Le lobby des pesticides accusé de « chantage à l’emploi mensonger » par quatre ONG

A farmer sprays chemicals to treat his wheat fields, on April 17, 2018 in Villefranche-de-Lauragais. (Photo by REMY GABALDA / AFP)
REMY GABALDA / AFP A farmer sprays chemicals to treat his wheat fields, on April 17, 2018 in Villefranche-de-Lauragais. (Photo by REMY GABALDA / AFP)

ENVIRONNEMENT - Un « chantage à l’emploi mensonger » a-t-il été mené par le lobby des pesticides ? Et ce pour abroger une loi visant à interdire la production de pesticides ultratoxiques en France ? Ce mardi 21 février, quatre Organisations non gouvernementales (Foodwatch, Les Amis de la Terre, Transparency International et l’Institut Veblen) ont effectué un signalement à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique sur un possible manquement du syndicat professionnel français des fabricants de pesticides, Phyteis (Ex-UIPP), rapporte Le Monde.

Selon les associations à l’origine du signalement, précisent nos confrères, Phyteis a délibérément menti aux parlementaires afin d’obtenir l’abrogation de l’article 83 de la loi sur l’agriculture et l’alimentation (Egalim) du 30 octobre 2018. Un article qui prévoyait l’interdiction, à partir de 2022, de la production sur le sol français de pesticides interdits d’usage en Europe mais que les géants de l’agrochimie continuent à fabriquer pour les exporter, notamment dans les pays en développement.

Afin d’obtenir son abrogation, l’UIPP a alors mené un intense lobbying auprès des parlementaires et jusqu’au sommet de l’État, selon nos confrères du Monde. Pour cela, le syndicat a fait jouer un argument principal : l’emploi. Dans une lettre transmise à Matignon à quelques jours de la promulgation de la loi Egalim, le représentant d’intérêt a en effet assuré que « l’impact économique et social en France de cette mesure sera extrêmement important, avec plus de 2 700 emplois directement concernés » sur « dix-neuf sites de production ».

Un chiffre mensonger

Dans la foulée, le sénateur socialiste Didier Marie, auteur d’un amendement visant à reporter l’interdiction, reprend alors l’argument, de concert avec d’autres parlementaires, et affirme en séance publique que « 2 700 emplois directs sont menacés, et plusieurs milliers en amont et en aval de la filière ».

Et le lobbying finit donc par payer puisque l’amendement, qui a depuis été retoqué par le Conseil d’État, est alors voté et reporte l’interdiction de production à 2025, mettant au passage en place une dérogation pour les entreprises passant des « conventions de transition » avec l’État.

Pourtant, au contraire des affirmations des lobbyistes, après l’adoption de la loi Egalim, aucun licenciement direct n’a été constaté, selon une enquête du média indépendant Le Poulpe reprise par Mediapart. Certains sites présentés par l’UIPP comme étant directement menacés ont même créé de nouveaux emplois depuis 2019, à l’instar de Nufarm, dans l’Eure, qui a ouvert trente nouveaux emplois directs.

Le Monde note par ailleurs que parmi les sites listés par le syndicat des fabricants de pesticides pour faire valoir son argument de menace sur l’emploi, certains produisaient très peu, voire plus du tout de substances interdites et donc que les emplois ne pouvaient pas être mis en danger par l’interdiction.

« Une stratégie que l’on ne connaît que trop bien »

L’estimation du syndicat peut difficilement être attribuée à une « erreur de bonne de foi », selon les ONG à l’origine du signalement. Elle semble, au contraire, indiquer que l’information fournie par l’UIPP à des décideurs publics aurait été délibérément erronée afin de les tromper.

« Opposer des arguments économiques ou du chantage à l’emploi face à des enjeux de santé publique est une stratégie que l’on ne connaît que trop bien, commente auprès du Monde Karine Jacquemart, la directrice de Foodwatch. Les lobbys des pesticides n’hésitent pas à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour bloquer tout renforcement des règles car ils voient dans ces mesures des entraves à leur business juteux. »

Malgré l’interdiction prévue par la loi Egalim, près de 7 500 tonnes de fongicides, herbicides ou insecticides interdits en Europe ont tout de même été exportées vers le Brésil ou l’Ukraine à la faveur de failles dans la législation, selon nos confrères.

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