Lorsque mon conjoint, militaire, est parti en mission pour la première fois, mon monde a cessé de tourner

Près de 90 soldats ont été tués cette semaine dans l'attaque d'un camp militaire au Niger. (photo d'illustration)
LUDOVIC MARIN via Getty Images Près de 90 soldats ont été tués cette semaine dans l'attaque d'un camp militaire au Niger. (photo d'illustration)

COUPLE - J’ai 26 ans, et je suis responsable communication dans un cabinet de recrutement à Lyon. Dans la vie privée, je vis avec un militaire et mon monde s’est arrêté de tourner.

Si j’écris au sujet de la vie avec un militaire, ce n’est pas pour me plaindre et encore moins me faire plaindre. C’est pour moi un exutoire. Ici, on ne parlera ni de date, ni de lieu, et pas de régiment non plus. Aucune information liée à la mission ne sera donnée pour des raisons de confidentialité.

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Certains diront : « Il était militaire avant que tu partages sa vie, tu l’as choisi, tu savais à quoi t’attendre ». Mais non ! On n’est jamais prêt à faire face à tous les obstacles de la vie. Et c’est peut-être dans cet inconnu que réside la beauté de notre existence !

Le monde s’est arrêté de tourner. Enfin non ! Le monde ne s’est pas arrêté de tourner, mais le mien oui. C’est le sentiment exact que j’ai eu lors du premier départ.

Une longue préparation

Plusieurs semaines de préparation et de discussion ont précédé ce grand départ pour quatre mois minimums. C’était le premier depuis que nous sommes ensemble.

Quatre mois dans une vie, qu’est-ce que c’est ? Pas grand-chose ! Et pourtant, cela me paraissait Insurmontable !

J’étais prête dans un sens. Toute femme de militaire sait que tôt ou tard un « grand » départ arrivera. Mais je n’étais pas prête à vivre aussi longtemps séparé de la personne que j’aime.

Nous avions déjà été séparés plusieurs semaines d’affilée, mais jamais quatre mois pleins.

C’est là tout le paradoxe de la situation : on sait que les séparations sont obligatoires dans la vie entre civil et militaire, mais quand le moment vient, non, rien n’y fait… On n’était finalement pas totalement prêt !

Quatre mois de séparation

Quand on est séparé quatre mois, des peurs, des craintes et beaucoup d’incertitudes s’installent.

Comment vais-je faire seule ? Vais-je tenir cette distance ? Va-t-on se donner la chance de reprendre notre histoire là où nous l’avons laissée ? Et si tu es prolongé ? Et si tu ne reviens pas ?

Aujourd’hui, je dirai que ces questions étaient pour certaines exagérées. Mais je pense honnêtement qu’elles sont légitimes et universelles. Je dirai même qu’elles sont indispensables, car elles déclenchent des discussions qui permettent de comprendre le ressenti de l’autre et pouvoir y faire face.

Elles engagent un dialogue qui est nécessaire. Il permet de poser les repères, des limites à ne pas franchir lorsqu’on engage une relation à distance pendant un temps donné. Elles « préparent » aux blessures, mais aussi à toutes les éventualités, même les pires.

Cette phase de préparation est dure psychologiquement. Chaque questionnement nous rappelle de façon assommante, que bientôt ces discussions auront lieu au téléphone et plus en face-à-face.

Les au revoir

Je n’ai plus vraiment de souvenirs de cet instant. Trop douloureux, mon cerveau l’a occulté.

Je revois simplement Anthony franchir les portes du régiment avec ses sacs et moi, me retrouver seule.

Et là, c’est un rideau de fer qui s’abat d’un coup, d’un seul. C’est donc ça que je vais vivre pendant les 4 prochains mois ? Ce silence assourdissant et cette tristesse paralysante ?

Quel enfer quand j’y repense. Peut-être que sur le coup, j’en faisais trop…

Mon ressenti était que mon monde s’arrêtait de tourner brutalement et que je devenais spectatrice du monde qui continuait de tourner. Que la vie des personnes qui m’entourent, elle, ne changeait pas. La vie suivait son cours, mais pas la mienne.

