Limogeages en série en Ukraine: la corruption, un problème "endémique" dans le pays

Un choix politique. Le ministre ukrainien de la Défense Oleksiï Reznikov a annoncé ce lundi avoir remis sa démission, après que le président Volodymyr Zelensky a indiqué dimanche son remplacement, sur fond de scandales de corruption. Avant lui, plusieurs responsables ukrainiens ont connu le même sort ces derniers mois pour des raisons similaires, le pays étant gangréné par le recours aux pots-de-vin.

Une longue série de limogeages

Depuis plusieurs mois déjà, le ministère de la Défense ukrainien est particulièrement surveillé par Kiev. Volodymyr Zelensky soupçonne en effet un phénomène récurrent et ancré de corruption, alors que le pays est en pleine guerre contre la Russie.

En janvier dernier, le dirigeant assure prendre le problème à bras-le-corps. "L'État prendra des mesures puissantes nécessaires" pour en finir avec la corruption en Ukraine, prévient-il d'un ton grave, annonçant des "décisions appropriées" à venir.

Soupçonné de détournement de fonds, un haut responsable ministériel ukrainien est limogé. Un audit interne est ensuite lancé et d'autres limogeages suivent. En août dernier, l'ensemble des responsables régionaux en charge du recrutement militaire se voient ainsi montrer eux aussi la porte de sortie.

Une corruption "endémique" en Ukraine

"Il y avait nécessité de faire le ménage", assure à BFMTV.com le général Jérôme Pellistrandi, consultant Défense pour BFMTV. La question de la corruption n'est pourtant pas nouvelle dans le pays.

"C'est un problème assez endémique en Ukraine", juge auprès de BFMTV.com l'analyste Gaël Guichard, ancienne journaliste et envoyée en mission spéciale d'observation de l'OSCE en Ukraine entre 2014 et 2016.

D'ampleur diverse, elle touche toutes les couches de la société, y compris pour des questions de vie courante, que ce soit "pour obtenir une école pour son enfant, ou un permis de construire", explique l'ancienne journaliste.

Bien antérieur au conflit contre la Russie, le phénomène est en réalité hérité de l'époque où l'Ukraine était membre de l'URSS. "Elle est endémique au système soviétique et s'est poursuivie ensuite pour faire partie de la culture post-soviétique dont sont imprégnés les oligarques", assure Jérôme Pellistrandi.

"Montrer patte blanche" pour rejoindre l'UE

Plus d'un an et demi après le début de l'invasion russe en Ukraine, le sujet a pris de l'ampleur. Volodymyr Zelensky a donc décidé de se séparer de son ministre de la Défense, bien que ce dernier ne fasse pas personnellement l'objet d'accusations.

Ce limogeage est d'abord une façon pour le chef de l'État ukrainien d'envoyer un message en direction de ses alliés occidentaux, notamment en Europe.

"(Volodymyr Zelensky) se positionne comme européen (...) et, pour être européen, il doit, au niveau politique et économique, montrer patte blanche", explique Gaël Guichard.

De fait, le dirigeant n'a cessé de déclarer sa volonté que son pays intègre l'Union européenne (UE), et pour cela la forte corruption qui le ronge constitue actuellement un obstacle. L'ONG Transparency International classe l'Ukraine seulement au 116e rang sur 180 dans son dernier baromètre mondial de la corruption paru en 2022.

Lancer un message aux États-Unis

Volodymyr Zelensky entend également envoyer un message aux États-Unis, alors que la course à la présidentielle de 2024 est déjà lancée. "Les sondages montrent que Donald Trump pourrait gagner", rappelle l'analyste.

Or, le résultat de ce scrutin aurait une importance primordiale pour l'Ukraine. En effet, le pays perçoit une aide financière et matérielle de grande ampleur de la part de Washington.

Mais en cas de retour à la Maison Blanche de l'ancien président, qui ne cache pas sa volonté de mettre fin aux livraisons en Ukraine, la donne pourrait changer. Mieux vaut donc pour l'Ukraine rassurer le pays qui finance en grande partie son effort de guerre sur sa propre santé économique.

Des pots-de-vin vécus comme "injustes" en temps de guerre

Autre nécessité pour Kiev: communiquer auprès de ses habitants. "La population ukrainienne vit depuis environ un an et demi en temps de guerre", rappelle Gaël Guichard.

Le recours de certains Ukrainiens aux pots-de-vin pour éviter d'être envoyé au combat est donc "vécu comme très injuste", selon l'ex-journaliste, d'autant que "de plus en plus de personnes ont perdu des proches sur le front".

Avec ces annonces, Volodymyr Zelensky fait ainsi appel au sentiment nationaliste de ses citoyens. "Qu'il soit persuadé ou non de son discours, c'est le seul qu'il peut avoir aujourd'hui", analyse Gaël Guichard.

"Dans un contexte de guerre, ne pas vouloir lutter contre l'ennemi, c'est manquer à ses obligations patriotiques", martèle-t-elle.

Répondre à un souhait grandissant de la population

Par ailleurs, "l'opinion publique ukrainienne, et notamment les jeunes de 25 à 40 ans, regarde le modèle européen" et se rend compte du décalage entre l'Ukraine et les pays d'Europe de l'Ouest, estime le général Pellistrandi.

En faisant le ménage dans ses rangs, Volodymyr Zelensky répond donc à une "demande" d'une partie de sa population, indique Gaël Guichard.

Cette dernière nuance cependant en précisant qu'il existe aussi un sentiment "jamais avoué", mais partagé par une partie non-négligeable de la population, "qu'il est normal de ne pas vouloir envoyer son enfant à la guerre", et donc qui comprend le recours aux pots-de-vin pour éviter d'aller au combat.

"Limoger un haut responsable est toujours un geste politique"

Qu'ils visent les Ukrainiens ou l'opinion internationale, ces limogeages s'inscrivent toujours dans une stratégie politique de la part de Volodymyr Zelensky, selon les experts.

"Il a besoin de le faire de façon visible et ostensible", estime l'ex-journaliste.

Elle souligne qu'en annonçant les limogeages publiquement le président "communique" sur son travail de lutte contre la corruption dans le pays. "Limoger un haut responsable est toujours un geste politique", rappelle-t-elle.

Article original publié sur BFMTV.com