LIGNE ROUGE - "Alain Delon, confidentiel"

Alain Delon - BFMTV
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Alain Delon Confidentiel explore la vie de l'acteur à la beauté ravageuse, homme pétri de paradoxes désormais retiré des plateaux de cinéma. Ce qui frappe d'abord, chez Alain Delon, c'est sa beauté, "animale, magnétique", selon les mots de Véronique Jeannot, qui a partagé l'affiche avec lui en 1979, dans Le Toubib.

"La première fois, on est frappé par sa beauté", abonde Nicole Calfan, qui joue dans Borsalino. "Quand on voit Delon et Belmondo sortir de l'eau avec ce fameux plan avec leurs maillots de bain des années 20, c'est inouï la beauté, l'assurance."

"Délicatesse et sauvagerie"

Pour Jean-Baptiste Thoret, "Delon séduit autant les hommes que les femmes" et a à la fois "une extrême féminité, une espèce de délicatesse, de finesse, d'élégance, et une grande sauvagerie".

C'est son aplomb, qui va faire de lui une star de cinéma. Lui qui n'a jamais pris de cours de comédie, séduit la femme du réalisateur Yves Allégret, et décroche son premier rôle, dans le bien nommé Quand la femme s'en mêle, en 1957.

Puis à 24 ans, il va avoir une intuition capitale, lorsque René Clément le choisit pour spon film Plein Soleil, il refuse le rôle qui lui est réservé, celui du fils de bonne famille, et réclame celui de l'assassin, calculateur et enjôleur.

"René Clément l'a très très mal pris, en disant 'mais jeune homme, vous devriez être satisfait de ce qu'on vous donne'. Je me suis dit 'c'est terminé'", racontait Delon. "Et dans le fond de la pièce, il y avait une femme qui écoutait tout et ne disait rien, et qui soudain dit: 'René chéri, le petit a raison!' C’était Madame Clément. Et tout s’est arrêté".

"Delon a une intuition, qui est fondatrice de sa carrière qui veut que le héros du film soit celui qui perd à la fin", analyse Jean-Baptiste Thoret.

"On a toujours le sentiment qu’à tout moment quelque chose de brutal, d’inattendu, de violent peut survenir avec Delon. Ce n’est pas un acteur qui produit un état de confort. Il crée le cocktail Delonien par excellence: l’homme qui a une gueule d’ange, mais qui va commettre le pire, et qui à la fin meurt".

"Quand il y a une caméra, il est galvanisé"

Patrice Leconte, le réalisateur de Une chance sur deux, évoque, lui, l'incroyable photogénie de l'acteur. "C'est quelque chose de très mystérieux. On l'a ou on ne l'a pas."

Pour son fils, Anthony Delon, "c'est un peu comme Johnny quand il montait sur scène". "Quand il y a une caméra, quand il y a le regard des autres, il est galvanisé".

Alain Delon devient une star planétaire. Son magnétisme attire les plus grands réalisateurs  de l’époque comme Luchino Visconti ou Jean-Pierre Melville.

"En seulement 15 ans Delon a fabriqué une filmographie unique avec ses plus grands chef-d’œuvres, estime Jean-Baptiste Thoret. Ce qui fait de lui une star du cinéma français. C’est presque un cas d’école tellement il enchaîne les chefs-d'œuvre. C’est incroyable de se dire qu’à 45 ans il a déjà fait sa carrière.

Une vie de star

Alain Delon mène une vie de star. Il se déplace en hélicoptère, achète une écurie de chevaux de courses. Il fait de son nom une marque qu’il décline dans tous les domaines: des cigarettes, des parfums, des lunettes, des chaussures et même du cognac. L’acteur tourne aussi dans des publicités pour des voitures japonaises. Car en Asie, il est célébré comme un demi-dieu.

Tout cela ne suffit pourtant pas au bonheur d'Alain Delon. "La plus belle chose que j’attends de la vie c’est une réussite, pas sur le plan professionnel, mais sur le plan privé, livrait en interview un tout jeune Alain Delon. C’est la chose la plus difficile à accorder à mon métier. Et c’est la chose qui me fait le plus peur. Je ne sais pas si je réussirai à l’avoir."

A 23 ans, Alain Delon rencontre sur le tournage du film Christine la première femme de sa vie, Romy Schneider. A 20 ans elle est déjà une star. L’héritière bourgeoise et le chien fou forment le couple le plus glamour du continent européen. Ils se fiancent. Mais après quatre ans d'idylle, il la quitte pour celle qui deviendra sa femme, Nathalie Delon. Ensemble, ils ont un fils, Anthony, né en 1964.

