Ligue des champions féminine: Melchie Dumornay, “la Zidane” de l’OL et Haïti

Au milieu des cailloux dans le quartier de Mirebalais, près de Port-au-Prince (Haïti), une jeune fille de 10 ans n’a pas froid aux yeux. Pieds nus et le regard déterminé, la petite Melchie Dumornay affronte des garçons aux portes de la majorité. En guise de ballon, un citron ou des chaussettes remplies d’éponges. Mais pas de quoi impressionner “Corventina” (surnom hérité de son grand frère Corvington), même si des morceaux de verre pouvaient jouer les trouble-fêtes. “Jouer pieds nus m’a permis d’avoir cette maîtrise du ballon et de savoir parfaitement utiliser toutes les surfaces de mon pied”, racontait la joueuse auprès de 20 minutes.

Affronter des garçons ne lui a jamais fait peur, puisqu’elle a toujours été convaincue que le football était venu à elle. Faire ses preuves au milieu de la gent masculine et apprendre dans un pays où le foot féminin n’est pas diffusé à la télévision peut rendre les choses plus compliquées. Mais ça n’effraie pas Melchie Dumornay. “La vitesse de jeu et les contacts n’étaient pas les mêmes que si j’avais débuté uniquement contre des filles. Ça m’a permis d’aiguiser ma qualité technique et mon explosivité. Ça m’a poussée à jouer simple, à être intelligente pour éviter les obstacles et les contacts, à élargir mon champ de vision et mes déplacements.”

Maman poule et stage infructueux à l’OL

Petit gabarit (1,60m), l’Haïtienne décide de rapidement se mettre à la muscu pour gagner en puissance. Un investissement qui porte ses fruits, puisque Melchie Dumornay est repérée par plusieurs entraîneurs locaux, qui pensaient d’abord avoir affaire à un garçon. La dizaine à peine passée, elle intègre le Camp Nous, centre de formation pour les jeunes talents haïtiens situé à Croix-des-Bouquets, à quelques kilomètres de la capitale. Un cap important franchie dans son début de carrière, sous la supervision attentive de sa maman.

Régulièrement surclassée dans les équipes de jeunes, “Corventina” se fait remarquer lors de la coupe du monde U20 organisée en France en 2018, quelques mois après un stage sans suite… à l’OL. “Elle était clairement au-dessus de tout le monde, y compris des Allemandes. Elle était facile, alors qu’elle n’avait que 15 ans”, se souvient Amandine Miquel, sa future entraîneure à Reims, présente à Vannes ce jour-là.

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Les U20 sont une parenthèse de l’aventure en sélection chez les A, puisque Melchie Dumornay a découvert la cour des grandes en mai 2018, à seulement 14 ans, pour offrir au peuple haïtien une nouvelle pépite en devenir. “Haïti a toujours besoin de messages positifs pour s'en sortir”, affirme Nicolas Delepine, ancien sélectionneur qui a amené Haïti à sa première Coupe du monde l’été dernier. “Il y a eu beaucoup de drames dans les familles, avec le tremblement de terre, l’ouragan. Il y a eu beaucoup de morts. Les Haïtiens ont une maturité par rapport à leur âge qui est un petit peu différente de la nôtre. Ils appréhendent les choses un peu différemment. Dès qu'il y a une jeune joueuse, le peuple va la mettre en avant parce que ça leur fait une motivation. En plus, Haïti a un amour très fort pour sa sélection féminine, puisqu'il n'y a pas de différence, qu'on soit en sélection de garçons ou en sélection de filles, on a le même statut: on est une star.”

“Melchie, c'est Zinédine Zidane ou Kylian Mbappé de la sélection d'Haïti”

Déjà coutumière de coups d’éclat dans son pays natal, Corventina va rapidement se faire un nom en France, surtout que les dirigeants rémois ont gardé contact avec elle pendant trois ans après le Mondial U20, le temps que sa majorité soit officialisée en août 2021. Cet été-là, elle pose ses valises à Reims, où Amandine Miquel l’accueille à bras ouverts. “Il a fallu attendre qu’elle se fasse vacciner contre le Covid-19 pour voyager”, rembobine son ancienne entraîneure. ”Elle s’est rapidement intégrée sur et en dehors du terrain.” En deux saisons, Dumornay a changé de dimension (23 buts en 39 matchs de D1), bien aidée par sa compatriote Kethna Louis à ses débuts.

En parallèle, elle poursuit sa route en sélection sous l’aile de Nicolas Delepine. “C'est quelqu'un qui est au-dessus de la moyenne en termes d’explosivité. Sur les premiers mètres, athlétiquement, elle est dans les meilleures. Sur la Coupe du monde, elle était dans le top 3-4 mondial sur l'aspect athlétique, sur le démarrage, sur la vitesse, sur l'explosivité”, poursuit son ancien sélectionneur. “Quand on fait un mix des deux, ça fait une joueuse qui est atypique par ses prises de balles et son explosivité sur les premiers mètres et qui fait beaucoup de différences. Puisque c'est elle qui, notamment pour l'équipe d'Haïti, a toujours fait les différences dans les grands matchs.”

