Limiter les écrans chez les jeunes ? Le défi « 10 jours sans écrans » pourra aider, mais ne réglera pas tout

Voici quelques idées pour lutter contre la surexposition des mineurs aux écrans.
Vera Livchak / Getty Images Voici quelques idées pour lutter contre la surexposition des mineurs aux écrans.

SANTÉ - Plus de 64 000 enfants y sont inscrits : ce mardi 14 mai marque le lancement du défi collectif « 10 jours sans écrans », organisé par l’association éponyme. Jusqu’au 23 mai, des centaines d’écoles, de crèches, de collèges ou de lycées – 490 structures au total – vont proposer à leurs élèves de ne pas utiliser d’écrans de loisirs, « avec l’aide des familles, des associations et des collectivités locales », précise le site de l’association.

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Ce défi, mis en place chaque année depuis 2018 – sauf en 2020 –, vise à « mieux délimiter la frontière qui sépare les écrans qui rendent service des écrans qui asservissent », et permet également « de réduire la violence physique et verbale, la sollicitation publicitaire et l’obésité ». Surtout, il est lancé dans un contexte où les pouvoirs publics entendent lutter contre la surexposition des jeunes aux écrans, et contre les problèmes qui en découlent – santé mentale, harcèlement en ligne…

Selon les données de l’enquête Elfe – publiée en 2022 et effectuée auprès de 18 000 enfants nés en 2011 –, « seuls quatre enfants sur dix sont durablement maintenus à distance des écrans » durant les six premières années de leur vie. Dès sa deuxième année, un petit passe en moyenne 53 minutes par jour devant les écrans numériques et la télévision.

Les usages numériques en cause, mais pas seulement

Face à ce constat, Emmanuel Macron a annoncé en janvier dernier, lors d’une conférence de presse, avoir diligenté un groupe d’experts, chargés d’établir un consensus scientifique sur l’impact des écrans sur la santé physique et mentale des jeunes. Ces spécialistes doivent évaluer les dispositifs déjà en place et élaborer une doctrine de régulation adaptée à chaque âge. Il y aura peut-être des « restrictions et des interdictions », a prévenu le chef de l’État.

Sauf que d’après Carine Aillerie, maîtresse de conférences en science de l’information et communication à l’université de Poitiers, le consensus scientifique existe déjà : « Les différents points de vue s’accordent pour dire que c’est mieux de ne pas exposer les enfants aux écrans. » Et les usages numériques ne sont pas les seuls facteurs qui conduisent à cette exposition, la dimension sociale jouant par exemple également un rôle, ajoute-t-elle.

De ce fait, la solution ne « doit pas être seulement technique ». Selon la chercheuse, « le problème est avant tout social, et les inégalités numériques et sociales se recoupent. Et il n’y a pas de fonctionnalité technique qui éduquera au numérique. » Voici donc quelques idées sur lesquelles Emmanuel Macron et ce groupe de chercheurs pourraient s’appuyer pour lutter contre la surexposition aux écrans.

Ce qui existe déjà (mais qui ne marche pas forcément)

Plusieurs dispositifs existent pour limiter l’accès aux écrans. Mais certains sont inefficaces. Par exemple, selon leurs conditions d’utilisation, s’inscrire sur les réseaux sociaux est interdit aux moins de 13 ans. Problème : il suffit d’indiquer une autre date de naissance lorsque l'on crée un compte pour contourner cette règle.

Il existe aussi une loi, adoptée en 2022, qui prévoit d’obliger les fabricants d’appareils connectés à installer un dispositif de contrôle parental et de proposer son activation gratuite lors de la première mise en service de l’appareil. Ce qui « ne mange pas de pain », concède Carine Aillerie, sauf que cela « ne réglera pas les problèmes ». Derrière cette mesure, « il y a l’idée que des gens savent éduquer leur enfant et d’autres pas : ceux qui ne savent pas bien faire seront punis ».

Une proposition de loi encore en cours de discussion a été déposée en janvier 2023 par la députée Renaissance du Loiret Caroline Janvier. Elle vise à prévenir de l’exposition excessive des enfants aux écrans. Le texte entend, entre autres, imposer aux établissements de la petite enfance et du primaire des règles restrictives concernant les professionnels d’encadrement.

Là encore, le bât blesse à entendre Carine Aillerie. « C’est mettre la faute sur les enseignants. Alors que l’utilisation de leur téléphone portable vient souvent pallier l’absence de connexion dans les écoles. » Selon elle, le corps enseignant est victime d’une double injonction : celle d’intégrer le numérique à l’école, mais aussi de limiter l’exposition des enfants aux écrans.

Plus récemment, la ministre de l’Éducation Nationale Nicole Belloubet s’est dite favorable à une expérimentation dans les collèges, où les élèves laisseront leur téléphone portable à l’entrée de l’établissement – dans des casiers prévus à cet effet, par exemple.

Ce qui pourrait être mis en place

Selon la chercheuse, les mesures d’interdiction reviennent à rejeter la responsabilité de la surexposition aux écrans sur les enseignants, parents et enfants. Alors que « c’est de la responsabilité des dirigeants que de mettre en œuvre les moyens d’action les plus efficaces ».

D’abord, explique-t-elle, il faut former les enseignants, parents, éducateurs aux usages et à la culture du numérique. Ils doivent avoir les moyens pour ensuite éduquer les enfants à ces mêmes enjeux. « Organiser davantage d’ateliers de parentalité numérique me paraît vraiment utile », glisse-t-elle, avant d’ajouter : « Il faut s’intéresser aux objets en tant que tel et se demander comment marche un réseau social, comment fonctionne un algorithme… Ce sont des enjeux de culture numérique populaire pour tout le monde. »

La réponse technique, Carine Aillerie n’y croit pas vraiment. Quid de la restriction de certains usages, ou de limiter l’utilisation ? « On peut imaginer des fonctionnalités », dit-elle, avant d’évoquer à titre d’exemple la politique suédoise, qui a opéré en 2023 au retour des manuels scolaires dans les classes au détriment des écrans, comme le rappelle un article du Monde. Mais cette interdiction ne se fait pas au détriment de l’enseignement, puisque « les professeurs sont formés au numérique et à l’éducation aux médias dans ce pays », assure-t-elle.

Quant aux interdictions, Carine Aillerie « ne voit pas trop comment les mettre en œuvre, à cause des intérêts économiques qui ont toujours primé ». Idem pour le contenu des plateformes – comme le contenu pornographique : elle ne pense pas non plus qu’une loi permettra de réguler ce qui y est diffusé, à moins d’une « décision politique forte ».

La loi pour sécuriser internet, adoptée définitivement en avril dernier, a d’ailleurs accouché d’une souris : si l’Arcom peut dorénavant sanctionner plus facilement les sites pornographiques qui ne vérifient pas l’âge de leurs utilisateurs – comme leur impose la loi, elle doit encore mettre au point ledit dispositif technique qui permettra aux sites de le faire. Et pour l’instant, aucune solution fiable n’a été trouvée.

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