Mais ils se séparent en 1968, lorsqu'Anthony a 4 ans.

"Il a en lui le meilleur et le pire, assure Brigitte Bardot, jointe par téléphone. Un mélange de facilité de vivre et de difficulté à vivre. Alain Delon a réussi merveilleusement dans la vie, mais il a eu beaucoup de problèmes à réussir sa vie."

"Taciturne et sombre"

Pour la comédienne Nicole Calfan, ce mal-être lui vient de l'enfance.

"Il a manqué de beaucoup de choses. Il s’en est très bien sorti, mais après on paye. C’est-à-dire qu’il est resté un écorché vif hypersensible, c’est un être de souffrance, il n’est pas jovial comme Belmondo qui respirait la joie de vivre, Alain est taciturne et sombre."

A sa naissance, en 1935, son père tient un cinéma à Bourg-la-Reine. Sa mère est préparatrice en pharmacie et divorce quand son fils a 4 ans. Elle n’a plus le temps de s’en occuper et le place en nourrice la journée. Le mari de celle-ci est maton à la prison de Fresnes.

Puis pendant 6 ans, il passe de pensions en pensions loin de ses parents. Et quand ils l’autorisent, encore mineur à 17 ans, à s’engager dans l’armée et partir pour la guerre d’Indochine, il se sent une nouvelle fois mis à l’écart.

"Il n’a pas eu une enfance simple, mais il n’a pas eu non plus une enfance dramatique, raconte Anthony Delon. Il a vécu un sentiment d’abandon ce qui est normal, une blessure. Il transporte avec lui ses souffrances, liées à cette époque de sa vie. Je pense qu’il n’a pas réussi à s’en défaire".

Mireille Darc, rencontrée en 1968, qui a partagé sa vie pendant 15 ans, un véritable "sacerdoce", comme le raconte Nicole Calfan.

"Mireille me disait je vis 23h et demi pour Alain et et une demi-heure pour moi par jour. C'est-à-dire qu’elle allait au-devant de ses désirs."

"Une star, c’est un homme avec ses angoisses, ses excès, sa solitude, ses craintes, ses contradictions, c’est un homme auprès de qui il est difficile de vivre", concède l'acteur dans l'émission 7 sur 7. Alain Delon et Mireille Darc se séparent, notamment parce qu'elle ne peut pas avoir d'enfant.

Grand banditisme

La part d'ombre d'Alain Delon, c'est aussi sa relation avec le grand banditisme. Son amitié avec l’un deux, François Marcantoni, va pourtant ébranler l’acteur. Les deux hommes vont être soupçonnés d’assassinat. En 1968, Alain Delon est en plein tournage du film La Piscine avec Romy Schneider quand des policiers viennent l'interroger.

Ils ont un cadavre sur les bras, celui de Stephan Markovic, un Yougoslave, ami, garde du corps et homme à tout faire de la star. Les policiers soupçonnent Marcantoni d’avoir assassiné Markovic. Ils s’interrogent sur le motif: Alain Delon a-t-il souhaité éliminer un homme qui s’est montré trop proche de son épouse? S'agit-il d'un différend d’ordre financier?

L’acteur est alors pourchassé par la presse. Il est convoqué à plusieurs reprises chez le juge d’instruction. François Marcantoni sera le seul inculpé dans cette affaire. Mais en 1976, après 8 ans d’enquête la justice prononce un non lieu. On ne saura jamais qui a assassiné Stefan Markovic.

"Alain Delon n’a vu sa carrière ni entachée ni freinée par cette affaire, analyse Frédérixc Ploquin, journaliste spécialiste du grand banditisme.

"Non seulement ces relations ne lui ont pas causé de tort mais, ont au contraire contribué à asseoir sa légende et ont épaissi son portrait et sa réputation.

Désir de contrôle

Acteur exigeant, il mène la vie dure aux réalisateurs, qui doivent être à la hauteur de la star qu'il est devenu.

"Au fil de sa carrière on cite toujours trois, quatre metteurs en scène, évoque Jean-Baptiste Thoret. Clément, Visconti, Melville, Losey. Delon compare toujours le metteur en scène à un chef d’orchestre. Il aime beaucoup Karajan. Il explique qu’il faut des Karajan mais qu’il y en a très peu".

