaque génération a la conviction de vivre la fin du monde. Les cristaux, c’était une manière de dire que le monde allait changer, mais que les jeunes allaient survivre à ces révolutions et construire le monde d’après. J’ai grandi dans un environnement où on disait que c’était mieux avant. C’est le contraire du discours à tenir aux gamins!"

Depuis ses débuts, Julien Neel reçoit des messages d’enfants lui confiant à quel point Lou a été important dans leur apprentissage de la vie. Lou Sonata devrait l’être tout autant: "Je me suis rendu compte que plus je raconte des choses qui me sont personnelles, et des choses justes, plus les gens s’identifient au personnage. Ces témoignages sont vraiment la raison pour laquelle j’ai continué. Si je n’avais pas eu ce retour, j’aurais arrêté."

"Il y a toujours une part de moi où je sature de Lou”, confie cependant le dessinateur. "Heureusement, j’ai fait d’autres albums et d’autres activités. Pour que Lou marche bien, pour que ce soit vivant, il faut que ce soit en partie improvisé. Je veux qu’on soit en permanence surpris par cette série. Lou existera tant que j’aurai encore des choses à raconter. Le jour où je fais ça par cynisme ou pour juste gagner de l’argent, j’arrête! A dire vrai, j’espère que cette nouvelle saison sera la dernière. J’aimerais accompagner mes lecteurs vers un final flamboyant."

Lou Sonata, Julien Neel, Glénat, 144 pages, 17,50 euros.

Article original publié sur BFMTV.com