Ce sentiment m’a duré tout le temps de la mission. Mais ma douleur s’est estompée.

Quatre mois c’est long !

Il a fallu se réinventer une vie, un nouveau rythme, de nouvelles habitudes.

On a plus de temps pour soi, ou pas d’ailleurs. On pense autrement et on vit différemment.

On apprend à vivre seule, pour soi, et à apprécier sa propre présence ainsi que cette solitude. On se trouve de nouvelles occupations, de nouvelles passions pour faire passer le temps. Mais tout ce processus ne se fait pas en un claquement de doigts. En tout cas ça n’a pas été mon cas.

Les deux premières semaines ont été dures. Vraiment très dures.

Je n’arrivais pas à me faire à cette absence. Mon cerveau me répétait sans cesse « ce n’est que le début », il me ramenait sans arrêt au fait que ça allait être long, fastidieux et douloureux…

Et puis on s’y fait ! Le rythme est pris, la vitesse de croisière est engagée jusqu’aux deux dernières semaines. On voit du monde, on sort… Mais cette impression que mon monde ne tournait pas au même rythme que celui des autres ne m’a pas lâché. Je me suis régulièrement sentie spectatrice de la vie. Une partie de moi était présente, mais une autre était à des milliers de kilomètres.

Pendant la mission d’Anthony, mon rythme a été cassé plusieurs fois :

  • Absence quasi totale de nouvelle durant une quarantaine de jours ;

  • Difficultés de communication ;

  • Différentes missions sur place ;

Les deux dernières semaines ont brisé et effacé totalement les rythmes pris tout au long de la mission pour ma part.

L’excitation prenait le dessus. C’était une autre forme de douleur que je ressentais. Elle s’apparentait plus à une grande frustration de ne pouvoir accélérer le temps jusqu’au moment des retrouvailles.

Libération

Et puis, il les retrouvailles finissent par arriver. Ce jour que l’on attend dès les premières secondes d’absence et auquel on pense tout au long de la mission. On en rêve, on l’imagine et on l’idéalise. Et il finit par arriver ! Le jour tant attendu est enfin là.

Libération ! C’est fini, la vie peut reprendre son cours normal.

Ne retenir que le positif

Il ne faut pas minimiser ce qu’on ressent. J’ai été profondément triste durant cette mission.

Il y a bien évidemment plus grave dans la vie, mais peut-être qu’à ce moment-là rien n’était plus grave, plus malheureux que ce que je vivais ! Nous réagissons tous de façons différentes et nos ressentis nous sont propres, ils nous appartiennent.

Les départs militaires ne sont pas des fins en soi. C’était le premier pour moi en tant que conjointe de militaire et ce ne sera pas le dernier.

Cette mission avait un côté traumatisant, apeurant. Et comme toutes situations inédites dans une vie, celle-ci arrive avec son lot d’incertitudes.

Nous ne réagissons pas tous de la même manière. Pour certains.es, c’est la fin du monde. Pour d’autre une aventure.

Je pense que nous ne pouvons pas juger ces femmes et ces hommes qui restent quand leur partenaire part. De l’extérieur, la situation est peut-être risible, mais quand on le vit de l’intérieur, tout prend une ampleur différente.

Ce que je retiendrai de ces quatre mois et demi d’absence, c’est qu’il y a du positif dans chaque situation :

Ce départ nous à montrer que nous étions plus forts que la distance, l’absence et le silence.

Sur le plan personnel, j’ai appris, un peu par la force des choses, à vivre pour moi, penser à moi, m’occuper de moi. J’ai apprécié cette forme de solitude qui me permettait de passer du temps avec moi-même.

Les quatre mois et demi ont été interminables, mais sont passés à vitesse éclair ! Impossible de vous expliquer ce ressenti. Je n’ai pas de mot pour le décrire.

Et maintenant ? À quand le prochain…

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