"J’ai besoin d'admirer et de respecter, explique l'acteur dans une interview. Gabin disait les metteurs en scène 9 sur 10 des usurpateurs. J’ai besoin de me sentir en confiance avec un vrai metteur en scène. Quand je suis avec un grand ce qui est rare je suis l’être le plus docile, le plus doux le plus professionnel au monde. Mais si c’est un imbécile, si je prends le pas dessus alors là il y a un problème."

Mû par ce désir de contrôle, il devient producteur. Il produit des chefs-d'œuvres, comme M. Klein, mais aussi des films plus mineurs. A partir des années 80, Alain Delon enchaîne les films, rencontrant parfois la reconnaissance du public, mais les chefs-d'œuvres ne sont plus au rendez-vous. Il se cantonne dans des rôles de flic dans "des films bien troussés, avec des acteurs de qualité, mais des cinéastes aux ordres", souligne Jean-Baptiste Thoret.

Autodérision

Son égo démesuré le pousse à se caricaturer, il parle de lui à la troisième personne. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir de l'autodérision, comme dans Astérix aux Jeux Olympiques où il interprète César.

"La tirade de César c’est de l’autodérision. C’est un hommage qu’il se fait à lui-même à sa carrière, ça l’amuse et le flatte en même temps. Ça l'intronise comme un personnage mythique du cinéma français puisqu'il interprète César et que César est en train de rendre hommage à la carrière d’Alain Delon", note Frédéric Forestier, le réalisateur d'Astérix.

Le "vrai" Delon

Alain Delon l’avoue, il sait qu’il est parfois prisonnier de son image jusqu’à la caricature.

"Je crois que c’est un accident, ce que je suis, il faut que je l’assume, j’ai été placé sur orbite et il faut que j’y reste et que j’y sois. Puis après, on est entraîné dans cette folie et puis d’un seul coup, on vous met une étiquette et vous êtes Delon, et vous êtes obligés de continuer à l’être et il faut le demeurer. Parce qu’ils le veulent et que vous le voulez aussi. Et c'est à ce moment-là que Delon, pour les non imbéciles qui vont comprendre que je ne parle pas de moi à la troisième personne, c'est là que Delon perd ses repères car il ne sait plus très bien où il en est. Ca le dépasse. La machine le dépasse et il doit courir pour dépasser la machine. Dans le fond il est quoi. Il est celui qui était à Fresnes ou Saïgon. Le vrai c’est celui-là", livre-t-il en interview.

En 1998, il tourne Une chance sur deux, de Patrice Leconte, avec Jean-Paul Belmondo et Vanessa Paradis. "Le film n’a pas eu le succès escompté, évoque le réalisateur. Un peu comme si le public leur disait vous êtes out. Le fait que le film ne marche pas, ça ressemblait un peu à ça. Il l’a pris comme si le public lui signifiait qu’il était passé de mode. Comme s’il n’était plus Alain Delon lui qui avait été tellement resplendissant."

Alain Delon ne s’intéresse plus au cinéma, mais il a aussi du mal avec la société. Son rejet date des années 80. Comme un symbole de ce divorce Alain Delon s’installe en Suisse en 1985. La même année, il décroche le César du meilleur acteur pour le film Notre Histoire de Bertrand Blier.

La mort de Romy

L'acteur déroute encore plus en affichant son amitié avec Jean-Marie Le Pen. Quand Jack Lang le ministre de la Culture le fait commandeur des arts et des lettres en 1986, il convie l’homme politique d’extrême droite. Par la suite, il prend ses distances avec la politique de Le Pen, mais jamais avec l’homme, car Alain Delon est d’une fidélité absolue à la parole donnée, à l’amitié.

Une fidélité aussi aux femmes de sa vie comme si Alain Delon quittait sans quitter. Le soir de la première de son film Pour le peau d’un flic en 1981, il est alors en couple avec l’actrice Anne Parillaud. Mais il a aussi à son bras deux grands amours de sa vie. Mireille Darc et Romy Schneider. Romy, dont la mort l’année suivante le laissera inconsolable.

Alain Delon le nostalgique vit avec tous ces fantômes. Les fantômes c’est d’abord toutes les femmes qu’il a aimées et perdues. Alain Delon le solitaire a son refuge. Son immense propriété de Douchy dans le Loiret, achetée au début des années 70 quand il vivait avec Mireille Darc. Dans le jardin, une chapelle où Alain Delon veut être enterré.

Article original publié sur BFMTV.com