Comment la liberté d'expression s'inscrit dans les programmes scolaires

Une salle de classe à Clermont-Ferrand (photo d'illustration) - Thierry Zoccolan
Une salle de classe à Clermont-Ferrand (photo d'illustration) - Thierry Zoccolan

Alors qu'un hommage national sera rendu ce mercredi à la Sorbonne à Samuel Paty, le professeur d'histoire-géographie assassiné vendredi à Conflans-Sainte-Honorine, et qu'une minute de silence sera observée à sa mémoire dans toutes les écoles après les vacances, les initiatives pour défendre la liberté d'expression se multiplient. Car c'est un cours portant sur cette thématique qui serait à l'origine du drame.

L'enseignant avait ainsi montré à ses élèves de 4e des caricatures de Mahomet pour illustrer ce principe. À la suite de cela, un père indigné a déposé plainte, qualifiant Samuel Paty de "voyou" dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux. Ce qui a conduit à un lynchage virtuel: le professeur a ensuite été menacé et harcelé avant que le terroriste ne le retrouve et l'assassine.

La liberté d'expression fait bel et bien partie des programmes scolaires, comme le rappelle Educsol, le site du ministère de l'Éducation nationale qui accompagne les professionnels. Une séquence sur le dessin de presse est également proposée pour "repérer les codes et les procédés mis en œuvre dans les dessins de presse, et plus particulièrement dans la caricature". Deux enseignantes expliquent ainsi à BFMTV.com l'articulation de cette notion en classe.

  • Comment la liberté d'expression est-elle abordée?

C'est une notion "transversale", observe Claire Guéville, professeure d'histoire-géographie et secrétaire nationale responsable du lycée au Snes-FSU, un syndicat enseignant. Évoquée aussi bien en histoire-géographie, enseignement moral et civique (EMC) qu'en français et arts plastiques dès la 6e mais plus particulièrement en classe de 4e. Selon elle, la question de la liberté d'expression s'inscrit ainsi dans "une pratique pédagogique générale et dynamique qui incite au débat et à l'écoute de chacun".

"C'est un travail à long terme avec les élèves, notamment via la semaine de la presse et des médias à l'école, les exposés et travaux de groupe, la venue d'intervenants ou la mise en place de débats qui permettent de sortir du cours classique pour mettre en activité les élèves et en pratique ces notions. Il ne s'agit pas d'imposer un sermont venu d'en haut mais de faire émerger des réflexions chez les élèves."

Concrètement: si l'EMC formalise davantage les choses avec des chapitres consacrés aux valeurs de la République ou aux principes d'une démocratie, en histoire la Révolution française et en français le siècle des Lumières représentent notamment des portes d'entrée appropriées.

  • Certains sujets suscitent-ils davantage la controverse?

Ces dernières années, certains sujets feraient moins polémique, remarque la professeur d'histoire-géographie Claire Guéville, à l'exemple de l'interruption volontaire de grossesse qui lui semble davantage admise, alors que d'autres suscitent systématiquement la controverse, comme la peine de mort. Autre exemple avec les questions d'égalité entre les genres ou de transidentité, "ça débat sévère", ajoute-t-elle. Mais selon elle, "c'est faux d'affirmer qu'on ne peut plus rien dire en cours".

"La classe est un espace de liberté où doit pouvoir avoir lieu ce débat, surtout si ce n'est pas possible à la maison. Quand un élève fait part d'une opinion déstabilisante, charge à l'enseignant de le confronter à la raison et à l'argumentation. Et en général, ça se passe très bien. Le fait de s'emparer de la parole évacue les violences et les invectives. Je rappelle qu'il n'y a eu qu'un millier d'incidents relatifs à la laïcité l'année dernière pour 12 millions d'élèves. C'est une goutte d'eau et cela correspond à notre vécu."

Et selon cette enseignante, il serait même plus facile de débattre avec des adolescents qu'avec des adultes. "Leur identité est en construction, ils ne sont pas enfermés dans leurs avis même si parfois, avec les ados, tout est susceptible de poser problème." Mais elle reconnaît que "l'exercice est périlleux", notamment parce qu'il fait appel au vécu des élèves - d'un point de vue pédagogique, il est plus facile d'aborder une notion par des exemples concrets que par de grands principes abstraits. Mais pour Claire Guéville, ce sont le plus souvent des parents que viennent les difficultés, comme cela a été le cas à Conflans-Sainte-Honorine. Au cœur des tensions: des points du programme, notamment abordés en sciences de la vie et de la terre, note-t-elle, comme la reproduction, l'identité de genre ou la sexualité.

"Cela heurte les familles qui ont certaines convictions religieuses et celles où la parole n'est pas aussi libre. Les parents se méprennent sur le sens de notre travail."

  • Les caricatures de Mahomet sont-elles systématiquement montrées?

Si Claire Guéville montre "tous les ans" des caricatures de Mahomet à ses élèves, elle précise qu'elle ne les présente pas toutes et que cela n'est pas non plus systématique. Tout dépend du lien établi avec la classe et de la maturité des jeunes.

"Ce qui me gêne dans ce débat, c'est qu'on a l'impression que l'on montre les caricatures pour les caricatures. Or, l'idée ce n'est pas de choquer mais de faire progresser les élèves."

Un travail qui s'inscrit dans une démarche pédagogique. "Quand je traite de la Révolution française, je peux montrer des caricatures de Marie-Antoinette les jambes écartées mais je ne vais pas montrer celles qui sont particulièrement pornographiques." Si elle choisit le support le plus adéquat, elle ne se censure pas non plus. "C'est une nécessaire réflexion pour ne pas brouiller le message."

Article original publié sur BFMTV.com