Les livraisons de drogue par drone toujours en vogue en prison

Les livraisons de drogue par drone toujours en vogue en prison (JEAN-FRANCOIS MONIER)
Les livraisons de drogue par drone toujours en vogue en prison (JEAN-FRANCOIS MONIER)

Nuit du 8 au 9 janvier 2023, prison d'Uzerche en Corrèze, des colis sont largués par drone. Trois sont saisis, un autre reste coincé à l'aplomb de la fenêtre d'un détenu. L'incident permettra la chute d'un vaste réseau de trafic par les airs.

Entre l'automne 2022 et décembre 2023, la bande de livreurs a centralisé les commandes via le compte Snapchat "Drone2France" et fourni une quinzaine de prisons en France et en Belgique. Elle facturait 450 euros en moyenne pour 350 g maximum, avec quatre colis minimum par livraison, certains fabriqués en filet pour pommes de terre.

Sur le même modèle, avant son démantèlement en septembre, "Air Colis" alimentait des établissements de l'Ouest, avec des drones munis d'une pince permettant de larguer une chaussette contenant la marchandise, suspendue par du fil de pêche. Le même mois, une série d'interpellations a lieu à Béziers, avec des colis de plus de 100 g de cocaïne et 700 g de cannabis.

Le trafic par drone est en vogue. En 2023, plus d'un millier de survols ont été recensés, dont "400 bloqués", selon une source proche du dossier.

"Il n'y a pas un jour où il n'y a pas un survol, en métropole comme en outre-mer", assure Dominique Gombert du syndicat FO justice.

- Kebabs, merguez -

La livraison "est de plus en plus précise, on arrive quasiment à la fenêtre", ajoute Wilfried Fonck, secrétaire national Ufap-Unsa justice.

Cannabis et téléphones constituent le gros des commandes, mais se glissent aussi kebabs, merguez, couteaux en céramique, livres religieux...

Les livreurs proposent directement leurs services sur les réseaux sociaux ou passent par des proches de détenus pour récupérer les produits.

Les colis n'excèdent pas 500 grammes, soit la charge maximale pour leurs drones qui sont de simples modèles du commerce de moins de deux kg.

Pour ce qui est des livraisons, essentiellement nocturnes et effectuées après repérage, le pilote est généralement situé dans un rayon de deux à cinq kilomètres, ses arrières sont assurés par des guetteurs.

Le drone évolue souvent tous feux éteints, guidé par des codes lumineux émis depuis les cellules. Ne reste ensuite qu'à passer la main à travers le caillebotis des fenêtres préalablement cassé pour récupérer la marchandise.

Pour les surveillants en effectif réduit la nuit, la possibilité d'intercepter la cargaison pendant les rondes d'écoute est quasi nulle.

"On peut tout au plus faire des fouilles inopinées le matin", dit M. Fonck. Mais les nourrices, ces détenus dont le comportement n'attire pas l'attention et chargés de camoufler les produits, compliquent la tâche.

- "Tom et Jerry" -

Le phénomène en France n'est pas au stade de l'Equateur qui a déjoué en septembre une tentative d'attaque au drone piégé sur une prison de haute sécurité. Mais il est pris au sérieux.

Le gouvernement a passé deux marchés en 2019 et 2021 de matériel de brouillage électromagnétique de dernière génération. Le garde des Sceaux indiquait en juillet dernier devant le Sénat que "45 dispositifs de neutralisation ont été commandés pour un montant total cumulé de 12,2 millions d'euros, incluant la maintenance", et que le dispositif est "capable de couvrir un panel de six bandes de fréquences, soit une réponse à 95% de la menace drone".

Deux sociétés françaises ont été choisies: Cerbair et Keas qui ont développé l’antenne de détection Hydra 200 et le brouilleur Medusa qui, selon Cerbair, "produit une émission électromagnétique capable de figer instantanément les drones volant à proximité et déclenche leur atterrissage d’urgence".

Les capteurs sont installés en fonction de l'ergonomie des prisons, ce qui peut notamment réduire la couverture en milieu urbain.

Mais malgré ces outils technologiques, "l'innovation côté malfaiteurs est perpétuelle", souligne M. Gombert. "Des hackers parviennent à détourner les zones de protection", d'autres "testent les hauteurs" pour contourner le dôme antidrones.

"Ils sont plus rapides que la mise à jour des logiciels" et les temps de maintenance sont autant de failles, ajoute M. Fonck.

En résumé, "on joue à Tom et Jerry" avec les trafiquants", reconnaît une source proche du dossier, ces derniers ayant "un temps d'avance".

Mais de l'avis des professionnels, ces dispositifs sont quelque peu dissuasifs. Preuve en est la recrudescence des projections de drogue à l'ancienne, catapultée par dessus les murs.

Sollicitée par l'AFP pour évoquer la situation, l'administration pénitentiaire n'a pas répondu.

bur-al/cal/gvy