L’OL ne laisse pas passer l’occasion

Car qui d’autres que Melchie Dumornay pour amener Haïti disputer la première Coupe du monde de son histoire l’été dernier, en Australie et Nouvelle-Zélande? Positionnée en neuf et demi derrière l’attaquante Roselord Borgella, la pépite haïtienne a envoyé son équipe au paradis le 22 février 2023 en inscrivant un doublé en finale du barrage face au Chili (2-1), trois jours seulement après une arrivée en catastrophe en Nouvelle-Zélande et une prestation mitigée face aux Sénégalaises malgré un large succès (4-0).

“Pour moi, son meilleur poste est derrière l'attaquante parce que ça lui offre la liberté de revenir chercher les ballons si le match le demande”, avoue Nicolas Delepine. “Ça lui permet aussi d'avoir quelqu'un en point d'appui pour aller finir les actions parce que quand on est toute seule en pointe dans les matchs internationaux, c'est souvent difficile. Les défenses sont aguerries et ont une culture tactique assez forte. Elle a une capacité de finition extraordinaire.”

La Coupe du monde n’est pas encore arrivée que l’OL ne veut pas manquer à nouveau l’occasion d’attirer Melchie Dumornay, qui devient officiellement Lyonnaise au cours de la saison 2022-2023, exercice qu’elle va toutefois terminer avec Reims, où elle est désignée meilleure espoirs aux trophées de la D1, avant de s’envoler pour l’Océanie jouer le Mondial. Pour leur première participation, les Haïtiennes sont tombées les armes à la main dans un groupe composé de la Chine, du Danemark et de l’Angleterre. C’est d’ailleurs face aux futures vice-championnes du monde que Melchie Dumornay a bien débuté la compétition, avant de marquer le pas.

Une cheville à soigner pour exploser lors du sprint final

“Elle a reçu un choc assez important contre l'Angleterre après quelques minutes de jeu qui l'ont pas mal handicapée pour la suite de la compétition”, complète l’ancien sélectionneur des Grenadières. Un pépin qui va la poursuivre pour ses grands débuts à l’OL. Buteuse lors du trophée des championnes face au PSG en octobre, Dumornay va peu à peu s’éclipser de l’équipe, gênée par une cheville qui nécessite la case opération et une absence pendant une grande partie de l’hiver.

Mais Corventina garde sa bonne humeur et entretient sa réputation d’animatrice du groupe. “C'est quand même quelqu'un qui va souvent faire des blagues, rigoler, chambrer, lancer des petits défis avec le staff, avec tout le monde. C'est quelqu'un qui est très facile à vivre”, complète Nicolas Delepine. C’est donc avec beaucoup de sourire et de détermination que Dumornay a effectué son retour pour le sprint final de la saison lyonnaise. Doublement élue joueuse du match face au PSG en demi-finale de Ligue des champions (2 buts, 2 passes décisives), l’Haïtienne a donné raison à son entraîneure Sonia Bompastor, qui l’aligne en pointe de son 4-3-3 sur les derniers matchs. “Melchie est une joueuse de classe mondiale, avec énormément de talent. C’est une joueuse capable de jouer dans plusieurs positions. Avec le ballon, par sa qualité de dribbles, sa puissance, sa qualité devant le but, elle fait beaucoup de bien à une équipe et à un entraîneur quand vous avez ce genre d’armes sur le terrain”, expliquait la coach de l’OL après la qualification en finale de C1.

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Un Ballon d’or en devenir

Malgré une première saison en dents de scie sur les bords du Rhône, Melchie Dumornay continue à travailler sur ses points à améliorer, notamment l’aspect tactique et le mental aux côtés de joueuses qui ont tout gagné, pour franchir les étapes supérieures, qui pourraient l'amener un jour vers le Ballon d’or. “Sur une saison complète, elle peut largement terminer dans les meilleures buteuses de la Ligue des champions, comme en championnat”, assure Nicolas Delepine

”Si l’OL continue de briller, je pense qu’elle va s’en rapprocher très prochainement, peut-être en dehors des années Coupe du monde, parce qu’avec Haïti, c’est parfois dur de briller. L'année où elle arrive à briller dans tous les domaines, je pense qu'elle ne sera pas loin.” Pour Amandine Miquel, Melchie Dumornay “sera une joueuse monstrueuse” dans un futur plus que proche. Grandir avec une lauréate du Ballon d’or (Ada Hegerberg) et un collectif rempli d’internationales, ça ne peut être que bénéfique pour collectionner les étoiles.

Et quoi de mieux qu’une finale de Ligue des champions pour frapper un grand coup? “Il va se passer quelque chose d’exceptionnel samedi”, avance son ancienne coach à Reims. “Je vois bien un triplé de Melchie, une victoire 3-2 de l’OL et le trophée de joueuse du match en prime.” Un scénario qui plairait sans doute beaucoup aux Lyonnaises et à la principale intéressée.

Article original publié sur RMC Sport